Alors que les Français indiquaient dans un sondage il y a quelques semaines que le logement, la précarité, le chômage et le pouvoir d'achat étaient les thèmes qui pèseraint le plus dans leur choix pour la présidentielle, Jacques Cotta, auteur de "7 millions de travailleurs pauvres, la face cachée des temps modernes" publié chez Fayard, a mené une enquête journalistique de terrain pour faire l’état de cette pauvreté et "poser quelques questions à ceux qui nous gouvernent ou aspirent à nous gouverner". Interview.

Comment définissez-vous les "travailleurs pauvres" ?

Il existe des critères reconnus. Est considéré comme pauvre toute personne qui vit avec un revenu mensuel inférieur à 60% du salaire médian, soit 788 euros. La France en compte sept millions. Si l’on met la barre à 888 euros, 12 millions de personnes sont concernées. On voit donc à quel point la pauvreté est répandue et souvent invisible…Pour mon enquête j’ai rencontré des personnes dans une série de lieux - lieux de travail, foyers d’urgence, sous des tentes (un SDF sur trois a un travail), restos du cœur, marchés sur des places publiques, ANPE, etc. - ayant des revenus supérieurs au seuil de pauvreté sans pour autant pouvoir se loger, se soigner, se nourrir, s’habiller correctement ou élever leurs enfants dignement.Cette pauvreté a toujours existé. Ce qui est nouveau, c’est l’élargissement du phénomène, sa violence et la rapidité avec laquelle des couches entières qui n’imaginaient pas pouvoir être touchées sont aujourd’hui menacées et le sentent dans leur vie quotidienne.Les chômeurs ou rmistes qui profiteraient par choix de quelques allocations généreuses au détriment d’un travail leur permettant de vivre dignement ne sont qu’une infime minorité. En réalité, la plupart sont les victimes d’une situation qui leur ôte le droit au travail après un licenciement, une fermeture d’entreprise, ou un drame familial.

Comment expliquer ce phénomène ?

Il y deux questions centrales : le travail dans lequel la précarité prend son importance et le salaire. Depuis les années 83, le gel des salaires a été quasiment constant. Dans le même temps, le travail a été fragilisé. Au cours des ces dix dernières années l’intérim a augmenté de plus de 130%, les CDD de 60%, les CDI de 2% seulement. Cela concerne le privé mais aussi le public, toutes les professions et toutes les catégories.J’ai ainsi pu constater les conséquences du gel des salaires et de la fragilisation du travail auprès d’enseignants, de bouchers, de jardiniers, de laveurs de carreaux, de patrons déchus, de jeunes comme de retraités qu’on trouve parfois en train de "marauder" sur les marchés à l’heure de la fermeture…

Quelles solutions préconiseriez-vous ?

Il existe deux types d’approche pour tenter de remédier à la situation. La première qui relève du caritatif et semble faire consensus est importante, mais bien limitée au regard des enjeux. Elle présente en effet l’inconvénient d’un accord de façade au nom de la compassion et de la charité qui exonère les responsables de leur mission et d’une véritable action sur le fond. La seconde doit aborder les problèmes qui concernent les travailleurs pauvres : travail, santé, logement, salaire, etc.Par exemple, pour quelles raisons ne pas appliquer la loi de 1947 sur les réquisitions de logements vides pour permettre aux travailleurs pauvres qui vivent dehors de trouver un toit ? Lorsque des entreprises délocalisent alors qu’elles font des bénéfices, l’état ne devrait-il pas user de son droit de nationaliser pour éviter misère et chômage ? Lorsque la sécurité sociale est menacée, faut-il continuer de dispenser de cotisations sociales le capital financier ? Est-il acceptable de voir l’écart des richesses actuel, un patron de société partant avec des milliers d’années de SMIC en guise d’indemnités ? Est-il responsable de se soumettre aux directives européennes qui attaquent les services publics ou le droit au travail au détriment de ceux qui en ont le plus besoin ? Etc.

Les politiques ont-ils conscience de l’ampleur du problème ?

Il semble soudain qu’en période électorale émerge un certain intérêt pour ces questions. Nous verrons bien comment le débat va être mené dans les temps qui viennent. J’espère, c’est du moins la raison pour laquelle j’ai mené cette enquête, que les vraies questions ne seront pas évacuées. Et que la réalité ne sera pas déformée.