Jean-François Mattei, président de la Croix-Rouge française, réaffirme ses positions sur le thème des migrants : « Il est urgent de prendre en compte la dimension humanitaire de la migration ! » . Une tribune qui fait notamment suite à son intervention au parlement européen à Bruxelles le 4 octobre dernier, dans le cadre d’un débat portant sur les défis posés à l’Union européenne par les flux migratoires.

"Il est urgent de prendre en compte la dimension humanitaire de la migration !"

Les troubles récents survenus en Méditerranée dans le mouvement du "printemps arabe" illustrent d’ailleurs de manière dramatique les regains de tension engendrés par l’afflux massif de migrants. Comment ne pas s’émouvoir à la vue de ces frêles embarcations voguant vers l’île de Lampedusa, remplies d’hommes, de femmes et d’enfants venus chercher en Europe une vie meilleure ? Comment ne pas être horrifié en découvrant les images de ces corps noyés, échoués sur le rivage ? Doublement naufragés : naufragés de la vie et morts d’un naufrage. Quelles que soient les raisons de leur choix de partir, nous ne pouvons rester indifférents face à la détresse de ces êtres humains qui fuient leur pays au péril de leur vie ! Il faut beaucoup souffrir pour dominer sa peur et prendre le risque de mourir.

L’accélération des mouvements de population est une réalité et ce phénomène nous concerne tous : à ceux qui tentent d’échapper aux conflits, aux persécutions, à la misère, à la maladie – en un mot au malheur –, viennent désormais s’ajouter les réfugiés climatiques, nouvelle catégorie de migrants déracinés après une catastrophe engendrée par les changements climatiques… soit 20 millions de personnes en 2008 ! Faut-il encore multiplier les exemples et les chiffres pour faire comprendre l’urgence de la situation ?

En réaction à cette mobilité accrue, les politiques migratoires européennes et nationales se durcissent, confrontant les migrants, à chaque étape de leur parcours, à des situations d’extrême vulnérabilité qui bafouent leurs droits humanitaires fondamentaux.

C’est pour faire respecter ces droits et répondre aux besoins des plus fragiles que nous, acteurs humanitaires, apportons notre aide aux personnes migrantes, indépendamment de leur statut. Une aide inconditionnelle fondée sur la certitude que le devoir d’humanité prime sur toute autre considération.En qualité de président de la Croix-Rouge française, je tiens ici à réaffirmer haut et fort nos convictions profondes : parce que nous pensons que l’humanité d’une personne ne dépend pas des frontières qu’elle franchit, parce que notre emblème est un symbole universel de protection, parce que nos principes fondateurs d’indépendance, d’impartialité et de neutralité guident l’ensemble de nos actions, nous nous engageons à accompagner ces personnes en détresse sans aucune considération de nationalité, de situation administrative ou juridique autant qu’elles auront besoin de nous. Tout simplement car elles détiennent, comme nous, une parcelle d’une seule et même humanité que nous partageons.Concernant les mineurs isolés étrangers (MIE), dont la situation me préoccupe particulièrement, nous considérons que la qualité d’enfant en danger prime sur celle d’étranger. Protéger ces enfants est un devoir moral. Il nous incombe de leur donner les meilleures conditions possibles pour grandir et devenir des adultes responsables, conformément à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (1989).

Sur le terrain, ces principes se heurtent trop souvent à des obstacles qui empêchent les associations humanitaires de jouer pleinement leur rôle. Ainsi, les grands textes juridiques – Convention de l’ONU (1990) et Pacte européen (2008) en tête – ne sont pas appliqués et semblent n’exister que pour se donner bonne conscience… Pire, la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille n’a pas été ratifiée par l’Union européenne ! Que penser d’un dispositif législatif qui refuse à des personnes, fussent-elles sans-papiers l’accès aux produits et services de première nécessité, singulièrement l’accès aux soins ?En plus d’entraver la bonne marche de nos actions, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un contresens en matière de santé publique pour la population toute entière! La discrimination, l’exclusion et la violence dont font l’objet les personnes migrantes, alimentées par l’ignorance, la crainte de l’inconnu voire le rejet de l’autre, exacerbent leur vulnérabilité, rendant notre intervention plus difficile encore.Autre obstacle et non des moindres, l’inadéquation des dispositifs d’accueil avec la réalité des besoins engendre de graves dysfonctionnements qui rendent impossible une prise en charge adaptée et de qualité.

Aujourd’hui, les questions liées à la migration nécessitent des mesures claires et harmonisées au niveau européen, alors adoptons enfin une vision européenne et collective sur les questions soulevées à l’Europe entière par la migration ! Il est temps de renforcer les obligations juridiques nationales et internationales, et surtout d’obtenir la garantie d’un libre accès aux secours humanitaires à tous les migrants en détresse, quel que soit leur statut juridique.Toute personne en difficulté doit pouvoir accéder aux organisations humanitaires, comme les organisations humanitaires devraient toujours pouvoir aller librement vers elles.Certains principes, comme la protection de l’enfance ou le respect des droits fondamentaux, doivent être érigés en impératif catégorique et conditionner l’accompagnement de ces personnes. En parallèle, il me paraît essentiel d’intensifier le plaidoyer pour le respect de la diversité, la non-violence et l’intégration sociale afin de faire évoluer les mentalités.

S’il incombe aux Etats de répondre aux besoins des migrants qui se trouvent sur leur territoire ou à leurs frontières, ils doivent également donner les moyens aux sociétés nationales Croix-Rouge et Croissant-Rouge, auxiliaires de leurs pouvoirs publics de par les conventions de Genève, ainsi qu’à l’ensemble des organisations humanitaires, d’apporter le supplément d’âme si nécessaire pour mieux accompagner la prise en charge des migrants vulnérables.

La migration est un sujet de toujours, aussi ancien que l’opposition entre Antigone et Créon. Elle réactive l’éternel conflit entre la loi civile et la loi morale… Loin d’être un doux rêveur, je dis qu’il est possible aujourd’hui, non pas de résoudre ce conflit mais de trouver un juste équilibre en se recentrant sur la dimension humanitaire de la migration.La clé de la réussite est là : il faut humaniser la loi !

Professeur Jean-François Mattei, Président de la Croix-Rouge française