Pays troublé d'Afrique de l'Est, le Soudan fait l'objet d'une attention particulière de la Communauté internationale. En mars dernier, le gouvernement Soudanais ordonnait l'expulsion de 13 organisations humanitaires internationales. Une décision qui a nécessité une réorganisation des acteurs toujours présents sur place afin d'assurer la continuité de l'action. A la demande du Croissant-Rouge Soudanais (SCRS), la Croix-Rouge française s'est mobilisée.

Plus grand pays d'Afrique (2,5 millions de km2), peuplé de 38 millions d'habitants, le Soudan est riche en ressources pétrolières et minières. Pour autant les indices de développement le placent parmi les 49 pays les moins avancés et depuis son accession à l'indépendance en 1956, l'histoire du pays est marquée par des phases successives de tensions politiques et de guerres civiles ayant causé plusieurs millions de morts, de déplacés et de réfugiés.

Situé à l'Ouest du Soudan, le Darfour est l'une des régions les plus touchées par l'instabilité et la violence. Depuis février 2003, ce territoire frontalier du Tchad est devenu un espace d'affrontements meurtriers entre les forces gouvernementales et plusieurs factions rebelles dont les civils ont été les premières victimes : plus de 200.000 morts, 4,5 millions de personnes affectées, 2,6 millions de personnes déplacées et plus de 260.000 réfugiés font du Darfour la 1ère crise humanitaire au monde.

Mission d'évaluation

Sollicité par la Société du Croissant-Rouge Soudanais (SCRS), une mission d'évaluation de la Croix-Rouge française (CRF) a été dépêchée sur place pour envisager les actions nécessaires pour pallier l'expulsion, début mars, de 13 organisations humanitaires internationales.

Professionnel rompu aux situations d'urgence, Richard Fradin faisait partie de l'équipe de quatre personnes détachées par la CRF durant quatre semaines. L'analyse qu'il fait du contexte soudanais se veut objective et mesurée. "Après l'expulsion des ONG, les organisations qui ont été autorisées à rester se sont réparties les besoins. Ils sont globalement bien couverts aujourd'hui, particulièrement dans la région du Darfour qui a fait l'objet de toute l'attention internationale". Rassurant sur la situation au Darfour, Richard Fradin se montre beaucoup plus préoccupé en ce qui concerne le reste du pays, très difficilement accessible aujourd'hui. "De nombreuses régions, notamment le Sud Soudan, sont en revanche dans une situation beaucoup plus préoccupante. Elles ne bénéficient pas de l'attention médiatique ni de l'aide humanitaire. Les conditions de vie y sont aujourd'hui déplorables. L'accès y est très difficile et la situation politique extrêmement volatile. On peut craindre que le Sud Soudan soit prochainement le lieu d'affrontements notamment sur la question de la répartition des champs pétrolifères qui doit être tranchée dans les prochains mois".

L'action du Mouvement

Avec 1671 collaborateurs locaux et 153 expatriés, la mission du Comité international de la Croix-Rouge au Soudan est la plus vaste menée par le CICR à travers le monde. Au Darfour, le CICR axe ses activités "sur les zones rurales et reculées où les besoins restent les plus pressants", explique Jordi Raich Curco, chef la mission du CICR au Soudan. "L'objectif de son approche est double : répondre aux urgences en fournissant une assistance (vivres, articles ménagers, services de santé) aux personnes en détresse et aider à préserver les moyens de subsistance des personnes en danger de façon à ce qu'elles ne deviennent pas dépendantes de l'aide humanitaire. À cette fin, le CICR se concentre sur l'amélioration de la production agricole et des services vétérinaires, la réhabilitation des principaux points d'eau vitaux et le soutien aux dispensaires et aux services pour amputés".

L'équipe d'évaluation de la CRF s'est rendue au camp de Gereida, où 135 000 déplacés internes ont trouvé refuge, pour certains d'entre eux depuis déjà 6 années. Richard Fradin se dit impressionné par la qualité de l'action menée par le CICR. "Le camp est extrêmement bien organisé. Par certains aspects il ressemble à un gros village car les parcelles entre les familles sont assez aérées. Un habitat de type traditionnel y a été reproduit et les familles disposent d'un enclos fermé afin de reprendre une activité économique, même si elle reste nécessairement limitée. Dans cette région du Soudan où les contraintes logistiques sont considérables (absence de route, problème de sécurité récurrent), assurer à plusieurs milliers de personnes l'accès à l'eau, à la nourriture et à des services de santé d'aussi bonne qualité est une prouesse".

 Passage de relais

"Le CICR n'a pas vocation à rester à Gereida", poursuit Richard Fradin. "Aujourd'hui la situation y est stabilisée et le CICR souhaite mobiliser ses moyens vers des régions plus vulnérables et reculées. Se désengager de la gestion d'un camp aussi important nécessitera une transition et le CICR souhaite pouvoir s'appuyer sur des institutions solides, capables d'assurer une continuité dans la qualité des services. La Croix-Rouge française pourrait reprendre progressivement le relais en ce qui concerne le réseau d'assainissement du camp, et peut-être à terme l'accès des bénéficiaires à l'eau potable".

Pour la Croix-Rouge française, l'enjeu est de taille. Mobiliser son expertise en matière d'eau et d'assainissement auprès de 135.000 bénéficiaires est un défi opérationnel. "En superficie le Soudan est plus de 4 fois plus grand que la France. Les grands axes y sont très rares et l'on s'y trouve facilement isolé. C'est l'un des contextes humanitaires les plus difficiles dans lesquels la CRF intervient" souligne Richard Fradin. Pour autant il insiste sur la nécessité de cette mission, qui vise à répondre aux besoins du présent et à anticiper ceux à venir. "Le fait d'être présent au Soudan nous permettra d'assurer une veille quotidienne. Ce pré-positionnement de nos capacités humaines et logistiques nous permettra d'intervenir immédiatement en cas de détérioration de la situation humanitaire, notamment au Sud Soudan".

Interview réalisée par Jérôme Grimaud