Lyon : un camion-douche pour garantir un accès à l’hygiène pour tous
Publié le 25 juin 2025

Notre camion-douche est à peine garé dans les allées du Jardin des Chartreux, perché sur les hauteurs de Lyon, qu’une trentaine de jeunes hommes font déjà la queue. « C’est combien de minutes par douche ? », demande l’un d’entre eux à Estelle, référente Eau, hygiène et assainissement au sein de notre dispositif d’Intervention en campements informels (ICI) du Rhône. « Sept ! », répond-elle. « C’est beaucoup. Vous savez, on est nombreux, on fera plus vite ! », promet Moussa*, jeune Guinéen de 17 ans, serviette sur l’épaule. Après avoir raccordé le camion-douche à la rampe d’eau - installée deux mois plus tôt par la régie des eaux publiques lyonnaises dans le cadre de notre partenariat avec Eau publique du Grand Lyon - Romain, chauffeur bénévole, ne perd pas de temps : « Il faut gérer l'affluence. On ne peut proposer que vingt à trente douches par jour alors qu’ils sont 150 mineurs non accompagnés sur ce site ». Entre deux allers-retours pour vider le seau des eaux usées dans une bouche d’égout à quelques mètres, il accueille avec le sourire ceux qui ont pu s’inscrire sur la liste d’attente. Chacun leur tour, il leur distribue une serviette de toilette, du gel douche et un rasoir si nécessaire. À l’intérieur, une cabine de douche et un vestiaire sont dissimulés derrière un rideau. Deux réservoirs de cinquante litres et un chauffe-eau à gaz permettent d’alimenter quelques douches chaudes d’avance. Devant un miroir à l’entrée du camion, Adama* se met du déodorant, de la crème hydratante et du parfum mis à disposition : « Je peux passer quatre jours sans me laver. Ça m'a soulagé de prendre une douche aujourd’hui. Je me sens mieux dans ma peau ».
Une cinquantaine de lieux de vie informels, comptabilisant plus de 1600 personnes, sont actuellement référencés dans la métropole. Il n’existe cependant qu’un seul bain-douche municipal sur tout le territoire. Situé à trois quarts d'heure en transports du quartier de la Croix-Rousse, il est régulièrement saturé. « On ne peut pas couvrir tous les sites, alors on priorise les personnes les plus éloignées des douches publiques et les plus vulnérables : femmes, enfants ou mineurs isolés », précise Estelle. De plus, se déplacer est pour eux souvent problématique. « On ne peut pas avoir de carte de transport. On doit se cacher des contrôleurs pour aller charger le téléphone à la gare par exemple. C'est difficile. On prend des risques », raconte Abdoulaye*, un Ivoirien installé dans le camp depuis trois mois.
Accueillir, écouter et renseigner
Pour inviter les jeunes hommes à patienter, Estelle et Solune ont installé une “tisanerie” sur deux tables pliantes. Nos deux salariées y proposent boissons chaudes et gâteaux. Son téléphone raccordé à une enceinte portable, Estelle propose aux garçons de choisir une musique. Ce matin, c’est Gims. Une heure et 250 tasses de café, thé et chocolat plus tard, tout a disparu. Et pour cause, beaucoup ont le ventre vide : « On ne mange pas de la journée pour sortir le moins possible (pour éviter les contrôles policiers, ndlr). J’ai pris trois ou quatre tasses de thé sucré ce matin pour tenir jusqu’à ce soir », confie Assane*, un jeune Malien récemment arrivé.
La tisanerie joue également un rôle clé pour Solune, mobilisatrice communautaire du dispositif : « Il est essentiel d’ouvrir le dialogue pour mieux comprendre les dynamiques de groupe et les hiérarchies au sein d’un camp, afin que personne ne soit laissé de côté. » Sa mission consiste à encourager la participation des habitants des campements, en veillant à ce que chacun puisse s’impliquer dans les décisions qui les concernent directement. Elle facilite les échanges, ce qui permet de mieux cerner les besoins de chacun. Elle s’assure aussi que les solutions proposées par l’association soient en phase avec les réalités du terrain et n’engendrent pas de tensions supplémentaires, par exemple sur l’implantation des toilettes ou des bornes fontaines.
Mahmoud*, originaire du Bangladesh, vient d’arriver d’un autre campement lyonnais. Sac à dos vissé sur les épaules et regard un peu perdu, il est rapidement repéré par nos deux salariées. « Ses demandes d’asile et de reconnaissance de minorité ont été refusées, comme beaucoup de jeunes ici », explique Solune. À côté du café, un classeur est mis à disposition des nouveaux arrivants avec toutes les informations utiles à leur orientation sociale : transports en commun, horaires d’ouverture et adresses des accueils de jour, des aides alimentaires et sanitaires… Le tout en plusieurs langues. Après avoir contacté par téléphone un collectif d’habitants qui aide les mineurs non accompagnés dans le quartier, Estelle conseille au garçon d’attendre les trois nouveaux référents du camp ce soir, « car l’ancien référent a été reconnu mineur et a donc quitté le site », ajoute-t-elle.
Un public déjà touché par nos activités mobiles
Forts de notre ancrage dans le Rhône et de notre expertise de l'aller-vers, nous déployons d'autres actions dans les campements, squats et bidonvilles du département : initiations aux gestes de premiers secours, distribution de kits d’hygiène ou encore le Repair Lab, un atelier itinérant où chacun peut réparer son portable, recoudre ses vêtements ou remettre en état ses chaussures. Nous assurons également des services essentiels au maintien des liens familiaux, comme la mise à disposition de téléphones, de points de charge et d’un accès au réseau Wi-Fi. « C’est une déclinaison du service de rétablissement des liens familiaux de la Croix-Rouge, pensée pour le contexte lyonnais », explique Estelle. Les recours pour contester la non-reconnaissance de la minorité prenant des mois, les jeunes n’ont en attendant aucun droit et sont livrés à eux-mêmes. Les campements informels, en perpétuel mouvement, rendent indispensable cette présence mobile. Nos activités itinérantes nous permettent de garder un lien avec les personnes les plus isolées, et d’avoir une vision actualisée des besoins sur le terrain.
Il est 16h. Après cinq heures sur place, c’est bientôt le moment du départ pour notre chauffeur. Il en profite pour distribuer shampoings, serviettes, brosses à dents et dentifrices à une dizaine de garçons qui patiente depuis longtemps, dans l’espoir de se laver : « On ne va pas pouvoir offrir des douches à tout le monde », s’excuse Romain en débranchant le tuyau d’arrivée d’eau, « Il reste encore de quoi faire deux ou trois douches le temps qu’on range, allez-y ». La journée est loin d’être terminée pour le volontaire, qui doit encore conduire le camion au garage, le ranger, le nettoyer et lancer des machines à laver des serviettes usagées. « D’autres bénévoles vont prendre le relais pour le travail de lingerie ! Je ne serai pas seul.»
Notre camion-douche soulage le quotidien difficile des personnes dans les campements informels. « Mais cela ne résout pas le problème de manque de prise en charge par les pouvoirs publics », conclut Estelle, qui ne constate pas d’amélioration de la situation. Lorsqu’un camp est démantelé, un autre se crée rapidement. « On reste dans l’urgence ».
* Prénoms modifiés par souci d’anonymat