En 2016, 951 familles sont sorties de l’accompagnement social dont 521 via le Pôle régional et les SIAO franciliens.

En Ile-de-France, le nombre de personnes accueillies chaque jour à l’hôtel a dépassé le seuil fatidique de 30 000 en 2014. Nous sommes loin du dispositif d’extrême urgence créé il y a une quinzaine d’années par l’Etat pour mettre à l’abri des personnes à la rue. Le système est arrivé à saturation. Aujourd’hui, ce sont plusieurs milliers de ménages sans logement qui sont chaque jour orientés par les 115 d’Ile-de-France vers des hôtels disséminés dans toute la région.

Chaque famille dispose d'un référent unique

Ils y passent quelques nuits, plusieurs mois, voire plusieurs années, sans véritable accompagnement social et dans une situation de précarité désastreuse. Un rapport de l’observatoire du Samu social de Paris publié en octobre 2014 a fait l’effet d’une bombe en révélant pour la première fois les conditions de vie de ces familles sans logement fixe et le plus souvent à l’hôtel : 80 % vivent sous le seuil de pauvreté ; 86 % sont en situation d’insécurité alimentaire ; 18 % seulement d’entre elles travaillent ; un tiers n’a ni toilette ni douche dans sa chambre, sans compter l’isolement des familles et les conséquences sur la scolarisation des enfants. Pour toutes ces raisons, la DRIHL d’Ile-de-France a décidé de créer un « pôle régional d'accompagnement social des familles à l'hôtel ». La Croix-Rouge française a été retenue pour mettre en place et piloter ce projet expérimental.

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Le pôle régional est réparti sur trois sites : Limeil-Brévannes dans le Val-de-Marne, Romainville en Seine-Saint-Denis et Mesnil-le-Roi dans les Yvelines. Cette organisation permet de raccourcir les temps de trajet des soixante travailleurs sociaux engagés sur ce programme, et de pouvoir ainsi couvrir toute la région Ile-de-France. Le dispositif repose en effet sur les visites « à domicile », autrement dit, ce sont les travailleurs sociaux qui vont à la rencontre des familles hébergées à l’hôtel. C’est l’une des spécificités de la mission. En 2016, 18 787 visites ont été effectuées. Les quatre 115 de Paris et petite couronne orientent vers le pôle régional de la Croix-Rouge française les familles pour qui, semble-t-il, aucun suivi social de droit commun n’est mis en place. « Notre mission commence à partir d’un nom, prénom, coordonnées et adresse de l’hôtel, sans aucune autre donnée, explique Patricia Sagot, directrice-adjointe du pôle régional. L’accueil est inconditionnel, conformément à la loi de 1998 contre les exclusions. Les deux critères fondamentaux d’intervention sont l’extraterritorialité et le défaut d’accompagnement social. » La Croix-Rouge française est donc chargée d’accompagner 3 000 ménages dans cette situation ; des publics migrants en majorité, en attente d’une régularisation, des familles sans ressources, sans domiciliation...

L’affiliation comme base du travail social 

Chaque famille dispose d’un référent unique. Et comme chaque parcours de vie est différent, l’accompagnement se fait « à la carte » et sans contrainte de temps - l’intemporalité est une autre spécificité de la mission. Les travailleurs sociaux rencontrent les personnes dans leur chambre d’hôtel une fois par mois et maintiennent le contact par téléphone entre deux rendez-vous. Dans un premier temps, une évaluation sociale de leur situation est réalisée. L’ouverture de droits (accès à la CMU, demande de RSA, inscription à Pôle emploi, renouvellement d’un titre de séjour, aide financière ou alimentaire, démarches en vue d’une régularisation, soutien à la scolarisation des enfants, etc.) constitue souvent la première étape du processus d’accompagnement, avant d’envisager une sortie du dispositif hôtelier. Après plusieurs rendez-vous, un engagement mutuel est conclu avec le ménage qui décline les droits et devoirs de chacun liés à des objectifs communs. Un lien de confiance doit en effet s’établir pour mener à bien le projet. Car il ne s’agit pas de faire à la place de mais de faire avec. Fabien Descoubès, le directeur du pôle régional, mise sur une « stratégie d’affiliation » entre travailleurs sociaux et ménages. « L’équipe s’appuie évidemment sur un cadre administratif, c’est la base incontournable du métier, dit-il. Mais dans notre démarche d’accompagnement global des personnes, nous devons aller plus loin. Etre en affiliation avec le ménage signifie les remotiver, les remobiliser, leur redonner confiance en eux pour faire émerger des solutions.» Et toutes les stratégies sont bonnes à prendre : accompagner une maman au parc avec ses enfants, une dame faisant son marché, parce que c’est là qu’elle se sent le plus détendue, discuter autour d’un café, parler des enfants, etc. Ce sont souvent ces moments informels qui créent la relation de confiance et ouvrent de nouvelles perspectives. « L’hôtel est si déstructurant et enfermant ! Le système coupe tous les liens sociaux, constate Fabien Descoubès. Notre rôle consiste donc aussi à rompre l’isolement, le sentiment de fatalité, pour pouvoir envisager une intégration des familles et une solution de sortie.»

Pour ce faire, la Croix-Rouge française sollicite les huit Services Intégrés d’Accueil et d’Orientation (SIAO) franciliens lorsqu’elle préconise une sortie du dispositif hôtelier. Mais trouver de la place dans une structure d’hébergement relève de la gageure. Les centres d’hébergement d’urgence (CHU) comme les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) affichent complets, en dépit de l’ouverture de places supplémentaires chaque année ; l’offre du parc hôtelier est arrivée elle aussi à saturation. Quant à accéder à un logement social…

Pour un ancrage territorial pertinent

L’extraterritorialité est un facteur aggravant qui freine l’intégration des ménages et la sortie de l’hôtel. Pour bien comprendre la complexité du système actuel, prenons l’exemple d’une famille  accompagnée par le 115 de Paris. Ce dernier va l’orienter vers un hôtel dans l’Essonne (91). Le ménage ne dort donc plus sur le département dont il dépend. Combien de temps fera-t-il le trajet pour rencontrer son assistante sociale ou son conseiller à Pôle emploi, à raison de deux à trois heures de transport ? Quant à la scolarisation des enfants, n’en parlons pas ! « La distance finit par couper les liens, les points de repères et le suivi social se fait en pointillés, dans le meilleur des cas », explique Fabien Descoubès. C’est sur ce point en particulier que le pôle régional construit son approche, en mesurant le degré d’ancrage des familles sur leur lieu d’hébergement : les enfants sont scolarisés, la mère travaille dans le quartier ou bénéficie d’un suivi médical sur place, etc. Le pôle régional observe et additionne ainsi les points d’attache existants afin d’effectuer sa préconisation de sortie auprès du SIAO du département concerné. Pour reprendre l’exemple cité précédemment, la Croix-Rouge française transmettra dans ce cas une préconisation de sortie au SIAO Insertion de l’Essonne. « Définir un ancrage pertinent, tel est l’objectif et la porte d’entrée pour une intégration sociale », affirme avec conviction Fabien Descoubès.

La mission du pôle régional s’arrête ici, lorsque les ménages sortent du dispositif hôtelier ou n’ont plus besoin d’accompagnement. En 2016, 951 familles sont sorties de l’accompagnement social dont 521 via le Pôle régional et les SIAO franciliens. Difficile de se réjouir de ce bilan modeste, mais il est tributaire d’un système d’hébergement saturé et à bout de souffle. Une réflexion étroite est menée avec l’Etat pour tenter de casser le dispositif hôtelier et pointer les défaillances du système devenu incontournable.

Géraldine Drot

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