Depuis quelques mois, médecins et infirmiers bénévoles de la Croix-Rouge française soignent les migrants que l’exil a menés au camp de Grande-Synthe, en banlieue de Dunkerque. Une mission menée en partenariat avec Médecins sans Frontières, Médecins du Monde et Gynécologie sans Frontières.

Il est assis, frétillant, sur les genoux de sa mère. De grands yeux noirs, aux aguets… Du haut de ses deux ans et trois mois, Dîmen* résiste comme il peut au Dr Elias Manache, bénévole de la Croix-Rouge française, qui examine sa gorge. Ce dernier diagnostique une angine, mais pas d’infection ni de fièvre.

Sa mère, Rêjne, explique à Dlev, l’interprète, qu’elle aussi est souffrante. La jeune mère de famille de 32 ans évoque une douleur à hauteur de la hanche. Le médecin songe à un potentiel calcul rénal…  mais il a détecté plus urgent : des multiples petits plaies consécutives à d’intenses démangeaisons.

Symptômes d’une gale mal soignée, maladie particulièrement contagieuse. A mots lents, pour être sûr d’être compris, il détaille sa prescription : quatre comprimés à avaler le soir-même en une seule prise, assortis de mesures d’hygiène strictes : tous ses vêtements et eux de ses proches doivent être lavés à haute température, couvertures et linges désinfectés à l’aide du spray que Virginie, l’infirmière, lui fournit. « La gale se transmet si facilement… Ici, au camp, il faut être très vigilant », insiste le praticien.

Rêjne remercie, prend son fils par la main, et s’échappe. La porte de la clinique  s’ouvre avec elle sur “le camp de la Linière” : une infinité de petits abris en bois. Près de 300 “shelters” (trad. abris), appelés ici par leur nom anglais, s’alignent à perte de vue sur un ancien terrain vague de la ville de Grande-Synthe, petite municipalité voisine de Dunkerque.

Financé par Médecins sans frontières (MSF), géré par l’association Utopia 56, le camp est né de la volonté des humanitaires d’accueillir dans des conditions décentes les milliers de réfugiés qui survivaient jusque-là dans le sinistre camp du Basroch, distant d’à peine quatre kilomètres.

Durant deux mois, en début d’année, les pelleteuses et les hommes ont œuvré, pour terrasser et drainer le terrain, bordé par l'autoroute et les voies ferrées, monter les cabanes de bois, apporter eau et électricité, installer douches et toilettes en nombre suffisant…

Ainsi, début mars, ce premier camp humanitaire français aux normes internationales a accueilli ses réfugiés - plus de 1 300 personnes, hommes, femmes et enfants, kurdes, à plus de 80 % originaires d’Irak, parfois d’Iran, plus rarement de Syrie ou d’ailleurs. « L’enfer de la boue a fait place à l’humanité. Comparé au Basroch, la Linière, c’est un cinq étoiles ! », commente Dlev.

La Linière est un camp ouvert, sans restriction de mouvements. Près des shelters, on souffle, on se pose, autour de petits feux de bois, sur lesquels grillent un poisson ou des brochettes. A l’entrée du camp, dans l’espace de vie commune, un point pétrole permet de recharger les réservoirs des poêles à fuel chauffant les cabanons.

Une laverie fonctionne depuis quelques jours, une école s’est construite, un espace de jeux animé par des bénévoles de tous horizons a pris forme… Des allées de gravier bordent les cabanons, égayés ici d’un drapeau kurde ou britannique, du nom d’une ville ou de graffitis évocateurs, tels ce “welcome to reality” inscrit en lettres écarlates.

Installé dans un bâtiment dédié, un espace de soins accueille ceux qui sont malades, sept jours sur sept. Les professionnels bénévoles de la Croix-Rouge française, présente à Grande-Synthe depuis le mois de février dernier, y reçoivent les patients les samedis après-midi et dimanche toute la journée, en relais des associations partenaires présentes en semaine et le samedi matin : Médecins sans Frontières (MSF), Médecins du monde (MDM) et Gynécologie sans frontières.

Après Rêjne et son fils, le Dr Manache et Virginie ouvrent la porte de la salle de consultations à Afran. Arrivé en France il y a quatre mois, le jeune homme souffre, d’une dépigmentation qui ne cesse de gagner du terrain. Elias Manache est perplexe. Mohsen, le second interprète, relaie ses questions. Le praticien demande à Afran de revenir deux jours plus tard, afin de pouvoir se faire accompagner par les soignants présents à la Permanence d’accès aux soins de santé (Pass) de l’hôpital de Dunkerque, qui sera alors ouverte. Il pourra voir un dermatologue.

Dans le couloir d’entrée de la clinique, la file de patients s’allonge. Des hommes en majorité, souvent jeunes. Des femmes et des enfants aussi - 22 femmes enceintes et quelques 170 enfants vivent actuellement dans le camp. « Le matin, c’est souvent plus calme -  car beaucoup ont tenté de passer en Angleterre durant la nuit et dorment quelques heures pour récupérer », explique Virginie, l’infirmière de la Croix-Rouge française.

« Bronchites, angines, rhumes, maux d’estomac… La plupart de ceux que nous voyons viennent pour des souffrances respiratoires, dues au froid, ou pour des problèmes dentaires», note-t-elle. Il y a bien quelques cas de gale, mais isolés. « Les soignants peuvent aussi avoir à examiner des plaies plus importantes, stigmates de violences physiques », explique Marc Pascal, coordinateur des opérations Nord pour la Croix-Rouge française.

« Ces violences sont souvent tues, souligne Mohsen, tout comme le sont les souffrances psychologiques qui, presque insidieusement, peuvent brusquement ressurgir ou émerger ici ». « C’est que, ne plus avoir à lutter pour dormir, manger ou s’abriter du froid, c’est aussi pouvoir à nouveau penser et parfois ployer, décompenser », explique Marc Pascal.

L’après-midi s’étire, touche à sa fin. Tandis qu’à la clinique Elias Manache et Virginie font le point sur le stock de médicaments et jettent un dernier coup d’œil aux informations médicales à transmettre aux collègues soignants qui seront là le lendemain, Dlev rejoint Marc, venu apporter à Rêjne des vêtements pour elle et les siens. 

Le coordinateur fourmille de projets, dont nombre sont déjà actés. La Croix-Rouge française, en partenariat avec la Croix-Rouge britannique, propose ainsi des formations aux gestes qui sauvent aux bénévoles des nombreuses associations présentes sur le camp. Marc Pascal est également en train de finaliser avec ses partenaires, MDM et l’Unicef, un projet de “safe house” : un lieu d’accueil, d’écoute et d’orientation pour les plus vulnérables sur le plan psychologique.

* les prénoms ont été modifiés

Texte : Elma Haro 

Photos : Pascal Bachelet