Sur des notes de jazz et de rock, les invités s'installent. Dehors, le froid et la glace rappellent que l'hiver est bien là. Ce soir de décembre, environ 4000 personnes ont pris place au cirque Phénix pour admirer le spectacle Rhapsodie qui s'y joue.

Le nez collé à la scène, Bruna, 2 ans et demi, attend que les lumières s’allument. Sous ce chapiteau dressé à l’entrée du bois de Vincennes, les artistes s'élancent dans une succession de danses, d'acrobaties et de numéros de clowns. Des yeux, elle suit les danseurs et danseuses qui envahissent la scène.

“Ma fille a besoin de changer de son quotidien, souligne Edmonde, 37 ans. C’est important pour elle comme pour moi, parce que c’est un moment ensemble que l’on partage. On va rigoler et créer des souvenirs. Et ça c’est très bien.” Sur la scène, une artiste se lance dans un numéro de tissu aérien pour le plus grand plaisir de Bruna, qui s’émerveille à chaque prouesse.

“On est là pour donner du bonheur aux gens”

Pour cette famille monoparentale, les sorties ne sont pas possibles en temps normal. Entre l’augmentation du coût de la vie et le salaire qui ne suit pas, le prix du billet est hors d’atteinte pour elle. “On ne fait rien en dehors de la maison, souligne-t-elle. C’est pas dans notre budget”.

Pour accueillir toutes ces personnes ce soir, près de 60 bénévoles ont été mobilisés. Dans un décor rouge où les poussettes s’accumulent, les volontaires offrent des paniers goûters ainsi que des chapeaux de père Noël aux plus jeunes… et à quelques adultes. “J’ai cinquante ans mais je suis resté une grande enfant, je peux en prendre un ?” murmure Céline*. Djamila, 54 ans, rigole et lui lance. “Vous pouvez essayer mais votre tête risque de ne pas rentrer.” D’une main Céline attrape le bonnet rouge, l’accroche avec une épingle à cheveux et la voilà rayonnante. Face à elle, Djamila sourit. Cette bénévole d’un jour, de la société Enedis, fait ce soir sa première mission avec la Croix-Rouge. “Les enfants sont grands et j’ai du temps à donner aux autres, précise-t-elle. Et puis sincèrement, on est là pour donner du bonheur aux gens, et ça, ça n’a pas de prix.”

Dans le public venu admirer les couleurs pop, les numéros endiablés et la grâce des performeurs et performeuses se niche Séverine, 89 ans. “Je ne me souviens pas la dernière fois que je suis allée à un spectacle", lâche cette parisienne. “C'est trop beau", ajoute Manuel*, 5 ans. Non loin de lui, sa mère, Katherine* acquiesce. “C'est la Croix-Rouge qui nous permet ça et ça fait du bien de se sentir comme les autres un peu.” Cette maman élève seule ses trois enfants. “Sincèrement, ce n’est pas facile tous les jours, mais ce soir, on est là pour oublier tout ça et en profiter.” Maria, 16 ans, est arrivée en France en juin dernier. “C’est la Croix-Rouge qui nous a invités et qui nous permet de penser à autre chose qu’à la guerre chez nous [en Ukraine] ou à comment on va faire dans les prochains jours. C’est très agréable d’être là, de voir du monde et d’admirer les artistes sur scène.”

Une soirée pour penser à autre chose

Sur scène, les artistes enchaînent les pas de danse et autres sauts périlleux, dans une ambiance déjantée. Cette soirée a été rendue possible grâce à un partenariat avec le cirque Phénix. “C'est un rendez-vous important qu'on a ritualisé depuis 13 ans, dont 3 avec le cirque Phénix”, souligne Philippe Le Gall, président délégué régional d’Île-de-France. De fait, seuls les transports (gérés par les antennes locales) et les paniers goûters distribués à l’entrée restent à la charge de notre association. “Avec l’augmentation des denrées alimentaires, les paniers coûtent tout de même 30.000 euros”, ajoute Philippe Le Gall. “Cette grande journée solidaire que l’on a appelé ‘Des étoiles dans les yeux’ reste essentielle pour nombre de familles. C’est important qu’elle puisse continuer d’exister dans les années à venir.”

Le temps d’une chanson, les artistes traversent la foule. Parés de leurs plus belles tenues, ils avancent au rythme de l’orchestre resté sur scène. “Le spectacle est trop cool, s'émerveille Noélie, 10 ans. Le clown m’a beaucoup plu. Et le cerceau aussi” Son goûter dans les mains, elle décrit les mimiques du clown, son jeu avec les chaises ou encore le souffle coupé qu’elle a eu quand le cerceau s'est envolé dans les airs avec l’artiste accroché dessus. “Ça fait du bien que l'on nous propose des soirées comme ça, reconnaît sa mère, Sylvie, 46 ans. Moi je suis retraitée handicapée et je n'ai pas les moyens de sortir. Je vis chez ma mère avec ma fille et vraiment, ça fait vraiment du bien de voir du monde, de se sentir comme tout le monde.”

“A l’hôtel c’est compliqué d’avoir une vie d’enfant”

Le sourire jusqu’aux oreilles, Amine, 41 ans, n'en revient pas de la qualité du spectacle. “C’est vraiment incroyable le nombre d’artistes, les numéros. Tout. C’est immense, magnifique et très impressionnant.” A ses côtés, ses deux enfants Faiçal, 10 ans, et Saïd, 4 ans, ouvrent leurs sacs de goûter distribués à l’entrée et en sortent des paquets de bonbons, un sandwich et une compote. “C’est important d’être ici pour les enfants, c’est sûr. Mais au final, je pense que je m’éclate autant qu’eux.”

Ce soir-là, les intempéries ont empêché certaines personnes de venir. Une partie de la région Île-de-France était en alerte neige et verglas. Celles et ceux qui ont réussi à arriver jusqu'au chapiteau du cirque Phénix, ne tarissent pas d’éloge sur le spectacle et le lieu féerique qui les entoure. “A l'hôtel, c’est compliqué d’avoir une vie d’enfant, reconnaît Diana*, 45 ans, mère de trois enfants. On oublie un peu le reste en venant ici, c'est très beau. Et c'est important pour les enfants aussi pour qu'ils se sentent comme les autres enfants.” Le petit dernier de 4 ans s'amuse avec son bonnet de père Noël et ne quitte pas la scène des yeux. “C'est trop beau, lâche-t-il, un sourire sur le visage.”

Les dernières notes de musique se font entendre. La lumière se rallume et la salle se vide peu à peu. Avant de partir, nombre d’enfants se sont amusés à monter sur scène pour danser à leur tour et prendre quelques photos histoire d'immortaliser, une dernière fois, ce moment tendre et heureux.

Texte : Elie Hondet

Photos : Pascal Bachelet