Missionnée par l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France, une équipe infirmière de la Croix-Rouge française, baptisée « équipe mobile rouge », sillonne les centres d’hébergement d’urgence de la région pour y réaliser des bilans de santé auprès des migrants et les orienter vers les structures de soins les plus adaptées.

Il est des larmes silencieuses. Et pourtant criantes. Comme celles qui coulent cet après-midi sur le visage émacié de Sohail*. Elles disent tout à la fois la douleur étouffée de l’exil de ce jeune père de famille afghan et la joie de pouvoir remercier ceux qui le soutiennent aujourd’hui : Sarah et Florian, infirmiers en mission pour la Croix-Rouge française, qui ont repéré l’infection dont il souffrait ; Leïla, la directrice du centre d’hébergement d’urgence d’EMMAUS solidarité à Epinay-sur-Orge (Essonne), et France Terre d’Asile, l’association qui l’a accompagné dans la constitution de son dossier de demande d’asile.

Sohail est arrivé en France en novembre dernier et son dossier a été posé à l’Offi (Office français de l’immigration et de l’intégration) il y a des mois déjà. Mais il n’a toujours aucune réponse. 

Depuis février dernier, Sarah Diab et Florian Descoutures, infirmiers, font la tournée des 36 centres d’hébergement d’urgence d’Ile-de-France, répartis dans sept départements : Epinay-sur-Orge, mais aussi Triel-sur-Seine, Romainville, Elancourt, Colombes… Missionné par l’agence régionale de santé (ARS), le binôme de la Croix-Rouge réalise une étude épidémiologique visant à orienter les personnes rencontrées vers les structures de soins les plus adaptées**.

Sarah et Florian ont déjà accompli l’essentiel de leur mission, censée s’achever au mois de juin. A chaque fois, il leur a fallu s’adapter à la spécificité des centres, gérés par diverses associations, ainsi qu’aux bénéficiaires.

« Nous travaillons en amont, avec les travailleurs sociaux, pour préparer notre venue. Nous expliquons notre mission, notre rôle, nous rassurons : non, les informations recueillies ne seront pas transmises à la préfecture ou à la police… », commente Sarah. Elle et Florian sont venus à six reprises à Epinay-sur-Orge. Autant de fois que nécessaire pour acquérir la confiance des plus sceptiques, des plus anxieux. 

La plupart des personnes sont originaires d’Afghanistan, du Soudan ou d’Erythrée, et encore du Kurdistan irakien ou syrien. Des hommes seuls, pour l’essentiel, et souvent jeunes, même si quelques centres dédiés accueillent des familles. Tension, pouls, glycémie capillaire, saturation, température, poids, taille…

Sarah et Florian sont équipés pour prendre les mesures physiologiques et biologiques de base. Mais le “bilan sanitaire d’orientation” qu’ils réalisent leur permet surtout d’interroger chacun sur son état global de santé : parcours migratoire, maladies chroniques ou aigues, dernière visite chez un médecin, éventuel refus de soins, difficultés d’accès aux soins, liens sociaux…   

A Epinay-sur-Orge, Sarah et Florian ont effectué une soixantaine de bilans d’orientation : 28 vers un médecin, 28 vers un dentiste, 33 auprès d’un psychiatre ou psychologue, une personne vers un ophtalmologue. Leur mission de santé publique « est un plus considérable pour nous », commente Leila Bouzidi, la directrice du centre. Leur intervention a notamment permis de gérer rapidement l’épidémie de gale à laquelle le centre a dû faire face, de déceler deux cas de tuberculose ou encore d’identifier des pathologies tues ou ignorées.

« Ce qui reste difficile, souligne Leila, c’est la prise en charge des traumatismes psychologiques. »

Les besoins sont criants : « Insomnies, angoisses, symptômes de stress post-traumatiques… Beaucoup souffrent de douleurs liées à la guerre, aux conflits qu’ils ont fuis, explique Sarah. Sans compter les stigmates des violences infligées par les autorités des pays traversés, notamment en Lybie mais aussi aux portes de l’Europe. » « Certains vont bien, ceci dit, tient-elle à préciser.  Aussi bien que possible au vu de ce qu’ils ont traversé et traversent encore. Mais, pour quasi tous, l’accompagnement soignant est nécessaire. Un accompagnement avant tout synonyme d’accueil, de bienveillance, d’écoute. »

*Le prénom a été changé

**A Paris, la même mission a été confiée au Samu Social 75.

Texte : Elma Haro

Photos : Martine Mouchy