A l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère, la Croix-Rouge donne la parole à Didier Piard, Directeur de l’action sociale à la Croix-Rouge française: Un témoin privilégié de l’évolution de la précarité en France…

Voilà 17 ans qu’a lieu la journée du refus de la misère. Pour vous, qu’est ce que cette journée représente ?

C’est une journée symbolique, certes, elle permet une interpellation générale sur les questions de pauvreté et de précarité . C’est un moment de rassemblement, de questionnement, l’occasion de rappeler l’importance de ne pas oublier ceux qui aujourd’hui vivent dans des conditions indignes . Il est important que cette journée existe mais en même temps elle montre les limites de nos actions. Le contexte de crise économique et ses conséquences pour les personnes et familles vulnérables risque de ne pas s’arranger dans les mois et années à venir.

Pensez-vous que l’on parle toujours de la même misère ?

A la Croix-Rouge française, on préfère parler de précarité que de pauvreté. Les personnes vivant au-dessus du seuil de pauvreté peuvent néanmoins se trouver en situation de grande souffrance et de fragilité. La précarité peut-être économique, bien sûr, mais également physique, morale, sociale, affective, etc. Ne pas prendre en compte toutes ces dimensions, ce serait nier l’existence d’une frange de personnes dont le nombre est certainement très important mais difficilement cernable, appréhendable par les statistiques. Qui sont ces personnes en situation de précarité ? Ce sont les retraités, les travailleurs pauvres, les travailleurs à temps partiel subi, ce sont aussi les familles monoparentales, et les jeunes, de plus en plus nombreux à venir dans nos structures.

Ce sont des personnes qui touchent un revenu, ont un travail, un logement, une retraite, mais qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts.

Pour illustrer ces propos, je voudrais évoquer une enquête que la Croix-Rouge française a réalisé l’été dernier auprès d’une quarantaine de délégations Croix-Rouge proposant de l’aide financière aux personnes en difficulté. Les résultats sont assez significatifs. En effet, les aides dispensées pour payer les factures énergétiques (gaz, électricité, fioul) représentent près de 40% des aides allouées ! Ces aides sont destinées à maintenir les personnes dans leur logement. Car quand on n’a plus de "chez soi", on est effectivement aux portes de l’exclusion.

La pauvreté n’est-elle pas de plus en plus banale ?

Elle fait il est vrai de plus en plus partie du paysage. C’est sans doute là la conséquence d’une société de plus en plus individualiste, où le lien social s’est délité. On peut véritablement parler d’un délitement du lien social, qui laisse sur le bord du chemin les personnes. Notre rôle est de reconstruire, de retisser ce lien social indispensable, qui se faisait autrefois de façon naturelle, par le voisinage, la famille, le corps social. Cela doit même être une des priorités des acteurs de ce champ.

Nous avons mené il y a quelques mois une enquête auprès des personnes sans abri. Le premier besoin exprimé par la majorité des personnes interrogées est le réconfort, la volonté qu’on les reconnaisse comme des personnes à part entière, telles qu’elles sont, qu’on respecte leur citoyenneté.

D’après vous, quel regard portent les citoyens sur les personnes à la rue ?

Nos concitoyens sont souvent ambivalents sur ces personnes. A la fois ils expriment à chaque fois qu’on les interroge leur hantise, leur peur de perdre leur travail, de se retrouver demain SDF à la fois ils montrent une certaine défiance vis-à-vis des exclus en estimant qu’ils n’ont pas toujours fait ce qu’il fallait pour s’en sortir qu’ils sont trop assistés. Les questions d’exclusion ne fait pas l’objet de véritable débat au même titre que l’éducation, la justice, sauf parfois en période de grand froid.Je ne parle même pas des sans papier, déboutés du droit d’asile (seuls ou très souvent en famille) qui vivent à la rue ou dans des habitats de fortune, dans des conditions indignes, mais qui ne font l’objet d’aucune compassion de la part de nos concitoyens et à peine des pouvoirs publics.

Les pouvoirs publics doivent-ils se positionner autrement face à cette problématique ?

On peut se poser la question suivante : est-ce que notre société se donne les moyens suffisants pour éradiquer la pauvreté en France ? Tant qu’une société produit de l’exclusion, elle doit se questionner sur les processus qui conduisent à cette exclusion. On ne doit pas se contenter des "pansements" qui masquent une réalité et dont les effets ne sont ni curatifs ni préventifs.

Une politique de prévention, bien que plus coûteuse au départ, s’avère souvent plus efficace et finalement moins onéreuse qu’une politique de réparation permanente.

On laisse souvent la lutte contre la pauvreté au seul ministère chargé de l’exclusion sociale, alors que cette question devrait être traitée de façon globale, au niveau interministériel et jusqu’à Bercy. Il faut donc s’interroger sur la méthode, mettre en œuvre une politique mieux pilotée, plus volontariste, plus territorialisée.

Nous défendons l’idée de l’utilité d’un observatoire piloté (ou plutôt, le renforcement de l’actuel Observatoire National (ONPES) ) par les pouvoirs publics pour que l’analyse de la situation des personnes soit partagée. Car à ce jour il y a beaucoup trop d’éparpillement dans les études. Cette connaissance doit notamment être renforcée de manière systématique et stratégique. Il est également important de le faire de manière régulière. Une stratégie de connaissance efficace induit une stratégie d’action efficace. De ce point de vue, une approche avec un objectif clair et ambitieux, un but affiché, chiffré, quantitatif est indispensable.

Quel est le but des politiques publiques sur la question des personnes sans-abri ? "Zéro sdf" ? Pour réduite la pauvreté des enfants ? Baisse d’un tiers en 5 ans ?

Rappel historique

Le 17 octobre 1987, à l'appel du Père Joseph Wresinski, fondateur du mouvement ATD Quart Monde, 100 000 défenseurs des Droits de l'Homme se sont rassemblés sur le Parvis du Trocadéro, à Paris, en hommage aux victimes de la faim, de la violence et de l'ignorance, et pour dire leur refus de la misère et appeler l'humanité à s'unir pour faire respecter les Droits de l'Homme.

Le 17 octobre 1992, Javier Perez de Cuellar, ancien Secrétaire général de l'ONU, au nom d'un groupe de personnalités internationales rassemblées dans le Comité pour la Journée Mondiale du Refus de la Misère, lance un appel pour la reconnaissance du 17 octobre.Le 22 décembre 1992, le 17 octobre est proclamé Journée internationale pour l'élimination de la pauvreté par l'assemblée générale des Nations Unies.