Philippe Da Costa, s’est rendu aux Antilles du 25 février au 3 mars dernier. Un déplacement en 5 étapes - Martinique,  Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Guadeloupe et Marie Galante – qui  révèle une Croix-Rouge en plein essor, omniprésente et innovante. Le président nous livre ses réflexions, ses observations, sa vision au terme de cette semaine en immersion dans les Caraïbes.

Quelle impression générale gardez-vous de ce déplacement et de vos rencontres ?

Mon précédent séjour aux Antilles remonte à novembre 2005 en tant que directeur national et je dois dire que je suis impressionné par le changement d’échelle de la Croix-Rouge française sur ce territoire ! Nous comptons aujourd’hui 300 collaborateurs. Le périmètre de nos champs d’actions s’est considérablement renforcé. On le doit à l’engagement sans faille des bénévoles et des salariés. Cela se ressent fortement dans les relations que nous entretenons avec nos interlocuteurs institutionnels et nos partenaires qui expriment à la fois leur considération et une très forte attente du fait notamment de notre expertise sur les crises passées (la crise du Covid-19, l’ouragan Irma et la tempête Fiona récemment). Face aux nombreux enjeux sociaux, sanitaires, environnementaux… nous faisons preuve d’une grande capacité d’anticipation, d’adaptation et d’innovation.

Quels sont justement nos spécificités et nos points forts dans ces territoires ?

L’insularité, c’est certain, nous contraint à travailler à la fois en proximité et en transversalité.

Proximité car ces territoires pratiquent une démarche systématique “d’aller vers”. Transversalité entre nos activités bénévoles et salariées, d’une part, entre nos filières lutte contre les exclusions et santé d’autre part. Cette articulation entre le social et le sanitaire a fait ses preuves pendant la crise du Covid-19 et ces services continuent de travailler main dans la main. Il y a une réelle complémentarité dans nos modes d’intervention et nos différents dispositifs. Saint-Martin illustre bien ce schéma. L’île a subi les conséquences de l’ouragan Irma en septembre 2017, puis la crise sanitaire, sans compter des problèmes sociaux importants. Un pôle santé, un bus santé qui effectue des dépistages et consultations gratuits pour les plus fragiles, une crèche multi-accueil (“Pom d’Happy” est la première crèche Croix-Rouge française dans les Caraïbes - ndlr), une équipe mobile d’intervention sociale… : nous sommes aujourd’hui partout ! Nous multiplions les dispositifs fixes et mobiles et veillons à ce qu’ils s’articulent le mieux possible pour répondre aux besoins. La notion de parcours prend ici tout son sens et notre Maison Croix-Rouge implantée sur place incarne vraiment la force de l’emblème comme tiers de confiance, en particulier dans le domaine de la santé.

Derrière les paysages de carte postale, on le sait, il y a des problèmes profonds sur ces territoires.

Les Antilles sont particulièrement vulnérables, que ce soit sur le plan environnemental, social, économique et sanitaire. Les jeunes sont très impactés par tous ces fléaux. Comment les toucher, les aider à s’en sortir ?

La prévention et l’éducation constituent le premier pilier de notre mission envers les jeunes. J’en veux pour preuve l’Option Croix-Rouge déployée dans trois établissements en Martinique et qui éveillent les jeunes dès le plus jeune âge à l’engagement. Le collège François Auguste Perrinonà Fort-de-France en a fait un projet d’établissement à part entière, le seul en France à ma connaissance. D’ordinaire, le programme est porté par un chef d’établissement et une équipe pédagogique. Là, c’est l’établissement dans sa globalité qui est aux couleurs de la Croix-Rouge. C’est une classe de Segpa* qui gère par exemple un jardin intergénérationnel. Et les belles initiatives ne manquent pas. Autre exemple, à  Saint-Barthélemy, nous créons une équipe de prévention spécialisée sur les questions d’addictologie.

Parallèlement, pour sensibiliser les élèves à la préparation aux catastrophes, le programme Paré pas Paré** fait le tour des établissements de Guadeloupe et est décliné sous une autre forme en Martinique ou à Saint-Martin. Ces outils pédagogiques sont fondamentaux pour des territoires si exposés.

A propos de prévention, l’Observatoire français des drogues et toxicomanies note une augmentation préoccupante de la consommation chez les jeunes. Comment lutter contre ce fléau ?

Il est vrai que dans les territoires insulaires, les problèmes d’addiction sont prégnants, surtout chez les jeunes. En matière de lutte contre les addictions, nous sommes dans une logique de projet personnel et de réduction des risques. Nous disposons de deux CSAPA (centres de soins et d’accompagnement en prévention de l’addictologie) en Martinique et à Saint-Martin. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de visiter le nouveaupôle addictologie en Martinique où l’on accompagne non seulement les personnes concernées mais également leur entourage. Il est vrai que la question de la dépendance est liée à de multiples facteurs : les conditions de vie, le cercle familial, l’éducation, le travail, le désœuvrement… Et n’oublions pas que la crise sanitaire qui a eu aussi ici des conséquences sur la santé et la santé mentale de la population. C’est pourquoi ce sont des équipes pluridisciplinaires qui œuvrent au sein des CSAPA pour prendre en compte la personne dans sa globalité. Cette approche a fait ses preuves et nous permet de progresser.

Qu’est-ce qui devrait encore évoluer selon vous en matière de présence Croix-Rouge aux Antilles ?

Il ne s’agit pas d’être partout mais de se renforcer à partir de l’existant. Des pôles d’établissements se sont constitués sur les différents territoires, c’est nouveau et cela assoit notre crédibilité auprès de nos partenaires. Nous sommes bien positionnés sur la jeunesse et la lutte contre la grande précarité. Il nous faut probablement renforcer nos actions en faveur des personnes âgées isolées. La Martinique sera bientôt le département le plus vieux de France. Le vieillissement de la population est donc un enjeu vital pour les années à venir.  De même, nous devons faire valoir davantage notre expertise dans les métiers du sanitaire et du médico-social, à la fois comme acteur de formation mais aussi comme employeur.

Enfin, il nous faut absolument renforcer le secours. Notre réponse aux crises s’appuie d’un côté sur notre plateforme d’intervention régionale pour la zone Amérique-Caraïbes (la PIRAC, créée en 2005 - ndlr), de l’autre, très souvent, sur les acteurs territoriaux du secours. Or, l’urgence est une priorité et nous devons harmoniser davantage nos modes d’intervention entre le national et l’international. Les dynamiques ne sont pas les mêmes d’un territoire à l’autre et certains d’entre eux expriment le besoin de se former, de se coordonner dans la gestion du matériel, de repenser leur manière d’intervenir et de réfléchir au recrutement.

En quelques mots, quelle vision portez-vous sur cette Croix-Rouge ?

Mon premier sentiment, c’est que notre présence en Outre-mer nous positionne dans la dimension internationale de notre Mouvement. Elle donne à la Croix-Rouge française l’ouverture sur l’universalité.

Ensuite, je dirais qu’il existe une forme d’‘’expertise Caraïbes’’ incontestable. Si je devais résumer en deux mots ce qui caractérise les acteurs Croix-Rouge, ce serait l’agilité et le sens des responsabilités.Nous avons la chance de pouvoir compter sur des acteurs très engagés, des talents qui inventent sans cesse des réponses originales face aux nombreux défis sociaux, sanitaires, environnementaux…, qui portent nos valeurs et une certaine vision de la Croix-Rouge française.

Ces territoires nous apportent énormément. Nous allons continuer d’accompagner la croissance de la Croix-Rouge française en Outre-mer, mais une croissance raisonnée, en adéquation avec les ressources humaines et les moyens disponibles. Il nous faut garder une vision stratégique de chacun des territoires, prendre en compte leurs spécificités propres. Ne pas considérer les Antilles comme un tout pour rester dans la proximité. C’est ce qui fait leur force.

*Section d'enseignement général et professionnel adapté accueille les jeunes de la 6e à la 3e présentant des difficultés scolaires importantes. Il s'agit de difficultés ne pouvant pas être résolues par des actions d'aide scolaire et de soutien. La classe est intégrée dans un collège.

**Le projet Paré pas Paré initié à La Réunion et mené par notre Plateforme d’intervention régionale Océan Indien (PIROI) porte sur des actions de sensibilisation des enfants en milieu scolaire, des familles et du grand public.