Pour la seconde année consécutive, la Croix-Rouge française a organisé le samedi 30 mars un grand concours, composé d'un quizz à thème et d'une simulation de procès à Lyon avec des étudiants de la France entière. Cet événement a pour objectif de contribuer à la diffusion du Droit international humanitaire (DIH) auprès du grand public, mais aussi dans le réseau Croix-Rouge.

« Promouvoir », « diffuser », « transmettre ». Au sein de l’imposant amphithéâtre Charles Mérieux mis à disposition par l'Ecole Normale Supérieure (ENS) de Lyon, les mêmes mots résonnent. A l’image du sémillant Cyril Perronnet, responsable départemental du pôle d’activité Education humanitaire et Droit international humanitaire, tous les intervenants ont la même motivation : faire connaître le DIH au plus grand nombre, « tant en interne qu’en externe ». Mais au-delà du simple enjeu de cette version lyonnaise du procès simulé, c’est l’objectif patent de l’association qui est mis en lumière. Comme l’explique Antoine Peigney, directeur des relations et des opérations internationales à la Croix-Rouge française, « notre appartenance au Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge nous confère des obligations et des responsabilités directement issues des dispositions des Conventions de Genève, à savoir : diffuser le DIH, le faire respecter et contribuer à son développement ».

Pour y répondre, la Croix-Rouge a donc induit une itinérance de l’évènement. Un an jour pour jour après la première édition à l'Ecole de Guerre de Paris, Caroline Brandao, responsable de la diffusion du DIH, justifie le choix de la métropole lyonnaise : « Lyon reste un pôle d'éducation à l’action humanitaire et au DIH très développé en termes de ressources humaines et de savoir-faire. Nous avons aussi reçu l’appui de la communauté urbaine du Grand Lyon pour ce projet ». Dans le hall de l'ENS, les stands sont nombreux. Du DIH au Raid Cross, des actions jeunesse à l’initiation aux premiers secours, les organisateurs ont pensé à tout pour capter des visiteurs déjà sensibilisés au DIH, « mais pas forcément aux actions de la Croix-Rouge », rappelle Cyril Perronnet.

Du pain et des jeux

Aux alentours de 10 heures, les 118 participants au quizz - répartis en une quinzaine d’équipes représentant autant d’universités, d’écoles militaires ou de délégations Croix-Rouge - prennent place dans l’amphithéâtre pour le début de l’épreuve. Ludique et convivial, le jeu n’en reste pas moins riche d’enseignements. On apprend, par exemple, au détour de questions axées sur le DIH, le Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, le Droit pénal international et le Rétablissement des Liens Familiaux (RLF), que les deux éléments constitutifs de la perfidie sont l'intention dolosive et l'appel à la bonne foi de l'adversaire (!), ou encore que le Mouvement a déjà reçu le Prix Nobel de la paix à quatre reprises au cours de son histoire…

Après la pause-déjeuner, l’audience s’ouvre. A l’instar de la première édition, le procès simulé est porté par des étudiants en droit et des élèves d'écoles militaires, inscrits au concours depuis près de six mois. Les 24 orateurs sélectionnés (répartis entre le bureau du procureur, les avocats des victimes et ceux de la défense) vont s’affronter lors de quatre joutes devant un parterre d’experts* jouant, pour l’occasion, le rôle de la Cour pénale internationale. Particulièrement innovant, le cas pratique de cette édition s’articule autour de ce qui pourrait être le conflit de demain : en 2020, l’Etat du Galaxtica a remplacé l'Homme par la machine dans le conflit armé qui l’oppose à Bolum. Mais dans cette guerre d’un genre nouveau, la machine est-elle à même de respecter le DIH? 

« Rendre le monde meilleur ou contribuer à son malheur »

Sur le banc des accusés, Zéphyrin Kafcax, chef du Commandement cybernétique de Galaxtica. L’ancien général comparaît pour crimes de guerre (robots-soldats programmés en violation du DIH), crimes contre l'humanité (attaques contre des populations civiles) et génocide (robots-soldats programmés pour détruire une certaine partie de la population de Bolum). « C’est un massacre ! ». La formule, lâchée d’une voix profonde, donne le ton. L’ambiance enjouée du quizz n’est plus qu’un souvenir et a laissé place à une atmosphère pesante, presque délétère. Protocole aidant, l'observateur est très vite imprégné du réalisme du scénario. Du coté des étudiants, le verbe est sévère, les visages fermés et les postures solennelles. Ce qui se joue sur la scène n’est ni plus ni moins que « le procès de la guerre moderne ».

La première équipe (Université de Nanterre) représentant le bureau du procureur, égrène les faits : lors de l’opération « Dissuasion informatique » du 4 septembre 2018, un hacker de l’armée galaxticienne a placé un virus dans les installations informatiques militaires bolumoises, entraînant la paralysie des systèmes civils qui y étaient rattachés. L'offensive a causé la mort de 3 000 personnes et provoqué une marée noire dévastatrice. Le bureau du procureur s’attache également à prouver un « plan de nettoyage » de la population bolumoise, opéré par les robots-soldats lors d'attaques sur des écoles et des hôpitaux. Impassible, le général Kafcax écoute sans ciller. De fait, il s’en remet aux étudiants de l’Ecole du Val-de-Grâce et de l’Ecole d’Administration Militaire. Dans leurs uniformes, les deux avocats de la défense axent leur argumentaire sur trois points : la contestation de la responsabilité du général, son respect du droit de la guerre et l'ambiguïté du dossier. L’échange est vif, les deux parties se rendent coup pour coup. L’avocat des victimes (Université Paris-Sud, Faculté Jean Monet) se lance alors dans une diatribe enflammée qu’il accompagne de gestes amples. Et lorsque la présidente de la Cour pénale internationale lui rappelle qu’il doit s’exprimer dans son micro, il répond plein d’aplomb : « les victimes n'ont pas de micro, je parlerai donc de ma voix ! » Devant l’insistance de la magistrate, il s’exécute à contrecœur, mais l’effet est réussi auprès du public…

Suivent les répliques, parfois houleuses, et les questions de l'assemblée des juges. Sous la houlette de Maître Jennifer Naouri, les experts pointent toutes les zones d'ombre, ne laissent passer aucun détail et se montrent extrêmement pointilleux, au point même de déstabiliser certains candidats.

Après quatre heures et autant de joutes, le jury se retire enfin pour délibérer et désigner les vainqueurs. Les délibérations sont électriques, et ô combien indécises ! La grille d'examencomprenant de nombreux critères (communication non-verbale, éloquence, qualité de l'exposé, connaissance du DIH, etc.), les candidats ont fortement compliqué la tâche des membres du jury par la qualité de leurs prestations.

C'est donc avec une grosse demi-heure de retard qu’ils finissent par rendre leur décision. L'Université de Paris X Nanterre obtient le prix de la meilleure plaidoirie, Lille II celui des meilleures conclusions et le prix du public, et Elena Grujicic décroche le prix de l'éloquence. Au final, la force des plaidoiries, la maîtrise du dossier et de l’argumentaire, le sens de la réplique, l'audace même de ces étudiants face à des professionnels impitoyables, ont produit une dramaturgie et un suspens des plus passionnants. A tel point, d'ailleurs, que le spectateur a presque regretté que la Cour ne délivre pas son verdict…

Koceila BOUHANIK