Dans le cadre de l'opération "Tous en Fête !", la délégation locale du IVe arrondissement de Paris a organisé une maraude de Noël, mercredi 23 décembre. L'occasion de revenir sur des rencontres parfois très intenses sur le terrain.

20 heures

C'est le coup de feu dans la délégation. Les bénévoles s'équipent, s'organisent et chargent la quarantaine de sacs marins dans la camionnette aux couleurs de la Croix-Rouge.

Ce soir, c'est "l'une des maraudes les plus sympas de l'année". Et pour cause, la greffe des maraudes de Noël sur l'opération "Tous en Fête !" y est pour beaucoup. Comme l'explique Philippe Le Gall, vice-président de la délégation, le plus important était de "pérenniser l'action".

C'est chose faite pour la délégation qui a même développé un partenariat avec l'établissement scolaire des Francs Bourgeois (primaire, collège, lycée), situé dans le quartier. L'idée étant que les plus grands constituent le sac à dos et que les petits y ajoutent un dessin. "C'est la jeunesse qui transmet un message d'espoir", explique le vice-président. De l'espoir certes, mais pas seulement.

Le sac contient en effet un kit complet d'hygiène, des stylos, une paire de chaussettes de randonnée et de l'alimentaire (dont une bûche, une galette, de la viennoiserie, des jus, etc.).

Pères et Mères Noël du quotidien

Au moment du départ, les cinq bénévoles au bonnet rouge sont détendus. L'itinéraire et les bénéficiaires sont connus. Et si froid est vif, les esprits sont au beau fixe.

Yvonne, la doyenne, Johann, Baptiste, Charlotte et Jennifer, dont c'est la première maraude, se rendent donc au premier "spot", Place des Vosges, à la rencontre de "Kaiser".

Sous une alcôve, dans un amoncellement de linge et de sacs, deux yeux brillants, au milieu d'un visage mangé par la barbe, voient approcher l'équipe de la Croix-Rouge. Un grand "Bonsoir !" et quelques questions plus tard, c'est le début d'un récit.

Kaiser est né à Tours en 1963, d'un père marocain et d'une mère bretonne.Un contexte familial qu'il décrit comme "difficile" à l'époque, et qui l'aurait poussé à arrêter l'école dès l'âge de 11 ans. Il vit alors dans la rue et devient le garçon de courses des prostituées.

Peu après, il se lance sur les routes, et parcourt la France en auto-stop. Il a 19 ans quand la police le rattrape finalement parce qu'il n'est pas recensé. Il est envoyé à Montlhéry, "au 1er régiment d'artillerie de marine" pour effectuer son service militaire. Son lieutenant le prend alors sous son aile et lui fait passer un CAP et le permis poids lourds, avec lequel il travaille comme chauffeur routier pendant une dizaine d'années. Mais la rue le rattrape, encore. Les souvenirs de Kaiser semblent intarissables.

Il évoque tour à tour un frère jumeau, également à la rue, une famille éclatée, des anciens compagnons de galère, son pseudonyme tiré du célèbre Usual Suspects, qu'il a acquis en allant voir le film deux fois au cinéma, de sa vie entière enfin, qui repasse au même moment devant ses yeux. Et lorsqu'on lui demande enfin ce qu'il pense de la maraude de Noël, il répond alors, pragmatique : "Même si Noël n'est pas ma tasse de thé, c'est toujours bon d'avoir des gens et de la chaleur à cette période".

Il est déjà temps de partir.

Le Noël du petit Mickey

Quelques minutes plus tard, les bénévoles de la Croix-Rouge longent les quais de Seine pour se rendre à "l'appartement". En fait d'appartement, un squat aménagé et presque indétectable situé sous le pont Louis-Philippe. A l'intérieur du local spacieux et éclairé, trois figures : James, Marco et Madame Colette.

L'électricité, tirée sur l'éclairage public, offre un tableau remarquable d'hétéroclisme : un pan de mur chargé de photos raconte en images le parcours des pensionnaires du squat. Des cd's empilés dans un coin révèlent quant à eux d'excellents goûts musicaux, dont un Jean Gabin, feutre sur la tête et regard pénétrant.

Une crèche de Noël contraste avec l'impressionnante collection de bouteilles d'alcools - éthyliques trophées - tandis que l'un des dessins réalisés par les élèves trouve rapidement sa place au pied du minuscule sapin qui dresse fièrement ses branches, à côté de la télévision. Dans le fond de la pièce, on aperçoit deux grands lits à demi cachés par la multitude de serpillières qui sèchent sur des fils, "pour les infiltrations".

Un portrait de l'abbé Pierre en guise de poster de star et Mickey, un petit roquet qui n'en finit plus d'aboyer, complète cette scène aux accents surréalistes.

James est le plus prolixe. De sa voix éraillée, un cigarillo fixé aux lèvres, il prend plaisir à raconter. A tout raconter. Sa précision de notaire quant à des évènements ou des dates d'il y à 10 ou 20 ans est stupéfiante. On apprend ainsi qu'il a 55 ans et qu'il vit ici depuis 21 ans. Marco, qu'il surnomme affectueusement "Papi", est arrivé il y a 22 ans. Il en a 72.

James plaisante avec l'équipe comme avec de vieux amis, relate sa rencontre avec Adriana Karembeu, raconte qu'il a été marié pendant plus de vingt ans. Et lorsqu'il parle de sa femme, la déchirure est visiblement profonde. Pourtant, l'espoir qui l'anime - 14 ans après leur séparation - l'est encore plus. "Je l'attends". Et le sourire refait surface quand il évoque sa fille et ses quatre petits-enfants en Vendée. Et d'annoncer fièrement, presque défiant : "Je suis Chouan".

James exhume alors un classeur rouge d'une vieille commode. Une mine d'or. A l'intérieur, des coupures de journaux et plusieurs pages dactylographiées racontant son parcours, sa vie.

Abandonné par sa mère avec ses deux frères et sœurs, il connaît la DDASS puis s'engage comme légionnaire. Il sert en Irak, en Iran et à Nouméa, est plusieurs fois grièvement blessé. Il touche aujourd'hui une petite pension, qu'il complète en faisant la manche, et en rigole : "700 les bons mois. ça me permet de prendre soin de mes petits vieux".

Une fois encore, l'heure du départ sonne sans que l'on s'en aperçoive. Sur le pas de la porte, James et Marco saluent les bénévoles longtemps après qu'ils soient partis, au rythme des aboiements de Mickey, incontrôlable.