Au Burkina Faso comme dans de nombreux pays sahéliens, l’hivernage s’annonce au gré des premières pluies chaudes que l’harmattan vient balayer dans un tourbillon de poussière qu’il suspend pour quelques mois au ciel, où s’accrochent les espoirs et les craintes des Burkinabè.

Espoirs de voir les pluies cesser pour ne pas avoir à compter par centaines les victimes des inondations. Craintes de n’en recevoir que trop peu et subir une des pires crises alimentaires de l’histoire du pays… Depuis quelques années, le Burkina semble polariser les conséquences directes ou indirectes des drames que subit l’Afrique de l’Ouest. Un poids difficile à porter pour ce petit pays enclavé.

De la crise alimentaire à l’afflux de réfugiés

Ils sont des dizaines de milliers à avoir fui les violences et traversé la frontière qui mène du Mali au Burkina Faso. Et leur nombre n’a fait qu’augmenter. A l’image de la mosaïque des communautés qui peuplent habituellement le Nord Mali, ces réfugiés sont Tamasheks, Touaregs, Bellas ou encore Peuls. Avant d’être transférés dans les cinq camps de réfugiés que compte aujourd’hui le Burkina, ils ont d’abord été accueillis dans des camps de fortune. Comme souvent dans un pays qu’une crise humanitaire vient frapper de plein fouet et avant même que l’aide internationale ne se mobilise, peu d’acteurs étaient présents pour assurer l’acheminement d’un minimum d’aide et de soutien. La Croix-Rouge Burkinabè (CRBF) était de ceux-là. Depuis plus d’un an maintenant, les différentes branches de la CRBF sont sans cesse sollicitées, aussi bien par les autorités nationales que par les acteurs internationaux, pour les distributions de biens de première nécessité, la construction d’abris, l’accès à l’eau et à l’assainissement, etc. Les volontaires répartis sur tout le territoire, comme les personnels du siège central, sont actifs sur tous les fronts de l’urgence, tandis que le nombre de réfugiés ne cesse de croître. 

Une collaboration nouvelle

Au fil des mois, les contacts se sont multipliés entre Ouagadougou et Paris. Une délégation de la CRBF s’est même rendue au siège parisien de la Croix-Rouge française (CRF) afin d’envisager les modalités d’un partenariat entre les deux Sociétés nationales, pour tenter de répondre aux besoins immédiats, mais également en vue d’une collaboration sur le long terme. Car outre les crises récurrentes, la situation économique et sociale du Burkina Faso en fait l’un des pays les moins développés de la planète [ . Une situation qui avait déjà amené les Croix-Rouge française et burkinabè à collaborer entre 2002 et 2004 et à maintenir des liens forts depuis une dizaine d’années.

C’est à travers l’angle psychosocial qu’a été mise en place une évaluation initiale, en octobre 2012. Encore trop peu développé lors des situations de crise, le soutien psychosocial aux populations s’est rapidement imposé comme une évidence pour Stéphan Richard. Délégué des missions internationales au sein de la délégation française de Côte d’Ivoire, ce psychologue de formation a été dépêché durant un mois au Burkina Faso. Au contact direct des réfugiés et au sein même des camps de Mentao, Damba ou Gandafabou, Stéphan a pu se rendre compte de l’ampleur des besoins chez ces populations déracinées, sans moyen de subsistance, sans écoute, parfois sans parent ou famille auxquels se raccrocher. C’est aussi leur capacité à se relever, leur résilience qui est mise en danger.

Favoriser la résilience des réfugiés et des populations hôtes

C’est par ce même constat qu’a débuté la mission d’Anne-Sophie Dupeyras. La nouvelle « représentante pays » a rejoint Stéphan Richard deux semaines seulement après le début des évaluations, avec pour objectif de mettre en place les futurs projets de la CRF au Burkina Faso. Pour cette ancienne travailleuse sociale et membre du pool urgence de la CRF, « le soutien psychosocial doit être la pierre angulaire de la collaboration entre les deux Sociétés nationales ». Et les événements récents ont malheureusement conforté les premiers constats. Depuis l’engagement des forces françaises et internationales dans le conflit malien, le nombre de réfugiés va sans cesse croissant. Et avec eux, le nombre de sollicitations pour leur venir en aide.

Ce secteur d’intervention, prioritaire pour la Société nationale de la Croix-Rouge, a su mobiliser l’intérêt de l’ensemble du Mouvement. La Croix-Rouge suédoise cherche actuellement à mobiliser des moyens lui permettant de soutenir l’initiative. Le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), qui est en charge de l’accueil et de la protection des réfugiés est aujourd’hui en demande d’opérateurs de terrain supplémentaires : « notre stratégie d’intervention psychosociale a attiré l’attention du HCR et nous sommes actuellement en négociation avec eux pour le financement et la mise en place d’activités dans trois camps au nord du pays », raconte Anne-Sophie Dupeyras.

Des négociations qui, compte tenu de la situation des réfugiés, ont rapidement donné lieu à la naissance d’un premier projet d’urgence, toujours à l’initiative de la représentante pays : « connaissant notre expertise dans les situations d’urgence, le HCR a souhaité que nous prenions en charge les soins de santé des réfugiés sur un camp proche de la capitale où la CRBF et d’autres Sociétés nationales étaient déjà très actives dans le domaine des distributions, de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement ». Après une phase d’évaluation rapide et le déploiement de trois délégués des équipes de réponses aux urgences (ERU), la CRF est aujourd’hui en phase d’initiation de ce projet visant à renforcer l’accès aux soins à proximité du camp de Saagnioniogo, mais également à la prise en charge de tous les patients référencés depuis les différents camps du pays jusqu’à la capitale.

Renforcer les capacités de la Société nationale

Les conséquences opérationnelles de la crise et le développement rapide de programmes d’urgence ont également rappelé à tous les membres du Mouvement international Croix-Rouge et Croissant-Rouge l’importance de la coordination dans le soutien à la CRBF. A l’initiative de son directeur national, les différents représentants de la Croix-Rouge belge, luxembourgeoise, monégasque, espagnole, française, ainsi que du Comité international de la Croix-Rouge et de la Fédération internationale, ont élaboré ensemble un plan de contingence. Destiné à mieux anticiper les différents scénarii à venir et surtout, les ressources et moyens à mettre en œuvre dans la capitale et les différentes provinces. Pour tous, la coordination reste un enjeu majeur, tant dans la réponse immédiate aux besoins que dans la construction de stratégies de développement pérennes.

De nombreux défis à relever

La stratégie d’intervention de la CRF ne s’arrête effectivement pas seulement à la seule réponse directe à la crise malienne. En effet, les sites d’accueil des réfugiés maliens sont situés dans des zones de vie où les populations hôtes sont extrêmement paupérisées. Leurs besoins doivent ainsi être pris en compte au même titre que ceux des réfugiés, pour préserver un cadre propice à la culture de paix et de non-violence si chère à la population burkinabé. Les différentes évaluations menées sur le terrain auprès des populations ont mis en exergue d’autres types de besoins, nécessitant une approche transversale et complémentaire aux activités de la CRBF et des autres Sociétés nationales. C’est à ce titre que la province du Soum a attiré l’attention de la Croix-Rouge française. Située au nord du pays, cette région du Sahel est particulièrement pauvre. Régulièrement touchée par des périodes de forte insécurité alimentaire, elle accueille aujourd’hui près de la moitié des réfugiés maliens.

En complément des activités actuellement menées par d’autres Sociétés nationales (sécurité alimentaire, prévention et prise en charge de la malnutrition, amélioration des conditions d’accès à l’eau), la CRF finalise actuellement la conception de deux projets : le premier destiné à soutenir les agriculteurs des zones rurales et le second - soutenu par la Fondation Chanel - visant à améliorer les conditions de vie et l’autonomisation des femmes. En apportant outils, moyens et ressources de départ à des foyers ne possédant rien ou presque, la CRF souhaite leur permettre d’accroître leurs rendements agricoles par l’introduction de techniques innovantes et la mise à disposition de machines et outils, notamment. L’objectif est de générer des revenus, de promouvoir les rencontres entre ces communautés (réfugiées ou autochtones) et les autorités publiques, de créer des réseaux transversaux et viables.

L’abnégation de la population burkinabé et de la Croix-Rouge est à l’image de l’engagement fort et sincère du gouvernement qui reste très attentif aux besoins des populations réfugiées. Si le « pays des hommes intègres » a malheureusement pris l’habitude de faire face à bon nombre d’épreuves, jamais il n’a été confronté à une telle situation. Alors que le Mali voisin reste la priorité des médias et des bailleurs internationaux, le Burkina Faso ne doit pas être oublié. Et dans ce combat quotidien pour alléger les souffrances, toutes les initiatives comptent. 

[ Selon l’Indice de Développement Humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), le Burkina Faso est classé 183e pays sur 186 pris en compte dans ce classement.

Héloïs Ellien