Réponse du Président de la Croix-Rouge française sur la "lettre ouverte" publiée dans Libération le 23 janvier.

Suite à la publication d'une « lettre ouverte » publiée dans Libération par quelques associations critiquant la gestion du dispositif d'évaluation des mineurs isolés étrangers à Paris (DEMIE 75), le Professeur Jean-Jacques Eledjam réfute les accusations injustes portées et rétablit la vérité d’une réalité complexe. Voici sa réponse publiée dans Libération.

Dans une lettre ouverte publiée dans Libération le 23 janvier, vous m’interpelez, et à travers moi l’ensemble de la Croix-Rouge, sur notre mission dans le cadre du dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers de la Mairie de Paris (DEMIE).

Avant d’évoquer ce qui semble nous opposer, rappelons ce qui doit nous unir : l’engagement qui nous anime, quelle que soit notre organisation d’appartenance. Celui de se tenir aux côtés des plus fragiles d’entre nous, de les accueillir et de les accompagner, quelles que soient leur histoire ou leur origine.

Cet engagement, c’est celui de chacun des 60 000 bénévoles et 18 000 salariés qui portent l’action de la Croix-Rouge partout sur le territoire. Des femmes et des hommes qui, pour servir la dignité humaine et lutter contre toutes les vulnérabilités, parlent peu et agissent beaucoup. Je n’accepte pas que vous les mettiez injustement en cause.

Humanité, impartialité, indépendance et neutralité. Vous évoquez ces principes fondateurs de notre organisation qui font notre spécificité depuis plus de 150 ans. Sur le territoire français, et partout dans le monde, nos équipes interviennent, en application de ces principes, avec une compétence reconnue par tous. Partout dans le monde, comme au DEMIE 75 où nous intervenons depuis 2016 comme opérateur de la Mairie de Paris pour émettre un avis sur la minorité des personnes qui se présentent. Les mineurs isolés étrangers, avant d’être des migrants sont des enfants et doivent donc être protégés. Pour leur permettre d’avoir accès à cette protection adaptée à leur âge, une évaluation doit être faite.

Cette mission, après d’autres acteurs associatifs, nous avons fait le choix de l’accepter, car notre priorité est d’assurer la protection de ces enfants.

C’est une mission exigeante, que nos équipes assurent avec professionnalisme dans un contexte compliqué. En effet, depuis 2017, le dispositif de Paris connait un afflux très important de jeunes en demande de reconnaissance de minorité.

Est-ce que nos équipes ont pu gérer cet afflux dans de bonnes conditions ? Non. C’est pour cela que nous échangeons en permanence avec le département pour trouver des solutions et adapter les moyens nécessaires à un accueil digne et un meilleur traitement des demandes. Nous avons été entendus et, outre le doublement de nos effectifs, nous ouvrirons prochainement un troisième lieu sur Paris qui nous permettra d’améliorer les conditions d’accueil.

Est-ce que la majorité des jeunes qui se présentent au DEMIE 75 sont mineurs ? Là encore la réponse est non. C’est un fait, que vous feignez d’ignorer, beaucoup de jeunes majeurs tentent d’intégrer des dispositifs pour mineurs car les canaux de protection et d’intégration pour les majeurs n’existent pas ou sont très difficile d’accès. Qui le leur reprocherait ? Ne ferions-nous pas de même si, isolés, sans ressources et souvent brisés par un parcours long et violent depuis le pays d’origine, nous nous retrouvions sans protection dans un pays étranger ?

Est-ce que ce nombre croissant de jeunes majeurs qui se présentent complique et ralentit le travail de nos équipes dédiées à la protection de l’enfance ? Oui. Et c’est là que nous avons une responsabilité commune : celle de mieux les accompagner, de mieux les orienter vers des dispositifs adaptés et d’œuvrer ensemble pour leur développement.

Enfin, je regrette que sur un sujet aussi sensible, vous ayez fait le choix de l’instrumentalisation en nous interpellant par voie de presse, privilégiant la polémique au dialogue constructif et à la recherche de solutions concrètes, dont nous aurons pourtant grandement besoin dans les mois qui viennent.

Et puisqu’elles ont été injustement mises en cause, vous me permettrez ici de conclure en parlant de l’action de nos équipes qui s’engagent avec humilité et dévouement auprès des personnes exilées. Par exemple, des 600 repas par jour distribués à Nantes pendant l’été 2018, des 200 kits hygiène distribués en Gironde, des 353 paniers de fruits et légumes distribués à Metz. En Hauts-de-France, des 2 000 personnes prises en soin en 2018 et des 2 000 passages sur nos activités de soutien psycho-social. De vous parler encore des 1 000 personnes que nous aidons actuellement à retrouver leurs proches dans le cadre de notre activité de rétablissements des liens familiaux, des 4 500 personnes migrantes accompagnées sur les accueils « santé-social », des 3 500 bénéficiaires de cours de français dispensés par nos bénévoles ou encore des 4 300 places d’hébergements et d’accompagnement que nous dédions aux personnes migrantes sur l’ensemble du territoire.

Nous comprenons parfaitement le souhait de vos organisations d’appeler l’attention des pouvoirs publics sur la situation des personnes migrantes et tout particulièrement sur celles des mineurs isolés et des jeunes majeurs, nous le faisons nous aussi, mais cela ne peut se faire au mépris de la vérité et de l’action de nos milliers de bénévoles et salariés qui agissent tous les jours auprès des personnes en situation de vulnérabilités.

Professeur Jean-Jacques Eledjam, Président de la Croix-Rouge française

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