Lise Bentata est l’une des deux psychologues qui interviennent au Centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) de Salon de Provence. Que ce soit dans les ateliers collectifs ou lors de consultations individuelles, son objectif est de libérer la parole, de laisser s’exprimer toute la souffrance accumulée dans leur vie d’exilés, pour arriver à survivre.

Environ 24 familles, dont une cinquantaine d’enfants, sont actuellement suivies au CADA de Salon de Provence. Certaines sont arrivées en France il y a près de deux ans d’Afrique Subsaharienne, du Kenya, du Nigeria, de Guinée ou du Soudan. Toutes sont suspendues à une réponse à leur demande d’asile. Le temps d’attente peut varier de trois mois à trois ans, la pandémie de Covid-19 ayant considérablement ralenti le rythme des procédures, explique la cheffe de service, Gabriela Barbu. Une attente interminable pour beaucoup, d’autant que seulement 30 à 40 % des demandes aboutissent à une réponse positive, précise-t-elle. « Un stress majeur, observe la psychologue, Lise Bentata, aussi fort que les souffrances vécues.

Ce sont des personnes dont le passé est chaotique et pour qui l’appréhension de l’avenir est d’une incertitude extrême. Elles vivent donc dans une insécurité permanente. » Elle a beau connaître ce public par ses différentes expériences professionnelles et associatives passées, la psychologue découvre ici un nouvel univers. « Je suis là de façon transitoire, jusqu’à ce qu’une réponse leur soit donnée, souvent le couperet », dit-elle avec amertume.

Réparer les vivants

Épaulée par un éducateur spécialisé, elle anime des ateliers en groupes et assure des consultations individuelles, lorsqu’une situation de détresse est signalée. Le CADA a pu mettre en place le projet « Kintsugi », grâce à un financement obtenu en 2020 dans le cadre d’un partenariat avec Salon Action Santé. Le Kintsugi est un savoir-faire ancestral japonais de réparation des porcelaines cassées à base de coutures d’or. Autrement dit, on tient compte du passé pour créer un nouvel objet sublimé. La réparation, cependant, mériterait plus de temps. « Tous auraient besoin d’un suivi psychologique, d’une thérapie de soutien, affirme Lise Bentata, car 100 % personnes que j’ai rencontrées présentent des troubles de stress post-traumatique**. Ces symptômes peuvent prendre des formes multiples et plus ou moins graves : difficultés à dormir, peur constante d’une menace, réminiscences de violences vécues, anxiété, peur du noir ou de la solitude, un état de vigilance permanente ». Ces maux expriment la perte, le deuil de leur pays, de leur famille. Beaucoup ont perdu des proches ou sont sans nouvelles de leur famille. « Ce sont des personnes anéanties, qui ont été utilisées, abusées, vendues, extrêmement fragiles psychologiquement », constate Lise Bentata. Des blessures profondes, intrinsèques à l’exil, que beaucoup taisent. Libérer la parole est un premier pas vers la guérison, mais il faut avancer en douceur.

Lever les freins

« Lors des entretiens, l’authenticité est de mise, plus que tout, explique la psychologue. L’authenticité et l’empathie. Se mettre à la place d’une personne arrivée dans un pays qui n’est pas le sien, dont la langue et la culture lui sont inconnues, dont les conceptions de vie sont diamétralement opposées aux nôtres ». Alors, Lise Bentata prend le temps de connaître la situation géopolitique de leur pays d’origine, les us et coutumes, les croyances… « Tout l’enjeu est de créer un climat de confiance, une relation sécurisante pour les aider à s’ouvrir et à survivre », dit-elle. « Je ne cherche pas à savoir d’emblée ce que la personne a vécu. Je veux lui laisser la possibilité de dire ce qu’elle souhaite dire, pour prendre le contrepied de ce qu’elle a vécu jusqu’ici. On a toujours fait ce qu’on voulait d’elle. Moi je veux lui montrer que c’est elle qui maîtrise la situation, qui décide ». Pour ce faire, elle doit parfois expliquer qui elle est, ce qu’elle fait. « Psychologue, pour certains, ça ne veut rien dire. Ça n’existe pas dans leur pays ».

La prise en charge psychologique de ces personnes doit parfois passer par de la créativité pour faire face à la barrière de la langue et de la culture et que dans ce cadre on peut tout essayer : partage d'un café, écoute d'une musique, utiliser une carte du monde ou des photographies, échanger par whatsapp un soir d'inquiétude, etc.Je pose des questions très ouvertes au départ, puis je vais essayer de voir ce qui anime la personne. Les enfants, la famille… Très vite, ce sont les souffrances de la perte, de l’exil, qui s’expriment. « Certains me remercient. C’est la première fois qu’ils peuvent parler de leur vie privée parce que ça ne se fait pas dans leur pays, parce que ça peut se retourner contre eux. C’est une vraie libération pour eux de parler ». Plus que des histoires, ce sont des paroles qui la touchent. « Celles d’une dame qui a eu accès à des cours de français, cela a été pour elle une résurrection. Elle était tellement fière de pouvoir me dire quelques mots en français ! » Ce sont des pleurs aussi, des larmes libératoires d’un jeune homme déchiré par l’exil. Pleurer est un premier pas.Ceux qui sont déboutés ne relèvent plus des dispositifs des CADA. C’est compliqué pour moi comme pour les professionnels du CADA qui se sont investis auprès d’eux. Il faut leur expliquer qu’ils ont obligation de quitter le territoire. Une autre rupture dans un parcours de ruptures. On répète l’histoire, c’est difficile à assumer.

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*Les Centres d’Accueil de Demandeurs d’Asile (CADA) offrent aux demandeurs d’asile un lieu d’accueil pour toute la durée de l’étude de leur dossier de demande de statut de réfugié. Cet accueil prévoit leur hébergement, ainsi qu’un suivi administratif (accompagnement de la procédure de demande d’asile), un suivi social (accès aux soins, scolarisation des enfants, etc.) et une aide financière alimentaire. Les CADA sont en général gérés par des associations ou des entreprises.**Les troubles du stress post-traumatique (TSPT) sont des troubles psychiatriques qui surviennent après un événement traumatisant. Ils se traduisent par une souffrance morale et des complications physiques qui altèrent profondément la vie personnelle, sociale et professionnelle.

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