Présentation du "village social du Bois Bouchaud" : Crèche, centre maternel, résidence autonomie pour seniors et locaux administratifs

Sur la table où s’amoncellent, pêle-mêle, layette duveteuse et jupes colorées, leurs mains trient, plient, et empaquettent.  Celles de Denise, délicatement tavelées par l’âge, frôlent parfois celles de Tina*,  lorsque la jeune femme hésite – dans quel sens plie-t-on la manche d’une chemise déjà ? Démonstration, sourires… Préludes à l’échange. La conversation se noue, encore timide. Respectueuse de l’intimité de chacune.

En cette mi-septembre, c’est jour de changement de collection à la vestiboutique du _"_village social du Bois Bouchaud". L’endroit est tenu par certaines des jeunes mères du centre maternel, hébergées quelques étages plus haut, accompagnées, deux jours par semaine, par deux résidentes de la résidence senior– Denise et Irène aujourd’hui. Secondées par Françoise Violain, monitrice d’atelier au centre maternel, elles doivent préparer l’ouverture au grand public de la boutique qui leur était jusque-là réservée. 

Catherine Bouget, la directrice du pôle Enfants Familles et Personnes Agées dans la région Ouest pour la Croix-Rouge française, observe, écoute, et est attentive aux besoins des uns et des autres… « Une démarche faisant que l’histoire créée en ces lieux est unique, et non transposable telle quelle ailleurs », souligne Renaud Lemor, directeur adjoint. « Une démarche impérative pour innover, croiser les pratiques », ajoute Catherine Bouget.  Dans l’expression tiers-lieu, elle entend l’attention à autrui et la capacité à se donner les moyens d’inventer de l’échange.

Après quatre années de travaux, le nouveau _"_village social du Bois Bouchaud", géré par la Croix-Rouge française, rassemble depuis quelques mois une crèche, un centre maternel, une résidence autonomie pour seniors et le siège d’un centre parental – quatre structures réunies autour d’un espace commun, un jardin. Doté de 96 places - 48 places pour les mères et 48 pour les enfants - le centre maternel accueille des femmes, souvent jeunes, enceintes ou mères d’enfants de moins de 3 ans, après accord de prise en charge par le Conseil départemental de Loire-Atlantique, dans le cadre de sa mission de protection de l’enfance et du soutien à la parentalité. Fragilisées par des vécus traumatiques aux visages multiples, les jeunes mamans sont souvent là suite à une décision judiciaire – une ordonnance provisoire de placement (OPP) avec orientation vers un centre maternel.

Le centre parental accueille, lui, 15 couples avec enfants, en grande précarité, logés dans des appartements en centre-ville. La crèche aux murs colorés dispose pour sa part de 80 places, dont 50 pour les enfants du quartier, et 30 réservées aux enfants du centre maternel. Parmi ces dernières, 13 places sont ouvertes 24h/ 24 – une structure dans la structure dénommée Arbrapapillon Ayant ouvert ses portes en mars dernier, la résidence autonomie des lieux, forte d’un projet marqué par l’attention au maintien de la mixité sociale et le désir de créer un lieu de vie participatif, accueille des personnes âgées encore autonomes dans  36 logements.

Donner du sens à la rencontre 

D’un espace à l’autre, dans le hall d’accueil, au détour d’un recoin du jardin, dans un couloir, une conversation se noue, des rires éclatent. L’échange entre générations naît parfois d’activités organisées en commun – à la vestiboutique, lors de la chorale, d’un temps de lecture ou d’un goûter. « Lorsque je vois une maman seule, je m’approche et m’assieds, automatiquement. Je dis bonjour, on parle, ou pas, raconte Denise, pimpante habitante de la résidence autonomie des lieux dit. Certaines se racontent, d’autres non. C’est vrai que les parcours de ces jeunes femmes sont souvent douloureux –ça me fait mal au cœur de sentir qu’elles sont un peu perdues.» Son plaisir à être avec « des jeunes » est manifeste. Sa joie, face aux facéties des enfants, communicative. Sans compter les rencontres faites au sein même de la résidence autonomie. 

« Certes, nous avions pensé cette résidence comme un espace au sein duquel les personnes âgées accueillies pourraient se projeter avec envie, imaginer un nouveau projet de vie, se donner de nouvelles racines… Mais ce qui y a germé va au-delà de nos espérances. Est-ce une question de personnalités ? D’état d’esprit ? Quoiqu’il en soit, les résidents ont réussi à créer un véritable collectif. Il faut les voir, les vendredis matins, attablés, palabrant, lors de leur "café participatif", du loto avec les jeunes mères des lieux à la prochaine sortie au théâtre de Nantes, et j’en passe », commente, presque admirative, Marina Dupas-Nevoux, jeune coordinatrice de la résidence autonomie. 

« Les plus gaillards soutiennent ceux dont le pas chancèle, les plus en forme ceux qui ont un coup de mou », ajoute Renaud Lemor, le directeur adjoint. « Moi qui ai eu un peu de mal à quitter mon HLM, mon quartier, mes repères, ici je me sentirais presque en colonie de vacances ! Ça aide à remonter la pente - et je peux vous dire que j’étais descendue très bas, surtout après la mort de mon mari… J’ai même repris le théâtre, en ville ! », commente Denise, goguenarde. Fièrement, cette dernière nous ouvre la porte de son appartement, qu’elle a meublé de blanc. La lumière inonde la pièce. « Sans compter que du cinquième étage j’ai une vue plongeante sur le jardin !», sourit-elle. 

« Construire, et faire vivre un "pôle intergénérationnel"__, ce n’est pas, simplement, juxtaposer des espaces les uns à côté des autres. Il faut penser le lien qui doit exister entre eux et ceux qui les habitent,  et laisser à chacun le temps d’investir les lieux », explique Marina Dupas-Nevoux, coordinatrice de la résidence autonomie. Le village du Bois-Bouchaud mixe ainsi respect des intimités et espaces propices à la rencontre. L’accès aux différentes structures du site se fait d’ailleurs par le biais de badges propres à chaque structure. Synonymes d’impératifs de "sécurité", potentiellement contraignants, ces badges sont aussi le signe que « les temporalités des uns et des autres sont ici différentes », souligne Annick Borghetto, directrice du centre maternel et du centre parental. Le tempo de la crèche diffère de celui de la résidence autonomie, comme de celui du centre parental et du centre maternel.  

Retrouver le goût des autres

Vécus de ruptures et de souffrances, de violence ou d’exil, de dépendances affectives et/ou d’isolement social et affectif, ponctuent les histoires de vie des jeunes mamans et de leurs enfants, hébergés au centre maternel pour un temps seulement. L’équipe des professionnels du centre maternel accompagne chacune sur le chemin de la parentalité. Chemin fragile, complexe… à l’issue parfois incertaine. L’existence de l’Arbrapapillon est à cet égard un outil précieux. Une crèche ouverte 24 heures sur 24, c’est la possibilité pour une mère de passer quelques nuits de la semaine seule dans sa chambre lorsque les cris de faim nocturne de son enfant la laissent démunie ; la possibilité pour un tout-petit fragilisé par un parcours chaotique, de vivre une après-midi de jeu dans un espace préservé, rassurant. La possibilité, aussi, de continuer à accompagner un temps ces petits bouts en attente de famille d’accueil lorsque leur maman  n’y arrive pas, n’y arrive plus, pour X raisons qui lui sont propres.    

« Face à ces vécus souvent douloureux, comment accompagner les seniors, parfois interloqués par les gestes maladroits des mères avec leurs enfants, à se débarrasser de leurs représentations et éventuels jugements ? Vaincre la réticence d’une jeune femme à dire bonjour? Ou préserver l’insouciance dominant à la crèche ? Le rôle des différentes équipes professionnelles des lieux est là, aussi », souligne Annick Borghetto, directrice du centre maternel et du centre parental, ajoutant qu’une rencontre entre équipe professionnelle du centre maternel et seniors de la résidence autonomie est d’ailleurs prévue à ce propos en octobre.

« Il faut laisser du temps au temps, donner la possibilité aux uns et aux autres de s’apprivoiser,  afin de favoriser une rencontre qui peut, au départ, être bancale », précise-t-elle. Rien d’évident donc, mais penser ces potentielles difficultés, c’est aussi laisser la porte ouverte à « des instants magiques », souligne Annick Borghetto. 

Elma Haro 

* Certains prénoms ont été modifiés