Pour ses 150 ans la Croix-Rouge française lance un ouvrage exceptionnel. Richement illustré, il retrace, à travers le parcours de femmes et d’hommes engagés, 150 ans d’histoire humanitaire.

Cet ouvrage s’adresse autant aux descendants de ces premiers « héros de l’humanitaire » qu’à tous les curieux qui s’intéressent à la grande marche de l’humanité, car raconter une Croix-Rouge qui panse les plaies du monde, c’est aussi raconter 150 ans d’histoire. 

A l’occasion de sa sortie le 12 mars, aux éditions Autrement, nous avons interrogé le président de l’association, le professeur Jean-Jacques Eledjam. Il nous donne sa vision d’un siècle et demi d’histoire de la Croix-Rouge, acteur majeur du sanitaire, du social, de l’urgence, du secourisme et de la formation, sur le sol français comme à l’international.

Quels ont été les grands moments de la vie de la Croix-Rouge française depuis sa naissance ?

Il y a en a tant qu’il serait difficile et injuste d’en citer certains plus que d’autres. Ce qui est sûr, c’est qu’étant le premier acteur laïc et structuré de l’aide à la personne, sous quasiment toutes ses formes, en France, comme à l’étranger, la Croix-Rouge a accompagné les étapes majeures de la marche du monde. En ce sens, le livre retrace bien les grands moments de la vie de la Croix-Rouge française. Son découpage en sept parties illustre le rôle vital de l’association à tous les moments clés de l’histoire.

La première traite de la naissance de la Croix-Rouge en France deux ans après la publication d’Un souvenir de Solférino, d’Henry Dunant, père fondateur de l’idée même de Croix-Rouge et du mouvement auquel nous sommes rattachés. Elle se déroule dans cette période complexe en Europe qu’est la seconde moitié du XIXème siècle et va jusqu’au préambule de la Première Guerre mondiale. La seconde concerne la Grande Guerre et décrit le rôle héroïque de nos infirmières pendant ce conflit meurtrier. Il est ensuite question de l’entre-deux guerres, avec le rôle croissant de la Croix-Rouge dans la société civile, aussi bien dans le secteur sanitaire que dans celui du social. S’ensuit un chapitre consacré à la Seconde Guerre mondiale qui voit l’unification en une seule entité des trois composantes initiales de la Croix-Rouge française, pour l’aide aux populations dans cette période ô combien sombre de l’histoire.

L’après-guerre est traitée dans une partie allant jusqu’aux événements de mai 1968. Les activités de la Croix-Rouge se diversifient et se professionnalisent. On y assiste aussi à une montée en puissance de nos missions à l’international. L’avant-dernière partie couvre la fin des années 1960 jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989, où s’opère un redécoupage géopolitique du monde. Des crises humanitaires majeures, comme le Biafra, s’y déroulent. La fin du livre relate notre histoire contemporaine. On y voit notre rôle dans de grandes crises qui vont de celle du Kosovo jusqu’au tremblement de terre en Haïti, en passant par le tsunami de décembre 2004 en Asie du Sud-Est. C’est aussi la Croix-Rouge française telle qu’elle existe aujourd’hui, avec ses différents métiers de l’urgence,  du social, du sanitaire et de la formation.

En 2014, comment se vit ce riche héritage ?

C’est une question simple et compliquée à la fois. Il ne fait aucun doute que ce que nous sommes aujourd’hui est en grande partie le produit de ce passé, avec ses continuités et ses ruptures. Ce qui est indéniable, c’est que notre association, depuis ses toutes premières origines, est profondément ancrée dans la vie. C’est un fait que je constate au quotidien, aussi bien quand je vois nos bénévoles se donner corps et âme à leurs missions que dans le travail acharné de nos salariés. Cela concerne toutes les tranches d’âges et toutes nos activités. Quiconque se plonge un instant dans notre histoire verra que cette vitalité et cet engagement, dans et pour la vie, est au cœur même de l’ADN de l’association.

On associe souvent, à tort, l’héritage à une lourdeur, à un carcan qui gène la créativité. Chez nous, c’est tout l’inverse, ce que nous inventons aujourd’hui, nous le devons à notre passé, quitte à parfois le bousculer. Mais pourrait-on faire autrement si nous voulons continuer à innover pour servir au mieux les personnes ?

Ces 150 années d’existence sont bien plus qu’un socle sur lequel nous bâtissons notre avenir, ce sont les milliers de bras de nos valeureux prédécesseurs qui continuent à porter l’ensemble de nos missions. Car s’il y a eu des ruptures, elles se sont toujours faites dans la continuité, celle de la lutte contre toutes les formes de souffrance.

Que diriez-vous à un jeune pour qu’il s’intéresse à cette histoire ?

Tout d’abord qu’il n’a pas à s’y intéresser, mais que c’est elle qui s’intéresse à lui. Je m’explique. La Croix-Rouge française est une association sans cesse en mutation. Elle n’existe que dans le mouvement perpétuel de la vie dans lequel elle s’inscrit. De fait, il ne faut en aucun cas considérer son histoire comme une succession d’éléments statiques correspondant à des instants particuliers. Son présent est le reflet de son histoire, tout comme son passé se projette sans discontinuité dans ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Par conséquent, il va de soi que la Croix-Rouge française ne peut que s’intéresser à une jeunesse sans cesse en mouvement et que quiconque se rapproche d’elle aujourd’hui est immédiatement inclus dans son héritage.

Pour simplifier, je dirais que la Croix-Rouge française n’a pas d’histoire, mais est une histoire. Que cette histoire nous concerne tous, à tous les âges de la vie. Que les jeunes comme les moins jeunes se retrouvent en elle, de la même manière qu’elle se retrouve en eux. Pour cela, je recommande vivement cette lecture à tous, que vous soyez ou non acteur de la Croix-Rouge française.

Propos recueillis par Benjamin Lagrange