Aout 1914. Quand sonne le tocsin de la déclaration de guerre en France, la Croix-Rouge se prépare depuis des années à soutenir l’effort du Service de santé des armées auprès des blessés militaires. C’est son rôle premier, celui pour lequel elle a été créée après la bataille de Solférino. Avec la tournure que prend la guerre, certains types de structures vont peu à peu s’ouvrir aux civils, réfugiés et rapatriés. Dés 1916, s’opèrent les prémices d’une véritable transition. Si la Croix-Rouge veille toujours sur le sort des soldats blessés, elle considère désormais aussi les civils comme de véritables victimes en cas de conflit armé. Cet intérêt pour la population civile se poursuivra bien au-delà de la guerre pour devenir la mission à part entière qu’on lui connaît aujourd’hui.

Un réseau prêt à affronter la guerre

Forte de 112 000 membres, 400 comités locaux et la confiance de l’armée, la Croix-Rouge française entre dans la guerre prête à recevoir les flots de soldats blessés. Tout au long de ces quatre ans de guerre, elle mettra en place prés de 1500  hôpitaux auxiliaires dans la zone arrière, 89 infirmeries de gare et 90 cantines de gare, fonctionnant avec prés de 68 000 infirmières diplômées. Ces structures lui sont propres et leur organisation, comme les missions de l’association en cas de guerre, est strictement règlementée par les décrets de 1892 puis de 1913.  La Croix-Rouge se dote partout où elle intervient d’un matériel de pointe, qu’il s’agisse de radiographie, de stérilisation des instruments ou de rééducation en passant par l’aménagement des convois d’automobiles chirurgicales. Elle sera présente dans les cantines du front jusque dans les tranchées, par les colis qu’elle envoie aux soldats, mais aussi par ses infirmières que l’armée réclamera en nombre toujours croissant : 3 000 d’entre elles seront engagées dans des hôpitaux militaires, essentiellement dans les zones d’évacuation. Elles suivent les soldats sur tous les fronts, du Nord de la France aux Dardanelles en passant par la Roumanie et la Serbie.

Dans les infirmeries et les cantines de gare, elles soignent et ravitaillent les soldats de passage, blessés, convalescents ou en permission. Avec le changement de tactique et l’enterrement de la guerre dans les tranchées en 1915, on décide de ne plus évacuer systématiquement les blessés vers l’arrière et de les soigner sur place. L’activité de ces structures se réduit. Déjà confrontée à la misère des civils en exode, Belges ou Français du Nord qui fuient l’invasion allemande et transitent par ces gares, l’association décide, en accord avec le ministère de l’Intérieur, de leur venir en aide. Eux aussi reçoivent, désormais officiellement, soins, nourriture, boissons chaudes et réconfort.

Vers un nouveau combat
Comment la Croix-Rouge vient à la population civile

En 1916, face aux flots de civils prisonniers en Allemagne et rentrant par la frontière suisse, le comité de Lyon décide, avec le conseil d’administration, d’organiser un service d’accompagnement des trains de réfugiés, répartis partout en France. Il s’agit là d’un soutien moral et sanitaire non négligeable pour ces femmes, enfants et personnes âgées épuisés et perdus, mais aussi d’une aide précieuse pour les autorités municipales qui les prennent en charge. Loin de chez eux, ils sont hébergés chez l’habitant ou dans des lieux d’asile montés en hâte par l’association, attendant fébrilement que les armées françaises libèrent les territoires envahis.

Lorsque les Allemands commencent à reculer leurs lignes du Nord et de l’Est, il ne reste souvent que ruines de ces zones occupées depuis 1914. Outre les destructions stratégiques des voies de communication, les bombardements, les armées en déroute ont appliqué une politique de la terre brûlée, dévastant les champs, faussant les instruments de travail, pillant et brulant les habitations de ces régions industrielles et agricoles. La population, restée sur place ou de retour par vagues d’un long exode forcé, est dans le plus grand dénuement.

La Croix-Rouge française s’y investit dés l’évacuation du front de la Somme et de l’Oise, aux côtés des mairies et d’autres associations. Confortée dans sa capacité de mobilisation et d’organisation constatée lors de ses interventions, suite au tremblement de terre de 1908 en Provence et aux inondations de la seine en 1910, elle n’hésite pas à s’engager dans une telle mission. En mai 1917, la première équipe s’installe dans l’Oise, à Baboeuf. Ce sont 44 permanences dans les régions dévastées qui vont dés lors se répartir dans 13 départements, afin de toucher 550 villages.

Aider un pays à se relever

Aux cotés des infirmières, des membres de comités Croix-Rouge viennent s’installer dans les villages aux quatre coins du pays. Ces permanences sont créées pour agir sur le long terme, au plus prés des besoins. Elles enquêtent, identifient les besoins, les priorités, afin de distribuer au mieux les ressources dont elles disposent, matérielles et financières, résultant d’appels à souscriptions, de dons publics et privés, et des liquidations d’hôpitaux auxiliaires. D’autres sociétés nationales de Croix-Rouge apportent leur contribution active, celle des Etats-Unis en tête.

Les opérations sont structurées en commençant par la répartition des maisons restées debout. Après une étude au cas par cas, il s’agit de procurer l’indispensable aux rescapés, de quoi se loger, s’habiller, se laver, se coucher, mais aussi travailler. Car l’objectif est de « restreindre le plus possible l’aumône au profit des dépenses de remise en valeur ». En effet, dans une volonté de revalorisation personnelle, la Croix-Rouge demande à chaque famille aidée de participer selon ses moyens, à l’exception des plus démunis. Il n’est pas question de charité, mais d’assistance.

Les comités apportent leur aide dans les démarches administratives ; pour trouver du travail ; fournissent des outils et des animaux de ferme ; contribuent à la création de syndicats et de coopératives agricoles ; et comme il faut aussi réparer les habitations qui peuvent encore l’être, ils financent également des chantiers de reconstruction.

Le besoin sanitaire est également considérable ; la population est physiquement très éprouvée par les privations et ces zones sont parsemées d’engins de guerre dangereux, souvent enterrés.

Il faut enfin aider les familles à se reconstituer ; retrouver les personnes dispersées ou emmenées en Allemagne ; aider aux rapatriements ; soutenir une population endeuillée, qui a subi quatre ans d’occupation et souvent tout perdu. Tout autant que son aide matérielle, c’est un soutien moral qu’apporte cette présence rassurante pour des milliers de civils traumatisés par l’occupation allemande.

Les années 1916 -1917 représentent un véritable tournant pour la Croix-Rouge. Elle ouvre ici un nouveau champ d’action, celui du secours sanitaire et social à la population, d’urgence puis de suivi, qu’elle avait déjà touché du doigt avec les dispensaires et l’assistance aux réfugiés. Elle met également en place une véritable méthodologie d’action dans ce domaine, pensée sur le long terme et constate ses grandes capacités de mobilisation, nationale et internationale. Cela se concrétise par l’inscription de cette nouvelle mission dans les statuts de la Croix-Rouge française et avec la création en 1919 de la Ligue des sociétés de Croix-Rouge. En cette fin de guerre, alors que la France est exsangue et dépeuplée, cette nouvelle approche est également un soutien considérable pour l’Etat qui se lance désormais dans une politique nataliste et sanitaire afin de relever le pays.

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