L’épicerie sociale du XVème arrondissement de Paris, seule et unique structure de ce type dans la capitale, porte bien son nom : l’étape. Elle offre une aide alimentaire souvent providentielle - à des personnes en situation de détresse passagère. Un an après son ouverture, l’épicerie a largement démontré son utilité dans la chaîne de solidarité et de réinsertion sociale.

Catherine, mère de trois enfants en bas âge, vient se ravitailler à l’étape chaque mercredi depuis plusieurs semaines. Comptable de formation, elle s’est reconvertie en aide-soignante. Ce n’est pas le travail qui manque mais compte-tenu des horaires décalés, elle n’a pas d’autre solution que d’employer une baby-sitter. Or, son salaire ne le lui permet pas. Résultat, cela fait un an qu’elle « galère ». A ses côtés, dans la salle d’accueil, Laurence, mère-célibataire également, vient ici pour la première fois. Au RSA, elle attend de toucher l’argent de son livre de nouvelles qui vient de paraître. L’épicerie sociale lui permet de joindre les deux bouts durant cette période de transition.

« Les familles monoparentales sont de plus en plus nombreuses, constate Pascale, l’une des deux responsables de l’épicerie. De manière générale, la situation sociale dans le XVème arrondissement s’est fortement dégradée en un an ». Cela se traduit également par l’augmentation du nombre de personnes isolées et de cadres au chômage, avec pour conséquences directes des difficultés de paiement du loyer ou de relogement. La spirale de la précarisation commence alors. L’épicerie accueille majoritairement des personnes vivant dans des logements sociaux ou à l’hôtel ; des personnes dont les ressources sont temporairement limitées pour différentes raisons – chômage ou surendettement le plus souvent – et qui ont recours aux services sociaux. 

Du lien social avant tout

Comme dans la centaine d’épiceries sociales que compte la Croix-Rouge française, une participation financière modique - environ 20 % des prix publics – est demandée pour avoir accès aux denrées. Un budget hebdomadaire est fixé en fonction du quotient familial (ressources - dépenses incompressibles du foyer/nombre de personnes à charge) des bénéficiaires. Cette contribution est d’ailleurs appréciée, car elle répond à la fois à l’exigence d’autonomie des personnes et participe au maintien de leur dignité. « Les gens apprécient le fait de payer. Cela leur fait moins mal de venir ici », confirme Pascale.  Car il est difficile pour elles de franchir la porte la première fois. Les pleurs sont fréquents lors du premier entretien, renchérit Laurence, son binôme. « Le bureau d’accueil fait souvent office de bureau de décompressionC’est là que l’on perçoit toute la détresse des personnes accueillies ». La dizaine de bénévoles attache une attention particulière à la qualité de l’accueil  et de l’écoute. Ces temps de parole se font également autour d’un café ou en accompagnant individuellement chaque bénéficiaire dans les rayons.

L’aide est attribuée pour une période maximale de trois mois renouvelable sur examen des dossiers. En acceptant le principe de l'achat des denrées, les bénéficiaires s'engagent à respecter un accord pris éventuellement sous forme d'objectifs : le remboursement de dettes, un retard de loyers, l’acquisition d’un bien d’équipement, le financement d’un voyage scolaire, le paiement de la cantine, etc. L’aide s’inscrit ainsi dans une démarche de retour à l’autonomie. Néanmoins, reconnaît Pascale, « il est difficile de savoir si ces objectifs sont suivis et en quoi nous avons pu aider ces personnes à se relever ». Sa plus grande satisfaction est de revoir d’anciens bénéficiaires qui viennent saluer l’équipe et racontent comment ils ont réussi à se tirer d’affaire, à retrouver un emploi, à décrocher une place en foyer, à se reloger… Certains ont été orientés vers d’autres services de la Croix-Rouge française,  comme la lutte contre l’illettrisme, par exemple. 

Répondre mieux à la précarité grandissante

L’épicerie sociale accueille à ce jour 70 familles soit près de 250 personnes, autant dire qu’elle a atteint le maximum de sa capacité d’accueil. Pascale et Laurence, qui sont à l’origine du projet, sont en quelque sorte victimes de leur succès. Elles espèrent pouvoir ouvrir une troisième après-midi par semaine prochainement, afin d’améliorer encore l’accueil des personnes d’une part, et d’autre part, de pouvoir accueillir d’autres publics en situation de précarité, et notamment les étudiants.

En douze ans de bénévolat à la délégation Croix-Rouge du XVème arrondissement de Paris, Pascale a compris depuis longtemps la spirale de la précarisation et l’importance cruciale de l’’accompagnement des personnes en difficulté. Mais pour ce faire, il faut du temps, des bras supplémentaires, mais également développer des partenariats alimentaires stables et réguliers pour faire face à une demande toujours croissante ; les opérations de ramasse et de collecte hebdomadaires restent trop aléatoires. Et reste à Paris le problème du coût des locaux qui est le frein le plus fort au développement d’autres épiceries sociales.

Géraldine Drot