Récit de secouriste

Les secouristes de la Croix-Rouge française ont été les premiers à dire adieu aux victimes du massacre d’Oradour-sur-Glane. Ces événements les ont marqués à vie. Aucun ne s’en est jamais vraiment remis. Certains ont choisi de vivre dans l’anonymat, pour tenter d’oublier. D’autres, comme le chanoine Philippe Schneider, tiennent au contraire à témoigner, pour que nous n’oubliions jamais.

Des rumeurs inquiétantes circulent à Limoges, le soir du 10 juin 1944 : le village d’Oradour-sur-Glane aurait été incendié. Le docteur Bapt, délégué départemental de la santé, pressent une catastrophe. Il contacte aussitôt Philippe Schneider, séminariste, chef des équipes d’urgence de la Croix-Rouge à Limoges : « J’ai besoin de vous ! » lui dit-il. Tous deux décident de se rendre sur place dès le lendemain, en toute discrétion, pour en avoir le cœur net. Dans le même temps, une intervention officielle est en cours de négociation avec les autorités d’occupation.

Depuis le tramway qui relie Limoges à Oradour-sur-Glane, les deux hommes aperçoivent au loin des maisons encore fumantes. Ce n’est qu’en entrant dans le village, alors qu’ils entament leur prospection, qu’ils découvrent un paysage d’apocalypse, plongé dans un silence de mort. Tout est ruines et dévastation. Il n’y a plus âme qui vive, plus une seule maison debout, tout a été brûlé.

Quelques minutes plus tard, le docteur Bapt et Philippe Schneider aperçoivent un premier corps, flottant dans la Glane. « Nous reconnaissons le conducteur du tramway. Nous le sortons de l’eau, décidons de le cacher dans une grange, en attendant de le ramener clandestinement à la famille, le lendemain ». Les découvertes macabres se succèdent. Des hommes fusillés dans les maisons, dans les rues, dans les champs, fauchés en pleine fuite. La chaleur est étouffante. « Plus que tout, nous sommes saisis par l’odeur insoutenable de la mort. Elle me revient encore parfois, avec les images. »

En état de choc, les deux hommes rentrent à Limoges pour alerter les volontaires encore disponibles, de jeunes hommes à peine sortis de l’adolescence pour certains, issus du séminaire et de l’École nationale professionnelle de Limoges.

Le matin du 13 juin, cette fois officiellement, les équipes de secours se rendent à Oradour-sur-Glane. Sur les plateaux de marchandises, des cercueils, des outils et de la chaux. Équipés de gants de caoutchoucs, de blouses et de masques, les secouristes entament leur funeste travail. Ils cherchent et relèvent des dizaines et des dizaines de corps, enfouis sous les décombres ou entassés dans des charniers à peine camouflés. « Ceux que nous pouvions identifier, grâce aux papiers d’identité qu’ils portaient sur eux ou à leurs bijoux, étaient placés dans des cercueils, les autres transportés vers des fosses communes, à l’aide des volets des maisons en guise de brancards ». Les corps jetés dans le puits ne seront pas remontés. Le jeune Dupras, parce qu’il est le plus mince, descend au fond. « J’ai pu remonter un corps de femme, dit-il. L’état des corps était tel que nous avons préféré les laisser là et faire de ce puits leur sépulture ». Seulement 10 % des 642 victimes du massacre pourront être reconnues.

Les recherches durent 8 jours. Entre 140 et 170 secouristes sont désormais mobilisés à Oradour-sur-Glane. Les fouilles dans l’église sont les plus fastidieuses. « Ce n’était plus qu’un tapis de cendres, nous en avions jusqu’aux genoux. Nous les ramassions à la pelle pour tenter d’identifier chaque objet retrouvé et mettre à part les fragments d’os. Nous avions la certitude que tous ces gens avaient été tués à l’intérieur de l’église. On saura plus tard que ces cendres étaient constituées à 80 % de cendres humaines… Nous avons notamment récupéré une boucle d’oreille appartenant à la fiancée d’un jeune secouriste et les lunettes d’un petit garçon ». Les preuves du massacre perpétré ici sont partout : les murs sont criblés de balles, une caisse contenant sans doute une bombe au gaz est découverte sur le sol. « Deux femmes ont tenté de fuir par les vitraux. L’une d’elle a succombé à sa chute. Tous ceux qui auraient pu échapper aux tirs des soldats ont succombé aux flammes ou ont péri écrasés par l’effondrement de la toiture ».

« Le soir, en rentrant chez mes parents, j’étais incapable de dire un mot, tant j’étais sous le choc. Ma mère qui m’aidait à me dévêtir brûla un jour tous mes vêtements tant l’odeur était insoutenable. »

L’intervention des secouristes n’est pas sans danger car la région est encore occupée. « Le jeudi 15 juin, alors que nous arpentions les alentours du village pour vérifier que nous n’avions oublié aucun cadavre, des soldats allemands font irruption à Oradour. » Les secouristes, devenus des témoins gênants, craignent pour leur vie. Or, les soldats sont venus récupérer les lapins, les poules encore vivants. Le docteur Bapt et l’une des assistantes sociales sont malgré tout tenus en joue et des coups de feu sont tirés.

Au fur et à mesure de la découverte des corps, le déroulement du massacre se précise. Les soldats ont séparé les hommes des femmes et des enfants. Les premiers ont été rassemblé dans des granges puis fusillés, tandis que les seconds ont été réunis dans l’église pour y être brûlés vifs ou fusillés. On dénombre au total 642 victimes. Six personnes seulement en ont réchappé.

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