Salariée du Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et centre d’hébergement d’urgence (CHU) de Poitiers, Émilie travaille au sein du service dédié à l’accueil des victimes de violences conjugales. Très investie, elle propose un accompagnement personnalisé pour amener les femmes sur le chemin de la reconstruction et de l’autonomie. 

Combien de temps dure l’accompagnement des femmes victimes de violences ?

Émilie : C'est en moyenne six mois de prise en charge. On aimerait que ce soit plus court, mais tout dépend de la situation de la personne et de ce que l’on doit travailler avec elle. Durant leur séjour, une fois que la mise à l’abri a été actée, on accompagne les femmes dans la prise de conscience que ce sont des victimes, que ce qu’elles vivent dans leur couple, ce n'est pas normal. On les amène également à reprendre confiance en elles puis, in fine, on les prépare au départ. Par la suite, tout dépend de l'accès au logement, qui peut être un frein à l’autonomie. Aujourd'hui, c’est difficile de trouver un appartement, même si ce sont des personnes prioritaires. Le frein peut aussi être d’ordre financier et administratif. On fait aussi beaucoup d'accompagnement à l’accès aux droits.

Avez-vous un exemple à nous donner d’un accompagnement mené à son terme ?

Émilie : Je pense à une dame avec deux enfants, un bébé et un petit garçon avec un trouble du comportement, qui était en situation irrégulière. Son mari l'avait fait venir sans déposer de demande de papiers pour elle. La violence administrative, c’est la première violence car les femmes sont maintenues sous la coupe de leur conjoint qui leur dit que si elles vont au commissariat, elles seront rapatriées au pays. Elle a fini par parler des violences qu’elle subissait à son assistante sociale, qui nous a contactés. Je suis allée la chercher dans une autre ville du département et l'ai ramenée ici avec ses enfants. Instaurer la confiance n’a pas été simple, mais au fil des mois, on a mis en place pas mal de choses. 

Un jour, elle a voulu retourner avec son mari ; il la harcelait pour qu’elle revienne. Ça ne faisait pas très longtemps que j'étais dans le service et ça a été un vrai choc pour moi. J'ai ramené Nathalie et les deux enfants sur un parking parce que son conjoint voulait venir les chercher mais il n’était pas question qu’il vienne ici. Elle est repartie avec lui. 

On laisse toujours aux femmes la possibilité de reprendre contact avec nous. Et effectivement, elle a rappelé peu de temps après car elle n’en pouvait plus.Je suis donc retournée la chercher. Par la suite, elle a déposé plainte, obtenu une ordonnance de protection - elle a pu démontrer les violences dont elle était victime - et un titre de séjour. Ça a débloqué aussi des ressources et, au bout d'un an et demi, elle a bénéficié d’un logement. On est parti vraiment de rien ; elle a eu un courage exceptionnel. Elle s'est accrochée car il y a eu des moments très durs et beaucoup de pleurs. Mais elle a réussi et aujourd’hui, elle s'en sort très bien : elle a suivi une formation professionnelle et elle cherche du boulot. C’est extraordinaire !

Est-ce que c’est difficile parfois de les voir partir ?

Émilie : Le lien avec les femmes peut être très fort par moments mais il faut veiller à garder une distance professionnelle. Jusqu'où va-t-on dans l’accompagnement ? C'est une question qu'on se pose très souvent, parce qu'on n'est pas un membre de leur famille et qu’il faut qu'on arrive à se séparer à la fin du suivi. C’est un processus progressif. Quand on travaille la préparation du départ, on participe à l'achat des meubles, à la demande d'aide financière, etc., et là on prend de la distance. Après le départ, il peut y avoir des contacts, mais c'est très ponctuel. Elles ont besoin de cette coupure-là. Nous quitter, c’est retrouver leur autonomie. On reste un souvenir lointain de quelqu'un qui un jour a fait quelque chose. Le gros du travail, c’est elles qui le font. 

A quels signes voyez-vous que les femmes sont prêtes à prendre leur autonomie ?

Émilie : Le relèvement s’accompagne d’un changement d’apparence physique.

On compare l'état dans lequel elles arrivent et celui dans lequel elles repartent : reprendre soin de soi change une personne, toute sa posture et sa gestuelle en sont modifiées. Au fil du temps, on les voit se maquiller, s’apprêter, sortir. Je pense à Noémie *,qui ne portait jamais de maquillage, elle avançait tête baissée, se cachait derrière des grandes fringues pour que personne ne la voie. Et aujourd'hui, elle est capable de parler d'elle et de s'affirmer. Selon moi, elle est prête à partir. 

Il va falloir de toute façon que ça s'arrête parce qu’on ne peut pas courir le risque de recréer un lien de dépendance. Elle est aujourd’hui au cœur de ses décisions, de son projet et elle avance. Nous, on est au second plan pour soutenir. C’est parce que les femmes décident de s’en sortir et de se mettre en action qu’elles y arrivent. L'objectif, c'est qu'elles soient complètement autonomes quand elles partent et qu’elles n’aient plus besoin de nous. 

Dépôt de plainte et mise à l'abri : leur parcours pour se reconstruire

Recueillir leur parole, leur redonner confiance en soi, les soutenir tout au long de leur reconstruction, c’est la mission d’Emilie, accompagnatrice sociale au centre d’hébergement de Poitiers. Elle nous dit combien cette relation est puissante et enrichissante.

Je découvre les témoignages

À lire dans le même dossier