Doublée d’une crise économique et sociale sans précédent, la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a des conséquences alarmantes sur le quotidien de nombreux Français. Déjà fragiles, vulnérables, les plus exclus sont aujourd’hui particulièrement impactés. Augmentation des besoins, nouveaux publics, réponse de la Croix-Rouge française… Sami Chayata, délégué national adjoint Lutte contre les exclusions, décrypte la situation.

Reconfinement national

Plus de deux semaines après la mise en place du reconfinement national, comment qualifier la situation dans laquelle se trouvent les personnes précaires ?

Depuis le début de la crise, dès le premier confinement, nous avons constaté qu’il ne s’agissait pas uniquement d’une crise sanitaire mais bien d’une crise sanitaire et sociale, pour ne pas dire humanitaire. Concrètement, ce virus touche avant tout les plus vulnérables, et notamment les sans domicile fixe, qui présentent très souvent des comorbidités importantes (diabète, addictions, problèmes respiratoires, etc.). Rappelons que l’espérance de vie des personnes à la rue est de 49 ans seulement… Le virus, donc, est plus dangereux pour ces personnes en situation d’errance, mais également pour les personnes mal-logées, qui vivent dans des structures collectives (où la question de la distanciation physique est souvent compliquée) ou dans des habitats précaires, insalubres. Inédit et angoissant, le premier confinement s’est révélé critique pour ces populations. Peut-être un peu moins surprenant, le deuxième confinement est lui aussi synonyme de grandes difficultés, pour de plus en plus de citoyens.

La Croix-Rouge française observe en effet l’arrivée de nouvelles personnes dans ses différents dispositifs. Qui sont-elles ?

Le premier confinement a précarisé des personnes qui n’étaient pas identifiées par la Croix-Rouge française, des personnes qui étaient alors « à la lisière » de la pauvreté. Depuis, elles ont perdu leur emploi, n’ont plus de ressources, sont parties de chez elles après avoir subi des violences conjugales ou intrafamiliales… Dans ce contexte, le deuxième confinement vient ancrer ces nouveaux publics dans une situation de grande exclusion et de pauvreté. Etudiants, travailleurs pauvres ou en contrat précaire, victimes de violences… Ce sont des personnes que l’on rencontre aujourd’hui durant nos maraudes, dans nos accueils de jour ou encore au bout du fil sur les plateformes du 115 que nous gérons.

L’augmentation des besoins – aide alimentaire, accès à l’hygiène et demande de lien social principalement – est bien réelle. Et même si ce deuxième confinement est un peu plus souple que le précédent, il risque de faire basculer dans la pauvreté ceux qui parvenaient encore à se maintenir dans un équilibre fragile.

Les réponses proposées par la Croix-Rouge française

Quelles sont les réponses proposées par l’association ? Autrement dit, comment la Croix-Rouge française s’organise-t-elle pour faire face à cette augmentation des besoins ?

Au printemps dernier comme aujourd’hui, la Croix-Rouge française a fait le choix de maintenir toutes ses activités de lutte contre les exclusions : maraudes, accueils de jour, centres d’hébergement et 115 notamment. Bien sûr, certaines d’entre elles ont été adaptées et aménagées pour répondre aux contraintes sanitaires et faire face à cette situation exceptionnelle.

Alors que « l’aller-vers » demeure plus que jamais essentiel, nous avons intensifié nos maraudes, en étendant les tournées (horaires et périmètre géographique) et en augmentant les distributions de kits hygiène et de nourriture. Grâce à la mutualisation des ressources, nous avons créé des équipes mobiles sociales et sanitaires, qui permettent d’aller toujours davantage à la rencontre des publics et de faire le lien entre le médical et le social. Dans les accueils de jour, nous avons allongé les horaires pour compenser la réduction de la capacité d’accueil. Si nous recevons de nouvelles personnes dans ces structures, d’autres, souvent des « habitués », ont un peu disparu de nos « radars ». C’est un problème car il y a un vrai risque que ces personnes « s’invisibilisent » et ne recourent plus à certains services, pourtant essentiels. Très important, nous avons maintenu ouverts les points hygiène de nos dispositifs. De plus, dans certaines régions, la Croix-Rouge a proposé de gérer les sanitaires des bains-douches ou gymnases fermés à cause du confinement pour permettre aux gens de les utiliser. Nous avons également renforcé le 115 et l’hébergement d’urgence (une mission que nous confie l’Etat), avec l’ouverture de nouvelles places pour les personnes à la rue. Enfin, nous avons récemment décidé de rouvrir des places dans nos centres d’hébergement spécialisés (CHS), pour accueillir les personnes en situation de précarité qui sont malades mais qui ne nécessitent pas d’hospitalisation. Durant le premier confinement, la Croix-Rouge française a assuré l’ouverture de 1125 places en CHS, sur les 3000 créées au total. Même si leur nombre sera probablement inférieur cet hiver, cela reste une réponse possible, qui a montré son efficacité.

Maintenir le lien social

Enfin, pourquoi est-il fondamental de tout mettre en œuvre pour maintenir le lien social avec les plus fragiles ?

La question du lien social, à travers l’accompagnement social ou l’aller-vers, est au cœur de notre action. Créer du lien est le socle commun de toutes nos activités. La crise sanitaire et les mesures de distanciation sont venues impacter ce lien social, mais nous avons mis en place différentes initiatives pour combler ce manque. Maintien du lien grâce à des appels, des visio-conférences, des sms, des groupes de conversation… Des discussions informelles se sont organisées, qui ont permis de créer des relations nouvelles, horizontales, entre les travailleurs sociaux et les personnes accueillies. Bien sûr, il faut pour cela disposer d’un téléphone, d’une tablette ou d’un ordinateur. Durant le premier confinement et encore aujourd’hui, nous essayons de mettre en place des distributions pour équiper ceux qui en ont besoin.

Quand les situations vécues sont trop difficiles, quand la souffrance psychique des personnes est trop pesante, nous maintenons le lien en proposant des rendez-vous physiques en comité restreint. La mobilisation des bénévoles et salariés de la Croix-Rouge est massive, avec un objectif : maintenir nos actions et notre accompagnement dans la durée, car la crise est loin d’être terminée.

Propos recueillis par Anne-Lucie Acar

Crédit photo Christophe Hargoues

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