Pendant deux ans, Pascal Bachelet, photographe, et Véronique Mougin, journaliste, ont suivi huit sans-logis, dans le but de savoir comment leur vie de famille survivait au manque de toit. Le résultat ? Un ouvrage passionnant qui mêle enquête et portraits.

Alors que 6 Français sur 10 craignent de se retrouver un jour à la rue, l’Insee estime qu’au cours de son existence, "une personne sur 20 s’est retrouvée sans logement". De plus en plus de familles sont concernées…

"Papa, maman, la rue et moi",L’ouvrage de Pascal Bachelet, photographe, et Véronique Mougin, journaliste, révèle la double peine dont sont victimes les plus précaires : sans toit à soi, la vie de famille trinque.

Interview.

Pourquoi enquêter sur la vie de famille des personnes sans logis ?

D’abord, nous avions envie de comprendre comment et pourquoi on devient sans-logis. Pour expliquer cette situation, on entend souvent parler d’"accident de la vie", de séparation ou de migration...

Nous voulions aller voir ce qui se cache derrière ces mots, et prendre le temps de comprendre quelles raisons, conjoncturelles, professionnelles, psychologiques, expliquent que quelqu’un se retrouve dehors et comment il s’en sort, ou pas.

Pendant deux ans, nous avons donc suivi huit personnes, preuves vivantes de la diversité des gens à qui "ça", la rue, arrive : des hommes, des femmes, des jeunes et des moins jeunes, des Français, des étrangers avec ou sans papiers. Point commun ? Ils ont tous une famille. Des parents, des enfants, des oncles ou une fratrie, un entourage synonyme de bonheurs ou de conflits, mais qui existe très fort dans leur histoire.

De cette vie familiale, les études ou reportages disent souvent peu de choses, comme si les SDF étaient forcément seuls au monde, forcément différents des gens "normaux". Alors même que de nombreuses familles se retrouvent aujourd’hui à la rue, c’est ce cliché persistant du "sans-logis sans famille" que nous voulions questionner.

Quels constats ressortent de cette enquête ?

Les sans-logis ne sont pas si isolés qu’on voudrait bien le croire. En revanche, leur vie de famille souffre du mal-logement, alors même que le maintien de relations familiales peut favoriser, de l’avis des experts, la réinsertion sociale. Pour fréquent qu’il soit (une personne sur cinq a été concernée en France), le fait de se retrouver sans toit induit un sentiment de honte très destructeur.

La plupart des adultes mal logés que nous avons rencontrés témoignent d’un manque d’estime d’eux-mêmes. Souvent, ils finissent par éviter leurs proches, pour leur dissimuler leur "déchéance"... L’exercice de leur parentalité est aussi mis en danger.

La vie dans l’insalubrité, chez des tiers ou à l’hôtel, est génératrice de promiscuité, de conflits, cercle vicieux qui peut aboutir à l’explosion de la famille, même si théoriquement le placement d’enfant "pour raison économique" est interdit. Quant aux foyers d’hébergement, confrontés à la présence grandissante de gamins, ils ne permettent pas toujours le maintien d’une vie de famille sereine. Beaucoup de femmes y sont hébergées avec leur progéniture : mais comment représenter l’autorité quand on vit soi-même sous le regard de travailleurs sociaux ?

Concrètement, les personnes hébergées en foyer ont souvent des frères, des sœurs, un ou une amoureux(se), voire même des enfants, qui vivent à l’extérieur. Mais comment continuer à les fréquenter ? Où recevoir ses gamins quand on est un papa divorcé hébergé en collectivité ? Comment rendre les invitations à ses proches ?

 Souvent, le règlement des centres d’hébergement interdit les visites. Ce genre de restrictions de la vie sociale s’explique notamment par des raisons de sécurité. Mais aussi, peut-être, par une difficulté à concevoir que les personnes sans-logis soient des gens "comme les autres", avec une vie familiale, parfois chaotique, mais réelle.

Quels sont vos objectifs à travers ce livre ?

Donner la parole aux sans-logis eux-mêmes, dont on parle beaucoup mais qu’on entend peu. Montrer les lacunes de la politique française en matière de logement et d’hébergement, vues par ceux qui les subissent. Mettre en lumière leurs luttes quotidiennes, et rendre leur statut de chef(fe)s de familles à ces hommes et ces femmes SDF trop souvent considérés comme solitaires, "assistés" ou résignés.