Sur le chemin de l’exil, les violences sont multiples. La traite d’êtres humains est l’une d’entre elles. Comme sur beaucoup d’autres terrains, le genre exacerbe les agressions et asservissements, mettant en péril la vie de nombreuses femmes contraintes de fuir leur ville, leur pays. Qu’en est-il des conséquences de l’exode ukrainien ? Et comment luttons-nous contre cette menace ?

En mars 2022, moins de deux mois après l’éclatement du conflit en Ukraine, une jeune femme se présente à notre accueil en gare strasbourgeoise. Elle est brune, grande, agitée. Elle vient tout juste d’arriver en France, en passant comme beaucoup par la capitale alsacienne. Elle a peur. Peur d’être “mise en esclavage” selon ses mots, peur de se faire piéger par celles et ceux qui lui proposent des solutions d’hébergement. Peur de tout ce que la vie lui réserve, en tant que femme réfugiée. Les bénévoles la rassurent, l’emblème aussi. Malgré tout, ses épaules chargées des traumatismes de l’exil s'effondrent sous le poids de l’inquiétude. Alors, la jeune femme brune, grande et agitée part, ne souhaitant pas être retenue.La traite des êtres humains, c’est l’autre réalité de la guerre. Celle de vies fragilisées par l’exode, prises dans le piège de l’exploitation. Explications avec Estelle Kiefer, chargée de mission lutte contre la traite des êtres humains.

Quand le genre favorise la traite humaine

Sur les 3 363 335 protections temporaires accordées pour les réfugiés ukrainiens par les 28 pays européens, “on comptait 49,5 % de femmes majeures, 38 % de mineurs, et 12,5 % d’hommes majeurs”, selon les données Eurostat (datant de septembre 2022) relayées par le journal Libération .Les femmes représentent ainsi une large majorité des personnes ayant fui en Europe, depuis l'Ukraine. Ces dernières sont “particulièrement ciblées et exposées à la traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle et de servitude domestique”. Si les hommes peuvent tout à fait en être victimes aussi, les femmes restent éminemment vulnérables, comme le confirme une récente publication des ministères de l'Intérieur et de la Justice , dévoilant que 72 % des victimes de traite et d’exploitation d’humains demeurent des femmes.En effet, les violences de genre sévissent sur les routes migratoires, menaçant de manière disproportionnée les femmes et les filles, dont les corps se voient réduits en esclavage, abusés et spoliés.

L’exploitation des corps accentuée par les conflits

Bien sûr, ces mécanismes ne sont pas nouveaux et s’installent dans les interstices de chaque crise. “Ils sont liés et découlent d'inégalités structurelles existantes, souvent basées sur des identités intersectionnelles, la discrimination et la violence fondées sur le genre, le racisme, la pauvreté et les faiblesses des systèmes de protection de l'enfance” a déclaré un groupe d’experts indépendant, mandaté par les Nations unies.“Aux vulnérabilités relatives au genre s'ajoutent celles liées au contexte spécifique de déplacement, ajoute Estelle Kiefer. Les personnes contraintes de fuir leur pays, souvent désorientées, en situation de précarité financière et fragilisées par les épreuves du parcours d’exil, représentent l’une des principales cibles des réseaux de traite et d’exploitation. Ces risques sont souvent exacerbés par l’importance et la rapidité des flux migratoires ; or il s'agit du déplacement forcé le plus important et le plus rapide depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale".Partout en France, nos volontaires ont pu eux-mêmes observer la peur des personnes déplacées, car, comme le rappelle la chargée de mission, “les lieux de transit et d'hébergement sont particulièrement ciblés par les exploiteurs potentiels”. Et d’ajouter : “De nombreuses situations à risque d'exploitation ont également été identifiées au sein de certains ménages impliqués dans l'hébergement citoyen des réfugiés ukrainiens”.

Savoir où et comment chercher de l’aide pour se prémunir de ces situations apparaît alors essentiel, si ce n’est vital.

Prévenir la traite d’êtres humains

Pour faire face au phénomène, notre association s'est dotée d'une stratégie de prévention et de lutte contre la traite des êtres humains.En effet, “les équipes investies sur les dispositifs Ukraine ont bénéficié de sessions de sensibilisation sur l'accompagnement des victimes, explique Estelle Kiefer. La mobilisation de notre association dans le domaine de la lutte contre la traite d’êtres humains a ainsi permis d'équiper le réseau, de porter une vigilance accrue aux personnes les plus vulnérables aux risques d'exploitation”, conclut-elle.