A Massy, un espace de bien-être sur roues pour les plus démunis
Publié le 27 mars 2025

“Mes cheveux? Ils sont comme moi - non seulement ils blanchissent mais en plus ils poussent dans tous les sens ces marginaux !” Avant de passer entre les mains devenues expertes d’Issa, Ludo, la quarantaine (dont quinze années de rue), plaisante - la gouaille avant tout. Mais lorsque le bénévole noue autour de son cou le grand peignoir de coupe, l’homme ferme les yeux, et se tait. Savourant l’instant - “sa” coupe de cheveux. Allez, c’est décidé, ce sera la boule à zéro.
Sous les doigts gantés et délicats d’Issa, la tondeuse grésille. Crâne, visage… et, pour finir, un zeste de crème hydratante. “Merci chef!” lance Ludo, passant une main sur ses tempes rasées de près. Une soupe chaude plus tard, il blague à nouveau, avec copains de galère et bénévoles réunis sous l’auvent du camping-car. Avant de soudain lancer : “Ce n’est pas parce qu’on dort dans la rue qu’on doit se laisser aller, hein ! Prendre soin de soi, c’est une affaire de dignité, de respect de soi. Ça paraît simple hein, mais vous savez, la rue complexifie tout, même l’accès à l’hygiène. Moi, en ce moment, je dors dans une cave. Un monde noir, froid, et sans miroir bien sûr. Une tondeuse ? Je n’en ai pas - et d’ailleurs, où est-ce que je pourrais la brancher ? Le coiffeur ? Ça coûte un bras, impossible d’y aller… Alors oui, merci chef !”
Issa sourit. Ses camarades du jour aussi - Thierry, qui connaît le Ca’mieux comme sa poche pour en avoir aménagé chacun des espaces, Elisabeth, directrice de l’action sociale à l’unité locale (UL) des Deux-Rivières, et Martin, 19 ans, qui, pour son premier jour sur le dispositif, distribue à tout-va cafés et soupes chaudes.
Une coupe de cheveux et de l’écoute
Passée saluer tout le monde, Claire, présidente de l’UL (qui couvre sept communes dont Massy) opine. Oui, Ludo a tout dit. “Le Ca’mieux c’est bien ça : un point d’accueil mobile vecteur d’estime de soi, offrant à ceux qui en ont besoin la possibilité de se faire coiffer, de prendre une douche ou d’aller aux toilettes, ou, tout simplement de partager un thé, au chaud, sereinement.”
Le projet est né, explique-t-elle, “en septembre 2022, sur une idée de Pierre, l’un de nos bénévoles de l’époque, parti depuis dans la Drôme. Ce handballeur professionnel qui maniait les ciseaux (de coiffure !) comme pas deux, est un jour arrivé en se proposant d’offrir des coupes de cheveux aux personnes sans-abri. Séduits, et désireux de coupler la coiffure avec une approche plus globale du bien-être, on a prospecté, envisagé différentes options, avant d’opter pour un dispositif mobile qui semblait le plus adapté”.
“On a acheté un camping-car et présenté le projet à la mairie qui a financé une partie de son aménagement”. Douche, WC, cuisine, chauffage, espace penderie pour les vêtements… transformé par Thierry et quelques autres, le véhicule devenu “petit Ca’mieux rouge” est même, depuis peu, équipé de batteries et de panneaux solaires qui le rendent totalement autonome.
Une quinzaine de bénévoles se relaient sur le dispositif, en place depuis le 23 décembre 2023. Chaque samedi (hors mois d’août), le Ca’mieux prend la route pour aller se poser place de l’Europe à Massy, de 13h30 à 17h00. Pile au moment où les collègues de l’UL sont en maraude.
“Ca’mieux et maraudes sont deux dispositifs complémentaires, mais l’approche, les liens noués, sont complètement différents. Car s’il arrive qu’en maraude les gens n’aient pas envie de nous voir quand on débarque, le Ca’mieux c’est un ‘aller vers’ réciproque - on va vers eux et ils viennent vers nous”, souligne Elisabeth. Dans un murmure, Joseph, qui a “dégringolé dans la rue” après un court séjour en prison, opine. “La rue, ce n’est pas une vie, c’est un engrenage. Et au milieu de tout ça, il y a le Ca’mieux, une bulle apaisante…” En un an tout juste, le camping-car s’est d’ailleurs fait repère -”on s’y donne rendez-vous”, confie l’homme.
Du mieux-être, pour dessiner un “demain”
Cet après-midi là, lorsque le Ca’mieux s’est garé, une petite dizaine de gars étaient d’ailleurs déjà posés place de l’Europe. Avant de s’approcher, qui pour tenter d’aider au montage de l’auvent du camping-car, qui pour, très vite, s’y blottir au chaud. Au fil des heures, ils sont une vingtaine à être venus. Si certains n’ont fait que passer, la plupart se sont longuement arrêtés.
Entre deux soupes chaudes, Issa a manié tondeuse et ciseaux, pour Ludo, Malik et Brahim. Le dénommé La Blonde, lui, n’a voulu “que la barbe”. Comme souvent, la douche a eu moins de succès car remettre des vêtements sales après une bonne douche chaude… c’est dur. D’où, explique Claire, “le projet en cours mené avec une blanchisserie de la place, chez qui ceux que nous accueillons pourraient aller laver et faire sécher leurs affaires”. Un projet que l’équipe compte “coupler avec celui de ‘cafés suspendus’, en lien avec un café du coin.”
Alors que Malik, miroir en main, n’a de cesse d’admirer sa nouvelle coupe plébiscitée par les copains, les discussions filent bon train. Les corps apaisés, réchauffés, voire rasés de frais, la parole émerge plus facilement. “Le Ca’mieux c’est ça, souffle Issa. Une ambiance qui fait qu’on arrive à accrocher quelques personnes sur l’aspect bien-être, jusqu’à parfois pouvoir parler soins, questions administratives, etc”. “Un espace pour agir sur tout ce qui peut faire fracture dans une vie”, ajoute Claire.
Ludo, souffrant de bipolarité et d'alcoolisme, parle “cure” avec Elisabeth - “il semble décidé”, sourit la bénévole. Malik concède qu’il ne serait pas contre un peu d’aide pour les papiers d’identité qu’il a perdus. Ça tombe bien, le Ca’mieux sera très prochainement équipé d’un PC portable. Francis, que tout le monde attendait et qui s’est glissé sous l’auvent un peu tard, se frotte les mains. Il n’a jamais touché à un ordinateur - alors peut-être pourrait-il se créer une adresse mail, ou chercher une info… En attendant, la journée presque terminée, il s’affaire avec les bénévoles au démontage soigneux des bâches du véhicule.
Le dispositif, qui rencontre un franc succès, est à la disposition des autres unités locales de proximité qui voudraient le tester. A bon entendeur !

Croix-Rouge Mobilités est le programme de la Croix-Rouge française qui propose des solutions de mobilité partagées et solidaires à destination des personnes en situation d’isolement géographique, social ou en rupture de mobilité et qui n’ont accès à aucun moyen de transport. Le partenariat avec la Fondation Crédit Mutuel Alliance Fédérale vise à permettre à nos bénévoles d’aller toucher des publics vulnérables qu’ils ne parviennent pas ou peu à atteindre aujourd’hui. L’objectif est d’”aller vers” les personnes éloignées, mais également de les “emmener vers” les services essentiels de proximité. Car on le sait, le manque de mobilité est un véritable frein à l’accès aux besoins de première nécessité.