Dans le Tarn-et-Garonne, la mission Solidarité seniors de l’unité locale de Montauban accompagne tout au long de l’année des aînés fragilisés par l’isolement et la précarité. Ce 20 décembre, à quelques jours de Noël, personnes âgées et bénévoles de la mission se sont retrouvés pour partager un repas de fête, entre poèmes, spectacle de chansons et éclats de rire.

Sa démarche est fragile, hésitante même. Mais son sourire radieux. Annie, 76 ans, ne sait où donner de la tête - immobilisée par un parcours hospitalier de près d’un an et demi, elle reprend tout juste pied, et est tout à sa joie de « retrouver les copains de Solidarité seniors, autour d’un bon repas ». « Ces instants partagés, c’est le réconfort absolu » confie-t-elle.

Autour d’elle, d’une table à l’autre, on s’alpague, on se salue, on s’embrasse parfois, dans un joyeux brouhaha. Ce 20 décembre est jour de fête pour une trentaine d’aînés de la mission Solidarité seniors de Montauban et les bénévoles qui les accompagnent au quotidien. Micro à la main, accoudé au comptoir du Local -le tiers-lieu accueillant le repas du jour- Emmanuel Steck, responsable de la mission, peine à se faire entendre. Mais peu importe, son sourire parle à sa place - fi des discours, l’instant est au partage, à quelques jours de Noël.

Robes, pulls pailletés et vestons sont de sortie. Un petit sapin rouge et blanc fiché dans sa chevelure, Raymonde, 96 ans, doyenne de la journée, fait sensation,« c’est un p’tit rien, moins compliqué à monter que les robes que j’ai pu me tricoter lorsque j’étais bergère » badine la menue nonagénaire. Sur les tables, les décorations réalisées par les aînés lors d’un atelier animé par Micheline sont admirées par tous. . « C’est Noel avant l’heure, et même plus pour ceux qui, comme moi, seront seuls le 25 », souffle pudiquement Yves, 82 ans.

 les décorations de Michèle

Le droit à la dignité et aux rires, par-delà les années

Emmanuel Steck sourit. Pour lui, ce déjeuner de Noël partagé est un peu le symbole de l’accompagnement offert aux personnes âgées tout au long de l’année par la mission Solidarité seniors qu’il anime : « un accompagnement global des plus fragiles, vivant dans l’isolement et/ou la précarité », explique ce militant du « droit à la dignité et aux rires, par-delà les années ».

Écoute, accès aux soins et aux droits, activités ludiques et conviviales… le responsable d’équipe en est persuadé, pour répondre aux difficultés des aînés les plus vulnérables, une approche plurielle s’impose. « Non pas que les actions ciblées type "Allo comment ça va" ne soient pas pertinentes, bien sûr. Mais l’isolement et la précarité sociale, multifactoriels, ont tant de visages, qu’il est essentiel d’agir sur plusieurs fronts », insiste-t-il.

Pour ce faire, l’équipe de six-sept bénévoles de Solidarité seniors a développé, en près de quatre ans d’existence, toute une palette d’activités, individuelles et collectives, pour la cinquantaine de personnes qu’elle accompagne.

Au menu du suivi individuel : des visites à domicile ; des appels téléphoniques réguliers ; du transport et de l’accompagnement, pour un bilan santé ou le choix d’une paire de lunettes ; et de l’orientation/aide aux démarches administratives, précieuse pour celles et ceux perdus par la paperasse - et plus encore par l’outil numérique. Le rythme et l’intensité de ces interventions sont bien sûr fonction des besoins de chacun, du degré d’isolement comme des fragilités sociales parfois extrêmes. Pour les personnes dont la famille est absente, pour celles clouées au lit par la maladie, la fatigue… les coups de fil sont passés plusieurs fois par semaine, et les visites à domicile, autour d’une partie de scrabble ou d’une tasse de thé, réglées comme du papier à musique. Pour d’autres, comme Eliette, très entourée par ses deux fils, la visite hebdomadaire est synonyme de courses en grande surface, qu’elle ne peut faire seule car elle ne voit quasiment plus, et qu’aucun transport en commun ne passe devant chez elle. Pour Louise*, qui vivotait chichement, l’intervention de l’équipe a été synonyme d’aide administrative, lui permettant de se lancer dans une action en justice pour faire réévaluer une allocation personnalisée d’autonomie (APA) mal calibrée.

Eliette et E Steck

Côté accompagnement de groupe, se tenant deux après-midi par semaine, Solidarités seniors propose : un accueil autour des jeux, du chant, et du papotage, le mardi ; des ateliers centrés sur l’équilibre, la mémoire ou les créations manuelles, le jeudi ; mais aussi des sorties culturelles et plaisir, du pique-nique à la séance de cinéma ; ainsi que des temps de soins à la personne, grâce à des partenariats noués avec pédicure-podologue comme école de coiffure…

« Voiture-balai de la solidarité »

Toutes ces activités imposent à l’équipe un sacré jonglage en termes de logistique transport. Elles exigent aussi « de savoir s’entourer de partenaires », souligne Emmanuel Steck. « Chacun a, certes, une place bien à lui. Mais les liens noués avec les uns et les autres sont un biais précieux pour mieux connaître les personnes que l’on accompagne, affiner ce que l’on propose… et varier les activités. D’ailleurs, comme le dit le slameur et poète Grand Corps Malade, seul on va vite, mais ensemble on va loin », explique-t-il.

Les échanges sont nombreux avec associations d’aide à domicile et professionnels de santé comme avec le Pôle seniors et le centre communal d’action sociale (CCAS) de Montauban. Avec les Petits frères des pauvres aussi, qui co-animent certains ateliers type décoration florale ; et avec l’antenne locale de la Ligue contre le cancer, qui accueille les mardis et jeudis les activités de Solidarité seniors, qui n’a pas de locaux en propre. Sans oublier le cinéma associatif du coin qui offre des places une fois par mois ou les séances de coiffure à prix minime - et bien d’autres actions encore…  « Tout ça, c’est des p’tits plaisirs que, seule, je ne pourrais jamais m’offrir », murmure Elsa*.

Sa part de bûche de Noël engloutie, l’octogénaire et ses voisines de table savourent, les yeux rieurs, le spectacle de chansons et poèmes que quelques uns de leurs comparses, épaulés par Anita Baudel, bénévole, ont préparé pour faire de ce 21 décembre une fête. "La ballade des gens heureux" éveille ceux qui somnolaient, le mime de Michèle sur un air d’Annie Cordy vire en éclatante "danse du balai"… Et l’hilarité gagne l’assemblée lorsque Yves se lance dans une récitation imagée du Corbeau et du Renard, puis dans un mime endiablé sur l’air d’anthologie de Raymond Ouvrard, "Je ne suis pas bien portant". Les curieux venus chiner ou déjeuner au Local sourient.  « C’est comme avec mon grand-père, souffle une jeune femme à son amie. Pas de faux-semblant, pas de chichis, juste la joie d’être ensemble ».

* Certains prénoms ont été modifiés, par souci d’anonymat

Texte : Elma Haro

Photos : Emmanuel Charret