Philippe PitaudPhilippe Pitaud, professeur à l’université de Provence et directeur de l’institut de gérontologie sociale, est membre du collectif "Combattre la solitude". A travers une très large enquête nationale présentée fin septembre, le collectif, composé de huit associations dont la Croix-Rouge française, a voulu montrer combien l’isolement de nos aînés pouvait engendrer un sentiment de solitude. Philippe Pitaud explique comment cette solitude est un facteur aggravant d’exclusion et de souffrance.

Comment distinguez-vous solitude et isolement ?

Le collectif "Combattre la solitude" a choisi de mieux comprendre l’isolement et la solitude des personnes âgées et de mener les questionnements auprès d’elles en prenant le temps de l’échange. Pour avoir largement étudié la question, nous rappellerons que la solitude n’est pas simplement un sentiment d’isolement mais surtout une impression de ne compter pour personne. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une nouvelle situation au sein de nos sociétés modernes, à savoir, le grand isolement d’un nombre croissant d’individus, tous âges confondus.Certes l’on peut quantifier le nombre de visites que l’on reçoit de quelqu’un, distinguer la vie solitaire de la vie en couple ou en communauté, analyser le nombre des interactions entretenues avec la famille ou le voisinage, mais là encore, la relation n’est pas automatique entre ce que vit la personne et un éventuel ressenti de solitude. Le problème est un problème de lien, celui de la manière dont est assurée la participation de la personne à son milieu. L’on peut choisir de s’isoler, l’on ne choisit jamais la solitude car elle est souffrance, souffrance signal d’un déséquilibre de la relation organisme-milieu.L’exploration de situations de solitude montre qu’elles sont souvent vécues comme une exclusion ; une exclusion rendue encore plus insupportable lorsque la détresse psychologique s’accompagne d’un quotidien douloureux ou qu’elle se transforme en pathologie, source de souffrance.

L’avancée dans l’âge favorise-t-elle l’isolement ?

Parmi les paramètres menant à des situations de rupture en terme de lien social, on retiendra, en effet, l’âge. Si la majorité des personnes âgées est bien aujourd’hui insérée dans notre société, certaines sont marginalisées et vivent en retrait.Dans une vision large, et sans sous-estimer l’importance des facteurs individuels, nous affirmons avec les nombreux auteurs qui ont exploré le champ de la sociologie de la vieillesse, que l’avancée en âge demeure un facteur aggravant des risques d’exclusion. Elle peut ainsi être marquée par un processus de ruptures. Les personnes âgées sont confrontées à maintes pertes entraînant immédiatement ou de manière différée des ruptures du lien social, du lien symbolique, du lien économique et institutionnel.L’exclusion des "vieux" représente un enjeu politique, moral et social qui doit se concrétiser dans les faits. Cela implique l’existence d’organisations collectives basées sur la connaissance, la reconnaissance et la recherche de la citoyenneté de l’homme, avant même qu’il soit qualifié d’homme âgé. La prévention apparaît là comme le seul moyen de limiter, voire d’arrêter la spirale infernale de l’échec et de l’exclusion.La vie est constituée de ruptures comme des crises qui leur sont associées. On pensera l’existence humaine comme une succession de ruptures déterminantes de nombreux « avants » et de nombreux « après » qui tous, nous inscrivent dans des solitudes dont le dépassement s’inscrit dans un long cheminement personnel ; un cheminement qui nous mène au cœur de nous-même, qui n’a pour autre objet que la conquête éperdue et sans doute infinie de soi.

La lutte contre l’isolement et la solitude est-elle un enjeu associatif ?

Sur ce long chemin, les associations ont toujours joué un rôle majeur intervenant, ici et là, aux "frontières-limites" des interventions des services de l’État ou des collectivités locales. Dans le monde associatif, les acteurs sont avant tout, faut-il le rappeler, des militants et ils le prouvent chaque jour, souvent sans limites car leur foi en l’Humain est le moteur premier de leur engagement. Leur impact sur la cohésion sociale est loin d’être négligeable, notamment parce qu’ils agissent au quotidien sur la reconstruction, sinon le maintien du lien social insufflant de l’espérance et de l’amour là où le désespoir envahit les personnes les plus fragilisées, laissées pour compte par une société d’abondance qui semble avoir baissé les bras pour ne se préoccuper désormais que de ses profits comme de la conservation de ses intérêts.Parmi ces associations, la Croix-Rouge, héritière des grands ordres hospitaliers combattant la misère sous toutes ses formes, prend une bonne part dans l’effort collectif pour tenter de préserver l’équilibre "sociétal" dont on sait, comme pour notre écosystème, qu’il est en danger de mort lente.