Alicia a 25 ans. Atteinte d’une myopathie qui entraîne des problèmes neuromusculaires et nécessite une aide respiratoire, elle est depuis son enfance en fauteuil roulant. Une situation qui n’empêche pas la jeune femme, titulaire d’un master en audiovisuel, de mener une vie sociale et professionnelle épanouie.

« Travailler, c’est plus d’organisation pour l’accompagnement et le transport mais c’est surtout moins de dépendance : quand on est très dépendant physiquement, avoir un emploi, son propre salaire, une vie sociale, ça permet de s’émanciper beaucoup, c’est super ! On se sent moins isolé(e), plus informé(e), on peut demander conseil... Et on s’aperçoit qu’on a tous des galères et des problèmes de santé qui ne sont pas forcément liés au handicap ! »

Alicia a emménagé seule depuis cinq ans. Elle bénéficie de l’aide d’une auxiliaire de vie 24 h / 24. Lorsqu’on l’interroge sur son parcours, la jeune femme évoque une scolarité marquée par des difficultés d’accessibilité. « A l’époque, les assistantes de vie scolaire, ce n’était pas encore très développé. Je  n’avais souvent personne pour m’accompagner à l’école maternelle et primaire, ce qui a réduit mon temps de scolarité, parfois à moins de 50 % ! Ma mère a dû complètement arrêter de travailler, ce qui montre combien le handicap a aussi un impact sur la santé de nos proches. »

A la sortie du lycée, Alicia est orientée vers le SESSAD de Villepatour, un établissement Croix-Rouge qui accompagne les étudiants en situation de handicap pour les aider à s’inscrire à l’université, à trouver un logement, à organiser leur transport… « Le SESSAD m’a permis de m’intégrer à l’université de Marne-la-Vallée où je faisais mon master. J’ai aussi pu bénéficier d’un soutien psychologique : les consultations avaient lieu sur mes heures de présence universitaires, entre deux cours. Ça m’a beaucoup aidée pendant cette période charnière. A l’époque, j’habitais loin de l’université et il y avait un contraste difficile entre la vie universitaire que je voulais investir pleinement et la réalité qui était que j’habitais encore chez mes parents. »

Au quotidien, il faut beaucoup d’énergie à la jeune femme pour mener une vie la plus autonome possible, notamment en ce qui concerne sa santé. « Ce désir d’autonomie a un prix pour moi : être confrontée à des problèmes d’adulte, de gestion, d’anticipation, à des rapports humains compliqués… C’est très fatigant d’être autonome, il faut toujours être sur le qui-vive, cela demande une certaine énergie physique et morale, plus que la  situation du handicap lui-même finalement… »

Pas toujours évident en effet de se retrouver seule aux commandes après l’encadrement structurant et rassurant proposé par le SESSAD.  Ainsi, Alicia compare généralement son parcours de soins à un parcours du combattant. Elle pointe non seulement les problèmes récurrents d’accessibilité mais aussi les pratiques des professionnels de santé qui par peur, par manque de formation ou par volonté de « rentabilité », refusent de recevoir en consultation une personne en situation de handicap parce qu’elle va demander plus de temps et d’attention… « Les services spécialisés pédiatriques m’ont permis de bénéficier d’un suivi très complet durant mon enfance et mon adolescence. Mais à partir de 21 ans, on doit gérer seul tous les rendez-vous et ça peut vite devenir décourageant. Au téléphone, je précise toujours que je suis en fauteuil. Certains médecins refusent de me prendre, ils ne se sentent pas préparés, même si leur cabinet est muni d’une rampe d’accès pour fauteuil roulant ! Beaucoup ont peur que ça leur prenne trop de temps donc à leurs yeux,  je suis une patiente moins rentable ! »

Souriante, impeccablement coiffée et maquillée, Alicia est une jeune femme coquette. Elle insiste : « Depuis toujours, j’attache beaucoup d’importance à mon apparence, pas de manière superficielle mais parce que ça me donne confiance en moi et parce que j’ai envie de montrer que je suis une femme avant tout. Je suis intransigeante sur ce point avec mes auxiliaires de vie ! Dans le secteur, faute de temps et de moyens, on priorise sur les besoins vitaux (manger, boire, dormir, etc.) et le reste est en option ! Le matin, je mets presque deux heures à me préparer. C’est une question très personnelle mais pour moi, il est indispensable de s’accorder ce temps. »

Et de conclure : « Au-delà de l’accès à la vie sociale et à la mobilité qui pour moi restent deux gros combats à mener en France, je prône beaucoup le respect de la dignité et de la liberté des personnes en situation de handicap. Ma famille et moi, on a su garder le contrôle sur notre ressenti, ce qui m’a permis de faire mes propres choix – qui s’occupe de moi, ce que je veux ou ne veux pas… Aujourd’hui je me sens épanouie au niveau de ma santé, à la fois physique et mentale. J’ai l’intention de continuer, j’ai l’impression d’évoluer, je ne me sens plus identifiée à une situation complexe et spécifique, je m’en suis détachée. »

Entretien réalisé en février 2017.

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