Créées en 2009, les équipes spécialisées Alzheimer (ESA) interviennent à domicile afin d’aider dans leur quotidien les personnes atteintes de la maladie. A Caen, le service de soins infirmiers à domicile (SSIAD) a mis en place depuis quatre ans une ESA pour tester cette approche.

Assis à la table de sa cuisine, Pierre, 88 ans, tente tant bien que mal de se concentrer. Devant lui, Clémence, l’une des deux ergothérapeutes de l’équipe spécialisée Alzheimer du service de soins infirmiers à domicile (SSIAD) de Caen, lui demande d’identifier des personnes célèbres sur des photos. « Ce sont les présidents de la République française, explique doucement Clémence. Savez-vous qui est notre président, aujourd’hui ? ». Pierre désigne une photo de François Hollande. « Bien ! Et comment s’appelle-t-il ? », demande-t-elle. « Hollande ! », répond-il fièrement. « Et son prénom ? ». Pierre ne s’en souvient pas. Clémence l’aide à retrouver le prénom manquant puis, peu à peu, les noms des différents présidents de la Ve République…

Pierre est atteint de la maladie d’Alzheimer, comme 860 000 personnes aujourd’hui en France. Et comme beaucoup de personnes touchées, il souhaite pouvoir continuer à vivre chez lui. Bien souvent, cette possibilité est exclue. Cette maladie devant laquelle les proches restent souvent démunis constitue la principale cause d’entrée dans une maison de retraite. Même les personnes légèrement atteintes n’y échappent pas ; seules 40% d’entre elles parviennent à rester à leur domicile*. Quand l’appel d’offre public pour des équipes pilotes spécialisées Alzheimer à domicile a été lancé, le SSIAD de Caen a tout de suite posé sa candidature. L’ESA de Caen a fait partie des 39 équipes pilotes à avoir testé le dispositif en France, entre 2009 et 2011. « Cela nous a semblé être une des solutions innovantes et expérimentales qui manquaient pour  aborder la maladie », souligne Michèle Patti, la directrice du SSIAD de Caen. 

Lutter contre l’oubli

L’ESA de Caen est composée de deux infirmières coordinatrices, de deux ergothérapeutes et de six assistantes en soins gérontologiques (ASG ; voir encadré). Cette équipe pluridisciplinaire, qui intervient sur prescription du médecin pour une quinzaine d’heures réparties sur trois mois, se rend directement au domicile de la personne souffrant d’Alzheimer. Les ergothérapeutes réalisent d’abord un test cognitif dit MMSE (Mini Mental State Examination), qui permet d’évaluer où en sont les personnes affectées concernant la mémoire immédiate, le langage, l’écriture, l’orientation dans le temps, dans l’espace, etc.

Elles mettent ensuite en place un projet personnalisé qui sera réalisé sur les 15 heures de séances. Au programme, des dessins, des descriptions, des jeux, mais aussi des promenades, des séances de piscine, de cuisine, etc. « L’objectif est de maintenir et stimuler les capacités cognitives des personnes, explique Odile Viaud, responsable du SSIAD de Caen, mais aussi de retrouver du plaisir et de la confiance en soi. Souvent, les personnes souffrant d’Alzheimer se replient sur elles-mêmes. Or, communiquer avec les autres et avoir des activités sont justement des moyens de préserver leurs capacités. » Claude, l’époux de Marie-Thérèse qui a pu bénéficier l’an dernier du dispositif souligne qu’« il s’agit d’une démarche sérieuse, qui stimule les 5 sens, c’est très intéressant », explique-t-il. Il a d’ailleurs constaté chez sa femme « une nette stagnation de la maladie ».

Mais l’accompagnement de l’ESA va aussi au-delà de ces exercices destinés à stimuler la mémoire. L’équipe plébiscite en effet une approche globale qui prend également en compte l’environnement physique comme social de la personne atteinte d’Alzheimer. « Nous cherchons à identifier dans l’environnement les atouts et difficultés, explique Odile. Par exemple : qui est présent pour aider ? Est-ce que la personne fait encore ses repas ? Son intérieur est-il adapté ? ». Bien souvent, le travail de l’équipe consiste à faire accepter à la personne accompagnée comme à ses proches la réalité de la maladie pour mieux leur permettre de mettre en place des solutions concrètes. Ce peut être trouver des moyens de compensation « comme des calendriers, des pictogrammes pour s’orienter, des cahiers mémoire dans lesquels on note les choses importantes », détaille Camille, ergothérapeute à l’ESA de Caen. Parfois, il s’agit aussi de solutions plus drastiques : couper le gaz devenu trop dangereux en cas d’oubli, renoncer à la conduite si celle-ci est difficile, accepter des aides à domicile si nécessaire... 

Porter aussi attention aux aidants

Dans cette dynamique, le rôle des « aidants », les proches qui prennent soin du malade, est primordial et l’équipe leur accorde une attention soutenue. « Beaucoup d’aidants nous disent que 15 séances, c’est bien, mais après ? », explique Camille. Une partie de notre travail est donc orienté sur les solutions relais après notre intervention : l’accueil de jour, les plateformes d’accompagnement et de répit, les formations d’aidant, etc. Il s’agit d’introduire la personne et ses proches dans un réseau d’aide. » Et ceci est d’autant plus important que « les aidants se sentent souvent totalement démunis face à la maladie, constate Odile, ils culpabilisent à l’idée de laisser la personne seule et ils ne connaissent pas du tout les suivis possibles ».

Jean-Pierre, qui accompagne au quotidien sa femme Jocelyne souffrant d’Alzheimer, confirme : « La maladie est fatigante, insidieuse… Chaque jour, vous voyez un petit quelque chose partir, un mot, un souvenir, explique-t-il. Les séances de l’ESA m’ont permis de me mettre en contact avec des professionnels, de mieux comprendre, et rien que ça, cela m’a beaucoup aidé. »

Après quatre ans d’existence, l’ESA de Caen pose un bilan satisfaisant. L’équipe a accompagné 134 personnes en 2012, « et nous avons en moyenne une liste d’attente d’environ 30 personnes », précise Camille. « Nous avons des retours très positifs, notamment des spécialistes comme les neurologues et les gériatres », souligne Odile qui constate également que l’ouverture de l’ESA « a permis de sensibiliser davantage l’ensemble du personnel à la maladie d’Alzheimer et de mutualiser les connaissances au sein du SSIAD ».

Et quels sont les retours des personnes accompagnées et des aidants ? « Globalement, on constate que l’accompagnement est efficace pour les personnes en début de maladie, explique Odile. Et quand on voit que certaines qui s’étaient coupées du monde retrouvent le sourire et de l’intérêt pour des activités, on sait que ça a marché. Mais, ensuite, quand les troubles sont plus avancés, c’est pour l’aidant qu’elle devient vraiment utile. »

*Chiffres 2011, Ministère de la Santé et des Affaires Sociales

Clarisse Bouillet