Patrick Fuller est directeur de la communication pour l'Asie et le Pacifique de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Il se trouve actuellement dans le nord-est du Japon afin de soutenir nos collègues de la Croix-Rouge japonaise après le séisme et le tsunami du 11 Mars. Son témoignage sur la dévastation de la ville d’Otsuchi, où des milliers de personnes sont toujours portées disparues est poignant.

Il est difficile de trouver les mots pour décrire les scènes de ravages dans le sillage du tsunami qui a frappé les côtes du nord-est du Japon le 11 Mars.Sur la route qui mène à la ville d'Ishinomaki et qui serpente à travers des cols de montagnes enneigés, à travers les forêts de pins, une scène horrible m’est révélée au détour d’un virage.Une série de petites baies, où se trouvait autrefois un village de pêcheurs en plein essor… Je découvre maintenant une petite ville brisée et meurtrie.

Des vagues de dix mètres de haut ont tout balayé, tout dévasté sur leur passage. Les débris des maisons et les souvenirs des habitants sont éparpillés dans une boue noire et épaisse.

La ville d’Otsuchi dans la préfecture d'Iwate est peut-être l'endroit le plus durement touché sur la côte. Les habitants ont eu à peine une demi-heure pour évacuer vers un terrain en hauteur avant l’arrivée des vagues.Sur une population totale de 17.000 personnes il reste encore 9.500 habitants toujours portés disparus et il est très facile de voir pourquoi : l'eau en reculant a laissé une friche immense d'épaves enchevêtrées… Le carburant des bateaux de pêche fracassés, les conduites de gaz sectionnées ont pris feu et les débris tournoient dans un enfer flottant.

Scène d'horreur

L’incendie fait toujours rage. Une véritable armée de camions de pompiers venue de tout le Japon lutte pour contenir les flammes, qui ont maintenant touchées les forêts de pins environnantes. Les équipes de la défense civile se déplacent dans un univers fait de ciment et de béton calcinés, des poutrelles métalliques sont tordues et noircies par le feu… Leur espoir de retrouver des survivants est faible.

Le bruit constant des sirènes emplit l'air et des hélicoptères planent au dessus de moi en vol stationnaire pour transporter les blessés vers les hôpitaux les plus proches.

Otsuchi ressemble à l'enfer aujourd’hui.

Dans une récente visite à Otsuchi, le président de la Croix-Rouge japonaise et de la Fédération Internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Tadateru Konoé, a été choqué par cette scène de dévastation. "C'est ce que j’ai vu de pire dans tout mandat à la Croix-Rouge. Cela me rappelle des souvenirs de la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors que Tokyo et Osaka avaient été rasées par les bombardements. "

Dans l'un des centres d'évacuation de la ville, 500 personnes se trouvent entassées sur des cartons, sous des piles de couvertures, ce qui me frappe c’est que cette tragédie a frappé le plus durement les jeunes et les personnes âgées.

Hiromi Kinno est infirmière elle vit à Miyako, elle comme tant d’autres à scruter les nombreux messages griffonnés et épinglés sur un panneau d'affichage de fortune au gymnase. Elle est venue chercher ses parents et ses jeunes neveux qui font partie des personnes disparues."Je suis très inquiète de savoir si ma famille a réussi à s'échapper. Je n'ai eu aucun contact avec elle et j'ai découvert tout ce qui s'était passé à la télévision. Au début, je ne pouvais même pas y croire, et j'ai commencé à imaginer le pire et ne pouvant pas les joindre par téléphone portable, je me sentais si impuissante que j’ai dû venir."

Des personnes stoïques mais traumatisées

Je vois un couple de personnes âgées blotties autour d'un poêle à bois dans le coin du vaste gymnase regarder fixement les flammes. J'ai appris plus tard qu'ils avaient perdu toute leur famille et leur maison. Pour moi ils sont clairement dans un état de choc.

Tout le monde ici a perdu un ami ou un membre de la famille dans le tsunami. Pour les 80 équipes médicales de la Croix-Rouge japonaise déployées ici pour fournir des soins aux personnes évacuées, faire face aux traumatismes deviendra très vite leur plus grand défi.

Je passe à côté d’un secouriste accroupit à côté de la route qui feuillette les restes d'un album de photos de famille éparpillées dans la boue. Il s'avère qu'il est originaire d’Otsuko et a qu’il a lui aussi perdu des membres de sa famille. "Je ne peux que penser à mes enfants quand je regarde ces photos", dit-il tranquillement.Le calme qui règne parmi la population locale me frappe, mais cette apparence est trompeuse. Cela ne fait que cacher l’immense traumatisme que toutes ces personnes ont subi.

Les équipes médicales de la Croix-Rouge se sont déployées sur toute la longueur de la zone sinistrée soit 400 km de long. Dans les 24 heures après le début de la catastrophe, elles ont mis en place un réseau d'unités d'intervention d'urgence où des équipes de cinq personnes, composées de médecins et d'infirmières peuvent agir dans les différents centres d'évacuation situés dans les villes voisines.

Il aura fallu à Toda Kazuko, 12 heures de voiture dans la nuit pour atteindre Otsuchi en partant de sa ville natale de Kobe. Dans les heures qui ont suivies son arrivée, une véritable clinique sous tente a été dressée et les membres de l'équipe ont pu commencer le traitement des patients hébergés dans les centres d'évacuation. Kazuko est un véritable vétéran des opérations d’urgence, il a fait partie de l’équipe de la Croix-Rouge envoyée après le séisme en Haïti.

"Nous avons plus de 700 membres des équipes médicales qui ont été déployées. La prochaine rotation aura lieu dans les 4 jours dit-il avant d'avoir à me quitter brusquement lorsqu’une vieille femme arrive sur une civière dans la clinique. Elle grelotte et souffre visiblement d'hypothermie.

Les nuits à Otsuchi sont d’un froid glacial. Avec des températures de - 5 °C, pas d'électricité et des téléphones portables qui ne marchent plus, faute de réseau, les survivants sont isolés et doivent faire face a des conditions de vie extrêmes. Il y a une pénurie de carburant et très peu de nourriture disponibles dans les quelques magasins qui restent ouverts, certains ont du se résoudre à fouiller les débris pour trouver des aliments déshydratés mangeables.

A la vue d’une telle destruction, il m’est difficile d’imaginer un avenir à cette communauté brisée.

Patrick Fuller - traduit de l'anglais