Le jeu de rôle « On the run » vient d'être présenté par la Croix-Rouge libanaise aux responsables jeunesse départementaux de la Croix-Rouge française, réunis en formation à Paris.

Pendant six heures, 25 personnes se sont glissées dans la peau de demandeurs d’asile en fuite, et ont fait l’apprentissage de l’injustice, de la corruption et de la discrimination. « On the run » est un jeu idéal pour sensibiliser les adolescents aux difficultés rencontrées par les migrants.

Les combats font rage au Deldar, obligeant les populations à fuir vers le Haddar voisin. Heureusement, ces deux pays sont imaginaires et les réfugiés qui fuient sont… dans le bois de Vincennes. Ils jouent au jeu « On the run », créé par la Croix-Rouge norvégienne et présenté pour la première fois en France. « C’est un jeu de rôle mettant en scène les étapes du trajet de demandeurs d’asile. Les participants sont mis en situation et endossent des rôles très éloignés de leur quotidien.

L’objectif est qu’ils ressentent presque physiquement les difficultés rencontrées par les migrants pour mieux en prendre conscience », indique Caroline Soubie, responsable du service jeunesse à la direction du bénévolat et de la jeunesse de la Croix-Rouge française. « Sensibiliser les jeunes aux valeurs humanitaires, à la non-discrimination et à la tolérance est un enjeu essentiel », rappelle-t-elle : « le défi de la citoyenneté constitue l’un des cinq domaines d’action prioritaires retenus par les jeunes dans la déclaration jeunesse de 2010 ».

« On the run » dure de 6 à 24 heures, suivant les versions, et s’apparente à un vrai parcours du combattant : longue marche dans la forêt jonchée de mines antipersonnel pour rejoindre la préfecture et le consulat qui délivreront passeports et visas, attente interminable aux postes frontières, épreuves physiques décrétées autoritairement par les gardes-frontières… « Tous ces exercices visent à mettre progressivement les participants dans la condition psychologique d’un réfugié », souligne Lama Srour, bénévole à la Croix-Rouge libanaise, venue présenter le jeu à ses homologues français. Et ça marche, comme en témoigne Zelia Tari, bénévole dans l’Hérault : « Au bout d’un moment, c’est stressant. Les douaniers nous ont fait faire des pompes pour affirmer leur pouvoir. C’est un jeu bien sûr. Mais on sent que, dans la réalité, de tels abus sont possibles et qu’ils auraient pu nous frapper ».

A chaque étape, les tracasseries administratives sont la règle : bureaux fermés, formulaires compliqués, dépôt d’empreintes, problèmes linguistiques, examens médicaux fastidieux, interlocuteurs peu coopératifs voire corrompus... Parfois, un brin de négociation ou une cigarette offerte permet de soudoyer un vigile et d’obtenir un rendez-vous. Plus souvent, seule une somme d’argent permet d’obtenir la signature ou le formulaire requis. Une situation qui n’étonne pas Thameur Debouba, coordinateur adjoint à la jeunesse en région Paca-Corse : « Dans beaucoup de pays, il faut verser de l’argent pour obtenir les papiers dont on a besoin. Moi qui suis d’origine tunisienne, je connais cela. C’est malheureusement très proche de la réalité ».

La dizaine d’officiels auxquels ont affaire les réfugiés - gardes frontières, agents administratifs, médecins ou représentants du HCR (haut commissariat aux réfugiés) - sont joués par des bénévoles des Croix-Rouge libanaise et française. Ils sont plus vrais que nature. Cagoulés et armés, les gardes-frontières fouillent les candidats, confisquent les téléphones et hurlent à l'occasion. Les médecins portent la blouse et les formulaires qu’ils distribuent sont authentiques. Le parcours du jeu épouse toutes les étapes vécues par un réfugié réel, de sa fuite jusqu’au camp de réfugiés et au dépôt de sa demande d’asile.

En fin de session, chaque joueur se voit signifier s’il a réussi à obtenir le statut de réfugié, qui, selon la convention de Genève de 1951, lui permettra d’être accueilli dans un nouveau pays. Aujourd’hui, seuls deux joueurs y sont parvenus… Mais le but est atteint, comme en attestent les réactions lors de la séance de débriefing qui clôt le jeu. « On se rend compte qu’on donne beaucoup et qu’on reçoit très peu en retour », remarque Olivier Tyteca, responsable jeunesse de la Croix-Rouge Hautes-Alpes. « Il y a beaucoup d’injustice, renchérit sa collègue Marie-Esther Rouffet, du département de la Marne. On fait ce qu’on nous dit de faire mais cela ne suffit pas. On nous balade de droite à gauche ».

Tout le monde est d’accord, le jeu a permis de toucher du doigt l’extrême détresse dans laquelle les migrants sont plongés. Et chacun repartira dans son département avec le kit pédagogique d'« On the run », copié sur une clé USB. Tout y est pour organiser un nouveau jeu. Et faire en sorte que de plus en plus de jeunes prennent conscience de la violence des situations auxquelles sont confrontés les réfugiés.

Eric Dutheil