Structure unique en France, l’Oasis, maison de répit et de soins palliatifs pédiatriques, a ouvert ses portes en décembre à Seysses, tout près de Toulouse. Un lieu de vie précieux, alternative à l'hôpital et au domicile familial, pour des enfants atteints de maladies incurables et leurs familles.

Pour le repas du soir, Mélanie s’est décidée, ce sera pizza. Quelque chose de simple, « une Reine, jambon, fromage, champignons » souffle “la petite princesse de l’Oasis”, comme l’a surnommée Marianne, l’une des infirmières des lieux. Si les bras de l’adolescente reposent, immobiles, sur les accoudoirs de son fauteuil roulant, de sa voix, elle mène la manœuvre culinaire. Sur ses instructions, Julie, l’une des gouvernantes de la maison, dispose la pâte, verse le coulis de tomates… Mélanie veut-elle essayer de l’étaler ? Pourquoi pas ! Sa main délicatement enserrée par celle de Julie, elle remue, consciencieuse, avant de grimacer. Trop douloureux. Sa maladie, le syndrome d’Exner, une maladie orpheline incurable, ne lui permet que peu de mouvements. Moue dépitée, puis franc sourire, Mélanie reprend sa direction vocale des opérations, et laisse le rôle de marmiton à Andy, qui du haut de ses huit ans, est impatient de mettre la main à la pâte. Arrivé la veille au soir à l’Oasis avec ses parents et son grand frère, le petit garçon, atteint d’une tumeur du tronc cérébral, a vite apprivoisé les lieux. Quant à s’improviser pizzaiolo, ça le connaît : « j’ai même participé à un concours de la meilleure pizza ! », fanfaronne-t-il. Quelques instants plus tard, le plat des enfants est enfourné, et en attendant la dégustation, c’est session dessins animés devant la gigantesque télévision du salon. Julie installe Mélanie, un peu fatiguée, à “sa” place, non loin du téléphone, tandis qu’Andy s’affale sur le canapé. « C’est tranquille ici, reposant, ça change de la maison et des bébés qui pleurent à l’hôpital », commente-t-il.

Lieu reposant, apaisant. Les mots d’Andy disent, à leur manière, la philosophie de l’Oasis : offrir à des enfants et des adolescents atteints de maladies incurables et à leurs familles un espace où souffler, où se poser un moment, quel que soit le stade de la maladie. Un lieu dédié, à mi-chemin entre l’hôpital et le domicile, parfois mal adaptés aux vécus infiniment douloureux courant de l’annonce du diagnostic aux derniers instants de vie d’un enfant. Ouverte le 14 décembre dernier, cette maison de répit et de soins palliatifs pédiatriques est une structure unique en France, créée par la Croix-Rouge en partenariat avec le CHU de Toulouse, engagé dans l’aventure par le biais de son équipe mobile douleur et soins palliatifs, le réseau Enfant-Do. Le projet est né en 2008, de la volonté de quelques acteurs locaux, aux premiers rangs desquels Christophe Carpentier, infirmier anesthésiste, ancien membre d’Enfant-Do, aujourd’hui directeur de l’Oasis et chargé de mission soins palliatifs à la Croix-Rouge. « Voir des parents pleurer dans les couloirs d’un hôpital, des familles, isolées, s’épuiser à domicile, parfois même des équipes soignantes craquer face à la fin de vie d’un tout petit… Ce sont toutes ces situations extrêmement dures qui nous ont convaincu qu’il manquait un lieu de répit pour les enfants et les parents, que ce soit à un moment x de la maladie, ou pour les accompagner en toute fin de vie », explique l’une de ses anciennes collègues, Maryline, infirmière anesthésiste, membre d’Enfant-Do.

Pour que l’Oasis puisse exister, il a fallu convaincre. Le défi n’était pas mince tant les tabous entourant la mort d’un enfant sont prégnants. Convaincre équipes soignantes et médicales de la pertinence de la structure. Convaincre l’Etat qui, dans le cadre de son Plan de développement des soins palliatifs 2008-2012, finance en large partie la structure à titre expérimental. Convaincre parents et enfants aussi… « Lorsque l’équipe d’Enfant-Do m’a parlé pour la première fois de l’Oasis, c’est vrai, j’ai eu peur, confie Marie-Jo, la maman de Mélanie. Etait-ce le mot “palliatif” qui m’impressionnait ? J’ai pensé mouroir, alors qu’en fait, pour Mélanie comme pour moi, c’est l’inverse, un lieu de vie, où nous avons pu nous poser, à un moment où Mélanie souffrait beaucoup. » L’équipe d’Enfant-Do a su trouver les mots pour parler à la mère et à la fille, et les lieux et l’accompagnement qui s’y nouent ont fait le reste. A tel point qu’aujourd’hui « Mélanie est même un peu boudeuse car, dans deux jours nous rentrons à la maison. Elle resterait bien se faire chouchouter ici ! » sourit Marie-Jo. L’Oasis, « c’est un peu comme une bulle de sérénité » confie-t-elle.

Des rires, plus que des larmes, des jeux et activités rythmant la journée, au delà des soins nécessaires à chaque enfant. Même le mobilier aux couleurs éclatantes dit combien on est ici dans la vie. Le bâtiment de 350 m2 qui abrite l’Oasis, bâti dans le parc de la clinique du Château de Seysses, comprend quatre chambres pouvant accueillir chacune un enfant et l’un de ses parents, une suite familiale pour un enfant et ses deux parents, et plusieurs espaces de vie partagés : un vaste salon salle à manger, une bibliothèque, une salle de jeux et d’activités, bientôt une balnéothérapie… Pour accompagner enfants et familles, une équipe pluri-professionnelle est là : quatre gouvernantes, qui assurent une présence jour et nuit, quatre infirmiers dont deux puériculteurs, un pédopsychiatre à temps partiel, et deux psychologues à mi-temps. Une équipe renforcée par les vacations assurées par plusieurs des membres du réseau Enfant-Do - Agnès Suc, praticien hospitalier au CHU de Toulouse, algologue et responsable des soins palliatifs, présente par convention deux demi-journées par semaine et responsable médical de l’Oasis, ainsi que trois infirmiers anesthésistes du réseau, présents chacun une demi-journée par semaine. Sans compter le soutien à venir de bénévoles formés aux soins palliatifs. « Ce travail partenarial mené avec Enfant-Do nourrit très fortement l’accompagnement que nous pouvons offrir aux enfants et à leurs familles, souligne Mathieu, infirmier puériculteur. Un membre de l’Oasis est d’ailleurs présent à l’hôpital à toutes les réunions d’équipe du réseau et à chaque fois qu’un enfant suivi par le réseau vient en consultation, et parallèlement, les membres du réseau participent aux réunions d’équipe de l’Oasis. »

L’architecture et l’atmosphère des lieux, le nombre et la pluridisciplinarité de l’équipe, permettent ainsi de construire un accompagnement individualisé pour chaque enfant, et pour chaque famille, « car il s’agit bien pour nous de les accompagner, et non de se substituer à elles », explique Mathieu. Mélanie, qui en est à son troisième séjour à l’Oasis, est arrivée la première fois à un moment où son traitement nécessitait d’être rééquilibré pour calmer ses terribles douleurs. « Nous avons pu nous apercevoir à quel point sa maman était, elle aussi, fatiguée, elle qui vit d’ordinaire seule avec sa fille », confie Maryline. Ici, la mère et la fille peuvent souffler. La mère de Mélanie continue, comme à la maison, à administrer son traitement à sa fille, mais, forte du soutien de l’équipe, aussi bien soignante que socio-éducative, elle s’accorde quelques instants de pause – laisser Marianne, infirmière, doucher et habiller son adolescente, farnienter en lisant un magazine pendant que Mélanie cuisine avec Julie. Des moments de répit, « pour mieux profiter de la vie avec Mélanie » souffle-t-elle. Pour Christophe et sa petite Lucie, cinq ans, atteinte d’une tumeur et décédée il y a un peu plus d’un mois à l’Oasis, l’accompagnement de l’équipe a été tout autre, « mais tout aussi riche » souligne ce papa en deuil. « La mort de mon enfant, c’était pour moi, quelque chose d’insurmontable, d’inacceptable. Et pourtant… Nous étions à la maison, l’état de Lucie s’aggravait. Nous ne tenions plus, mais nous ne voulions, ni l’un ni l’autre, d’un retour à l’hôpital. Les blouses blanches, les docteurs, ça aurait été insupportable ! Alors, l’Oasis a été comme une bouée pour nous. Dès notre arrivée, nous nous y sommes sentis bien, Lucie rassurée, moi soutenu. Le confort et les équipes étaient là ; nous étions écoutés, on répondait à toutes nos questions, on nous accompagnait dans les inéluctables décisions à prendre. Nous y avons vécu pleinement chaque moment qu’il nous restait à passer ensemble, et lorsque ma fille est partie, elle était dans mes bras, sa maman était là, l’équipe était là. Comme elle est toujours là si je le souhaite, maintenant que Lucie est partie. »

Pour les enfants et leurs familles qui, à un moment donné du vécu de la maladie, ont besoin de souffler, pour ceux aussi qui vivent leurs derniers instants de vie partagés, « l’Oasis est un lieu précieux » confie Christophe. Andy le dit, lui aussi, avec ses mots. Il vient de confier à sa maman qu’il viendrait bien passer ici ses vacances ! En attendant, il s’impatiente : c’est l’heure de jouer, le plateau de Monopoly est prêt. Ne manque plus que Mélanie qui, mutine, le fait attendre, avant de venir le rejoindre accompagnée de Julie. Les dés sont lancés, les enfants sourient.

Elma Haro