Après 10 ans d’engagement et 160 projets menés dans 7 pays qui ont contribué à aider plus d’un million de personnes à retrouver une vie digne, la Croix-Rouge française, première bénéficiaire de la générosité des Français pour le tsunami, a terminé sa mission. Interview d’Antoine Peigney, directeur des relations et des opérations internationales

Quel souvenir gardez-vous du 26 décembre 2004 ? 

Le monde entier s’est figé autour de cette catastrophe. Chacun se souvient de cette tragédie. C’est un traumatisme international, lié à la fois à l’ampleur inédite de cette catastrophe, mais également au nombre de touristes occidentaux en vacances en cette période de Noël. Cette tragédie  suscite une extraordinaire émotion et un élan de générosité hors du commun. Ce jour-là, je suis comme la plupart des Français en congés, et j’entends à la radio qu’un tsunami s’est abattu sur plusieurs pays d’Asie du Sud-Est – Sri Lanka, Indonésie, Maldives, Inde, Thaïlande, Birmanie, et dans une moindre mesure Tanzanie, Kenya, Somalie. En quelques heures, la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge nous alerte et nous mobilise.

Comment se déroule l’organisation des secours dans les jours qui suivent cette catastrophe ?

Dès le 27 décembre au matin, la Croix-Rouge française mobilise 500 secouristes à l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle pour rapatrier les 1 500 touristes évacués par avion d’Asie du Sud-Est. Des secouristes arrivent également en renfort dans les consulats à Colombo et à Bangkok pour faciliter les rapatriements. En parallèle, nous mobilisons des équipes de réponse aux urgences (ERU). Une première équipe médicale est mobilisée dès le 27 décembre et s’envole le lendemain pour le Sri Lanka, à bord d’un premier avion qui emporte par ailleurs un dispensaire de campagne. Le 29, un second avion s’envole pour l’Indonésie avec à son bord une équipe ERU et un système complet de traitement de l’eau. Des soins, de l’eau, des tentes et des bâches en plastique constituent les priorités durant cette phase de première urgence.

La Croix-Rouge française va rester mobilisée durant 6 ans finalement. C’est une première, non, dans le cadre d’une réponse à une catastrophe ?

C’est un engagement considérable pour la Croix-Rouge française, en effet, et sans précédent. Au total, 250 expatriés (techniciens, ingénieurs, médecins, etc.) se sont succédé sur le terrain du tsunami. Nous avons par ailleurs employé 1 500 collaborateurs dans le cadre de nos missions. Et je dois dire que les projets ont été à la hauteur des dons collectés.

Des dons qui ont atteint un montant record, n’est-ce pas ?

Les Nations Unies estiment, quelques temps après le tsunami, qu’il faudra mobiliser trois milliards de dollars pour reconstruire les pays dévastés. La Croix-Rouge française est le premier récipiendaire parmi toutes les associations françaises mobilisées ; elle collecte 60 millions d’euros dès le premier mois suivant le tsunami et, quelques mois plus tard, elle cumule 115 millions d’euros de dons, ce qui représente un record absolu ! Cette manne financière va nous permettre de mener à bien nos programmes dans les sept pays où nous sommes engagés et d’apporter une réponse globale à la population durant six années, ce qui n’était jamais arrivé. 

A l’époque, Médecins sans frontières (MSF) suscite une polémique, en demandant l’arrêt des dons. Considérez-vous que la Croix-Rouge française ait reçu trop d’argent par rapport aux missions effectuées ?

Absolument pas ! En six ans, la Croix-Rouge française a dépensé la totalité de l’argent collecté. Deux rapports de la Cour des Comptes attestent que les dépenses ont été conformes et les dons correctement affectés. MSF s’est exprimé pour sa propre ONG, son mandat s’arrêtant à l’urgence. La Croix-Rouge française a, quant à elle, communiqué dès le premier mois d’action sur le fait qu’elle allait rester engagée dans la durée, le temps de réinstaller les personnes sinistrées, de reconstruire les maisons, dispensaires, systèmes d’eau, etc. Ce sont des chantiers colossaux qui ont nécessité de nombreux prérequis. Il y a donc eu assez d’argent pour travailler correctement et faire aboutir nos projets dans ces pays. C’est même un véritable exploit d’avoir mené toutes ces actions – 160 projets ont été accomplis permettant de venir en aide à plus d’un million de personnes  - en si peu de temps!

Qu’a changé cette catastrophe au niveau de l’action humanitaire ?

Le tsunami a d’abord mis en exergue les vulnérabilités et l’impréparation aux catastrophes des populations mais aussi des gouvernements. Les systèmes d’alerte n’étaient pas au point. Par le plus grand des hasards, la conférence de Kobé sur la prévention des catastrophes naturelles était prévue quelques jours après le tsunami. Cette tragédie a engendré une mobilisation inespérée de nombreuses délégations : 168 pays se sont mobilisés et ont pris l’engagement de créer un système d’alerte pour l’océan Indien. La Croix-Rouge française a pour sa part intégré des programmes de préparation et de prévention des catastrophes dans sa réponse au tsunami.

En outre, la densité de la catastrophe et la mobilisation d’un très grand nombre d’acteurs sur le terrain nous a fait prendre conscience que l’on devait agir de façon plus coordonnée. Ainsi, en 2005, les Nations Unies ont lancé une réforme pour organiser les grands métiers  de l’humanitaire -logistique, santé, eau et assainissement, santé, abri, etc. - en huit guichets (clusters). Chacun d’entre eux est représenté par un chef de file : l’OMS dirige ainsi le cluster santé, par exemple, et la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge est à la tête du cluster abri.

Ce dispositif a été affiné en 2010, sous l’impulsion de Valérie Amos, sous-Secrétaire de l’ONU. « La réforme de la réforme » (the transformative agenda) a consisté à organiser des équipes humanitaires représentant les principales ONG, et placées sous l’égide d’un responsable des Nations Unies. Cette réforme a mis l’accent sur la responsabilité des hommes, chacun dans son domaine d’expertise. Ce schéma prévaut aujourd’hui pour toutes les catastrophes de grande ampleur. Il est un

Si un tsunami survenait demain ?

Nous avons été très réactifs via la mobilisation de nos équipiers de réponse aux urgences (ERU). Nous avons poursuivi cette mobilisation sans faille durant la phase de post-urgence et de la reconstruction,  selon une approche globale qui a montré son efficacité dans le long terme. Nous referions vraisemblablement la même chose si un tsunami se reproduisait.