En France, quelque 4,3 millions de personnes accompagnent un proche âgé dépendant. Le rôle de ces proches aidants, acteurs clés du maintien à domicile, est souvent complexe, parfois éreintant. Il peine pourtant encore à être reconnu. A quelques jours de la journée nationale des aidants, le 6 octobre prochain, petit tour d’horizon.

Au départ, elle s’est dit que ce ne serait qu’un mauvais moment à passer. Quand Paul, son mari depuis plus de cinquante ans, s’est cassé le col du fémur et est rentré de l’hôpital à pas comptés, Madeleine a pris le relais. C‘était à elle, pour un temps, de changer les ampoules et de bêcher le jardinet. Mais Paul a lâché prise. Les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer sont apparus, longtemps masqués par la dépression.

L’ancien sportif de haut niveau, à la démarche élancée et au verbe haut, s’est peu à peu « recroquevillé », commente son épouse, a cessé ses promenades matinales le jour où il s’est perdu à hauteur de la maison des voisins. Madeleine a pris une femme de ménage quelques heures, s’est plongée dans la paperasse administrative jusque-là gérée par son Paul. Mais elle aussi était fatiguée. Prise par le tourbillon des tâches à accomplir, elle l’a oublié. S’est oubliée. Jusqu’au jour où c’est elle qui est tombée…

Par chance, leur fille Laurence a pu prendre quelques semaines de congés. Portage des repas, aide à domicile, passage infirmier, prise de rendez-vous avec un accueil de jour pour les patients atteints d’Alzheimer. Epaulée par Louisette, une voisine, la jeune femme a accompagné ses parents dans l’organisation d’un nouveau quotidien. Madeleine a accepté et a pu souffler un peu.

Aider… au risque de s’oublier

Pour Laurie, l’aide de vie de Paul et Madeleine, ces aidants « sont des héros du quotidien. Mais des héros presque invisibles et souvent fatigués », souligne-t-elle. Un point de vue corroboré par de nombreuses publications, mettant en avant les répercussions majeures que peut avoir la perte d’autonomie d’une personne sur ses proches.

Epuisement, anxiété, troubles du sommeil, douleurs dorsales, consommation d’antidépresseurs… selon l’étude « Aider un proche âgé à domicile : la charge ressentie », publiée en 2012 par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), 40% des personnes accompagnant un proche fortement dépendant se disaient ainsi dépressives. En 2015, l’Association française des aidants (partenaire de la Croix-Rouge française) posait un constat similaire : parmi les proches aidants interrogés, 48 % déclaraient avoir des problèmes de santé qu’ils n’avaient pas avant d’être aidants : problèmes de sommeil pour près de 61%,  douleurs physiques (63,5%), tandis que 59 % disaient se sentir seuls et près d’un quart déclaraient avoir augmenté leur consommation de médicaments. Sept aidants sur dix indiquaient par ailleurs ne pas s’accorder de temps pour leurs propres loisirs.

Des aidants en difficulté

La charge des aidants est aussi d’autant plus lourde que près de la moitié d’entre eux travaillent. Résultat, lorsqu’ils accompagnent un proche dépendant, les aidants encore en activité peuvent être amenés à mettre leur carrière entre parenthèses, à puiser dans leur stock de jours de repos ou de congés, ou encore à adapter leur temps de travail, quand cela est possible. Plus d’un aidant sur dix a ainsi été contraint de le faire, selon l’étude de la Drees. Interrogés au printemps 2016 par l’association France Alzheimer, 79 % des salariés aidants sondés déclaraient avoir des difficultés à concilier vie professionnelle et rôle d’aidant.

A ces difficultés organisationnelles, physiques et psychiques, s’ajoutent souvent des contraintes financières. L’association France Alzheimer a ainsi calculé que, lorsqu’une personne dépendante reste à domicile, le reste à charge pour les familles, une fois les aides déduites, atteint près de 600 euros par mois. Ce montant a beau être trois fois moins élevé que celui d’un séjour en maison de retraite – dite établissement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) – il n’en reste pas moins conséquent.

Martine, aidante auprès de son père

« Depuis trois ans que mon père est veuf, rien ne va plus. Résultat, je dois jongler entre son emploi du temps et celui de mes enfants. Je fais ses courses, je m’occupe de ses papiers, d’autant qu’il s’est plus d’une fois retrouvé à découvert sans s’en rendre compte.  J’ai organisé le passage d’aides à domicile et d’infirmiers, car depuis peu il a du mal à se laver seul. Un temps, j’ai même dû l’aider à faire sa toilette, car il refusait d’ouvrir la porte à "des inconnus". C’est épuisant… Même si nous avons aussi parfois de bons moments ensemble », souffle Martine, 47 ans. Un témoignage parmi d’autres, qui dit, à mots pudiques, ce que soulignait en 2011 une étude du Haut Conseil de la famille, à savoir que l’aide apportée par les aidants proches est en moyenne, et en volume, deux fois supérieure à celle fournie par les professionnels, allant de deux à cinq heures par jour.

Un rôle désormais reconnu par la loi

Combinée à l’accompagnement par des professionnels, l’aide apportée par les aidants proches est infiniment précieuse, ne serait-ce que parce qu’elle répond au souhait de l’immense majorité des Français désireux de pouvoir vieillir chez eux.

Engagées depuis plusieurs décennies, les politiques publiques visant à favoriser le soutien à domicile y font d’ailleurs écho. Or, la hausse à venir du nombre de personnes dépendantes laisse à songer qu’à l’avenir, leurs proches pourraient avoir de plus en plus de mal à assumer un rôle d’aidant. Ne pas pouvoir compter sur eux signifierait devoir augmenter le nombre de places d’Ehpad – une hypothèse coûteuse et ne correspondant pas au souhait de la plupart des aînés.

Peu à peu, l’aide aux aidants se pense donc. Pour la première fois, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV), adoptée le 28 décembre 2015, a d’ailleurs reconnu un statut à ces « proches aidants » accompagné de nouveaux droits, et notamment d’un droit au répit.

Le droit au répit

Concrètement, le droit au répit devrait concerner quelque 400 000 personnes. Il est réservé aux proches des personnes âgées dépendantes de plus de 60 ans bénéficiant de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie).

Synonyme d’aide financière, d’un montant maximum de 500 euros par an, il doit permettre aux aidants de prendre un peu de repos en finançant notamment un temps d’accueil de jour ou l’accueil temporaire de leur proche dépendant dans une structure adaptée. Mais pour en bénéficier, les proches aidants doivent ne pas pouvoir être remplacés – par un enfant ou un petit-enfant.

Le congé de proche aidant

Entré en vigueur le 1er janvier 2017, le congé de proche aidant, qui remplace le congé de  soutien familial  institué en 2007, permet lui aux salariés ayant au moins un an d’ancienneté dans leur entreprise d’interrompre provisoirement leur travail pour s’occuper d’un proche dépendant. Ouvert à tous les aidants d’une personne dépendante (parent ou ami), il peut être pris sous forme fractionnée ou à temps partiel, sa durée maximale étant d’un an sur l’ensemble de la carrière. Mais il n’est ni rémunéré par l’employeur ni indemnisé par la Sécurité sociale.

Des mesures encore méconnues

Parmi les autres mesures entrées en vigueur dans le cadre de cette loi ASV, citons aussi la possibilité de poser un congé de  solidarité familiale, lorsqu’un membre de sa famille est atteint d’une maladie mettant en jeu son pronostic vital - un congé de trois mois renouvelable une fois, durant lequel une allocation journalière destinée à compenser la perte des revenus est versée par la Sécurité sociale.

L’APA à domicile est par ailleurs revalorisée, à hauteur de 13 %, les plafonds des plans d’aide étant augmentés et le reste à charge réduit. Les équipes médico-sociales des conseils départementaux, chargés de déterminer l’APA des personnes âgées dépendantes doivent d’ailleurs désormais mener une évaluation de la situation incluant les besoins de leurs proches aidants. 

Ces nouvelles mesures, mêmes limitées, restent pourtant encore mal connues des Français. Comme le montrait un sondage OpinionWay réalisé au printemps 2017 pour l’institut de prévoyance Carac, seuls 4 aidants sur 10 ont entendu parler du droit au répit, seul 1 sur 10 sait précisément de quoi il s’agit et seuls 8% ont bénéficié de ce nouveau droit.

Se reconnaître aidant

Ce nombre limité de proches aidants ayant bénéficié du droit au répit « est aussi le reflet de la difficulté à se reconnaître aidant », explique Murielle Jamot, directrice des métiers sanitaires, sociaux et médico-sociaux à la Croix-Rouge française.

En tant qu’époux, enfant ou proche, l’aidant pense souvent qu’il est de son devoir de soutenir la personne fragilisée. « En réalité, ils ont souvent besoin d’informations, d’une aide psychologique, de lieux où rencontrer du monde, ou encore de structures leur permettant de souffler un peu. Accepter ces aides n’a pourtant rien d’évident. Cela demande du temps et de la confiance envers ceux à qui ils peuvent confier leur proche, même pour un moment », souligne Murielle Jamot, mettant en avant, à cet égard, le rôle majeur que peuvent avoir les bénévoles associatifs dans l’instauration de ce lien de confiance.

Par Elma Haro