Depuis la rentrée, les étudiants des Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) de la région Nouvelle-Aquitaine bénéficient d’un nouvel outil : une collection de simulateurs virtuels en soins infirmiers couvrant l’essentiel du programme de leurs trois années d’études. Un nouvel outil co-construit par des formateurs de l’ensemble des IFSI de la région et l’entreprise bordelaise SimforHealth.

Reportage à Angoulême, au sein de l’un des trois IFSI de la Croix-Rouge française dans la région.

            Bruissements de voix feutrées, perplexité…  Jusqu’à ce que le grand écran de l’amphithéâtre ne s’anime, attirant aussitôt le regard d’une quarantaine de paires d’yeux – ceux des étudiants en première année de l’Institut de formation en soins infirmiers (IFSI) d’Angoulême, réunis pour l’occasion en quart de promo. D’un clic, leur formatrice, Isabelle Viroulaud, a fait apparaître "Hermione, 83 ans, résidente à l’EHPAD Haut-Brion depuis deux ans", patiente virtuelle dont les élèves infirmiers du jour vont devoir envisager la toilette. Le graphisme est simple mais réaliste, la voix d’Hermione presque chevrotante mais distincte. « Elle parle ! », murmurent certains dans un coin de la salle, aussitôt happés par l’image. Oui. Et elle réagit d’ailleurs… en fonction des prises de décision des étudiants virtuellement chargés d’accompagner Hermione de façon ad hoc.

"A quelle heure vous fait-on la toilette d’habitude ?", "A quelle heure souhaitez-vous que je vienne pour vous aider à faire votre toilette ? ", "J’ai prévu de venir à 9 heures, est-ce que cela vous convient ?" Pour chaque étape du soin, s’affichent à l’écran différentes options. Aux étudiants de trancher, armés du dossier patient d’Hermione et de leurs connaissances théoriques… avant de passer à l’étape suivante. Très vite, même les plus réservés se lancent, défendant leur choix à grands coups d’arguments cliniques auprès de leurs camarades. Isabelle Viroulaud guide l’échange, réintroduit les concepts auxquels les étudiants sont en train de faire référence… parfois sans s’en rendre compte. Afin que leurs choix « ne soient pas des réponses instinctives » mais bien le fruit d’une réflexion clinique.

"Jamais la première fois sur un patient**"**

            Dans l’amphi les voix montent. Le débat s’installe. C’est qu’une toilette ne s’improvise pas. Au terme d’un semestre de cours, centré pour l’essentiel sur l’accompagnement d’une personne dans la réalisation de ses soins quotidiens - l’une des 10 compétences du référentiel infirmier - les étudiants le savent bien.  Mais de là à être capable de mobiliser ses connaissances pour cheminer cliniquement… l’exercice n’a rien d’évident.

D’où l’intérêt premier, et presque évident, de la réalité virtuelle en formation : permettre aux étudiants de s’entraîner, encore et encore, apprendre de leurs erreurs, face à un patient virtuel… avant de pouvoir réinvestir leurs connaissances auprès de véritables patients. Atout de poids permettant de répondre à un fondamental de la formation des soignants : le "jamais la première fois sur un patient__", posé par la Haute autorité de santé (HAS), souligne Nathalie Robert-Bijou, formatrice.

Un outil co-construit par les formateurs

            A l’instar de l’ensemble des écoles de la Croix-Rouge française, l’IFSI d’Angoulême n’a d’ailleurs pas attendu la rentrée 2019 pour intégrer la simulation virtuelle dans les cursus de formation de ses étudiants. Depuis quelques temps déjà, l’établissement utilise notamment un mannequin haute-fidélité piloté par ordinateur. Mais le simulateur utilisé ce jour-là par Isabelle Viroulaud et ses étudiants a une particularité : non seulement il fait partie d’une collection de neuf simulateurs virtuels en soins infirmiers - dont deux en réalité virtuelle - couvrant l’essentiel du programme des trois années d’études infirmières. Mais il a, qui plus est, été co-conçu par une quarantaine de formateurs des 27 IFSI de la région et l’entreprise bordelaise SimforHealth.

« Nous sommes partis du postulat que, pour que ce nouvel outil fasse sens, et soit réellement utilisé en IFSI, il fallait qu’il soit co-construit avec ceux qui l’auraient en main au quotidien : les formateurs eux-mêmes. Et ce sont d’ailleurs eux qui nous ont proposé de travailler à partir du référentiel de compétences infirmier pour élaborer le projet », insiste Jérôme Leleu, PDG de SimforHealth. Une proposition qui fait d’autant plus sens qu’elle a permis d’introduire dans la collection « la notion de progression – dans les études, sur trois ans, comme dans le raisonnement clinique », ajoute Guillaume Decormeille, infirmier titulaire d’un master 2 en sciences de l’éducation, en poste chez SimforHealth.

            Près de deux années de travail ont été nécessaires pour que ce nouvel outil pédagogique, soutenu financièrement par la région Nouvelle-Aquitaine, ne voie le jour. Forte de quelque 35 scenarios cliniques, avec possibilité d’en créer de nouveaux, « cette collection de simulateurs, disponibles sur une plateforme en ligne, couvre ainsi l’essentiel du référentiel de compétences infirmières. Seule la compétence 8, relative à la recherche et au traitement de données professionnelles et scientifiques, et donc difficile à appréhender par un biais numérique, a été exclue du projet », explique Janick Lacroix-Camus, formatrice à Angoulême ayant participé, avec des collègues des deux autres IFSI de la Croix-Rouge française dans la région (Bègles et Limoges), à l’élaboration de la collection.

Apprendre à être autonome

Pour sa première séance avec les premières années, Isabelle Viroulaud, préalablement formée à l’outil, a choisi de l’utiliser en amphithéâtre plutôt qu’en individuel, mais « en groupe restreint » afin que les étudiants découvrent l’outil sereinement, et accompagnés. « Après, l’objectif est bien sûr qu’à l’avenir, ils puissent l’utiliser de façon plus autonome, chez eux ou à l’IFSI, par petits groupes de 4-5 par exemple », souligne-t-elle. Pour les étudiants, cela sonne d’ailleurs comme une évidence – « cela veut dire que l’on va pouvoir s’entraîner chez nous ? Notamment si l’on n’a pas bien compris quelque chose ?! », interroge ainsi immédiatement Audrey lors de la présentation du simulateur par sa formatrice. Et oui ! Sourires.

Au terme de deux heures avec "Hermione", Isabelle Viroulaud sort de l’amphi la tête pleine de questions. « Les plus timides ont-ils réellement pu appréhender ce nouvel outil ? Ou se sont-ils laissés happés par les réponses de leurs camarades ? Aurais-je dû directement leur faire utiliser le simulateur par petits groupes ? Le temps de débriefing est-il assez long ? » Autant d’interrogations qui viendront nourrir la réflexion du petit groupe de formateurs qui s’est constitué au sein de l’IFSI pour réfléchir aux modalités pertinentes d’intégration des simulateurs à la palette d’outils pédagogiques existant déjà.

Immersion totale par le biais de la réalité virtuelle          

En attendant, côté étudiants, l’enthousiasme prédomine. « Déjà, ça change ! Et puis on est plus actifs, plus impliqués que devant une situation clinique sur une feuille de papier. C’est un peu comme un jeu », clament certains, vingt ans tout juste pour la plupart… et donc nés avec le numérique.  D’autres mettent en avant « l’interactivité, le débat », avant d’insister à leur tour sur « le côté ludique qui donne envie de participer », comme le souligne Chloé, 19 ans.

 Roxane opine, même si son avis est plus réservé – « c’était chouette, mais un peu lent. Peut-être parce que l’on était quand même 40 et que l’on échangeait beaucoup ! » Elle, ce qui lui a particulièrement plu, c’est de tester le simulateur numérique en réalité virtuelle, grâce à un casque 3D et deux manettes permettant aux étudiants d’être pleinement immergés dans une situation de soin. L’outil est a priori conçu pour être utilisé en 3ème année d’études, car les cas cliniques sont conçus pour travailler des compétences particulièrement complexes, mais cet après-midi-là, accompagnées par Laurent Mautré, ingénieur formateur multimédia à l’Institut régional de formation sanitaire et sociale (IRFSS) Nouvelle-Aquitaine, Chloé et Roxane ont pu tester l’outil. Casque vissé sur la tête et manettes en mains, elles ont titubé un moment, avant d’être happées par le cas du patient virtuel. « C’est étrange mais… tout semble réel. Même le patient ! D’ailleurs, à un moment, vous me parliez mais je ne vous entendais pas, ou presque, tellement j’étais prise par la situation – la compresse, virtuelle, que j’avais fait tomber, et que je cherchais partout. Pour moi qui ne suis pas très scolaire, qui ai du mal à suivre un cours classique, là c’est… je ne sais pas comment dire… c’est un outil qui… comment dire… et bien qui permet d’apprendre, me semble-t-il ! », s’exclame Roxane, presque ébahie.

Nathalie Robert-Bijou sourit. « Si chaque formateur va utiliser ce nouvel outil différemment, ce qui est riche, c’est qu’il nous permet d’élargir notre palette d’objets pédagogiques. Car il nous faut être créatifs. Notamment avec cette jeune génération ! Cours magistral, e-learning, immersion en réalité virtuelle, etc. L’essentiel c’est la variété, pour toucher le plus d’étudiants possible. D’être capables d’innover pour capter l’attention de tous », souligne-t-elle.

            Au plan national, la direction de la formation de la Croix-Rouge française ne pourrait qu’opiner. L’association ambitionne d’ailleurs dès cette année de doter les 31 autres IFSI, qu’elle gère sur le territoire, de cette collection de simulateurs numériques. L’accès à la collection de simulateurs revient à 50 euros par étudiant et par an. Auxquels il faut ajouter 1800 euros par an et par simulateur pour les deux simulateurs de réalité virtuelle. En attendant, les trois IFSI de Nouvelle-Aquitaine bénéficient eux, pour quatre ans, d’un accès gratuit à l’outil, en contrepartie de leur participation à l’élaboration du projet. A suivre donc !

Elma Haro

Numérique : la filière sociale aussi !

« Suite à la réforme des études des futurs travailleurs sociaux, le numérique est devenu un attendu majeur en termes d’apprentissage. Le développement des compétences des étudiants en la matière est d’autant plus crucial qu’ils devront, en tant que professionnels, accompagner des personnes vulnérables dans une multitude de démarches administratives quasi toutes dématérialisées.

Nous utilisons donc les salles de simulation pour travailler la coopération, la mise en scène de situations réelles types entretien d’accueil ou réunion de synthèse, ou l’importance du regard ou de l’appréhension d’un espace type bureau…

Autant d’exercices pour lesquels les étudiants sont accompagnés par un binôme de formateurs – un assistant de service social et une psychologue – dont l’accompagnement, en termes de débriefing notamment, est essentiel. » Laurence Boudy, responsable de la filière sociale sur le site de Limoges.

Témoignage

Sophie Alex-Bacquer, chargée de mission communication et relations internationales de l’IRFSS Nouvelle-Aquitaine

« Le numérique… c’est toute une batterie d’outils, intégrés par l’IRFSS Nouvelle-Aquitaine depuis un moment déjà. Parmi eux, les serious-game en réalité virtuelle, qui répondent à la même logique que les jeux vidéo – l’impossibilité de passer à un stade supérieur dans le jeu sans avoir au préalable résolu le problème du stade précédent. Il y a là une notion de progression très intéressante au plan pédagogique. Et puis… les jeunes aujourd’hui en formation dans nos écoles sont nés avec ces outils ! Ceux-ci sont donc très efficaces, pour tout ce qui est entraînement via la répétition, autonomisation des étudiants…

Autre intérêt de ces outils numériques : le fait qu’il peuvent participer à la réduction de la fracture géographique concernant les apprentissages – beaucoup de choses se faisant en ligne, et donc de n’importe où. »