C’est un lundi pas comme les autres que s'apprêtent à vivre soixante-quatorze finistériens réunis par le Pôle solidarités Bretagne (PSB) (1) - floqué désormais Croix-Rouge française. Dans le port de Brest, un splendide gréement à trois-mâts les attend. Les moussaillons du jour ? Des personnes accueillies et suivies dans nos structures, des bénévoles et des salariés… Ensemble, ils ont embarqué à bord du Français pour une traversée inoubliable. Journal de bord.

Lundi 26 juin 2023. Brest. 9h30. Embarquement.

La brise est légère sur le port du commerce. Derrière la porte 5 se dissimule l’un des derniers grands voiliers de tradition : Le Français. Le navire de 46 mètres de long s’apprête à accueillir son nouvel équipage pour une sortie en mer rendue possible grâce au soutien de Grand voilier école (2). Yannick Jego, son trésorier, explique la démarche de l’association : « On a beau habiter Brest, la mer n’est pas un milieu que les gens connaissent facilement. Tous n’y ont pas accès. Alors, on leur permet d’en faire l’expérience. La navigation, c’est une école de patience, de solidarité, et ça apprend plein de choses ». À quai, les yeux s’écarquillent pour admirer le géant des mers. Denis, résident à la pension de famille de Ti Laouen, est bouche bée : « Je m’attendais à voir un bateau bien plus petit. Je suis impressionné par les dimensions », laisse-t-il échapper d’une voix tremblante, lui qui n’a pas du tout le pied marin. Il peut compter sur l’énergie communicative de Catherine Duchesnes, responsable de notre Pôle solidarités Bretagne (PSB) et à l’initiative du projet. L’air de rien, elle l'entraîne sur la passerelle menant au bateau. 

10h00. Larguez les amarres !

À la poupe du voilier, le drapeau de la Croix-Rouge française est hissé sous le regard de Patricia Gueguen, responsable de l’unité locale de Lesneven, impatiente de le voir prendre le vent : « C’est une première pour nous tous. Je suis heureuse de voir participer toutes ces personnes à cette aventure unique, à laquelle elles n’auraient pas eu accès autrement ». Valoriser l’accès aux loisirs et l’inclusion des personnes en situation de précarité ou isolées est un objectif essentiel pour le PSB. Observant les résidents sereins et épanouis, Catherine Borgne, maîtresse de maison à Ti Laouen, constate la convivialité à bord : « Cette sortie en mer nous réunit tous aujourd’hui. Tout le monde se mélange. C’est un moment de partage, de bonheur et de bien-être pour nous tous ». Au fil de l’eau, les moussaillons prennent confiance et se rapprochent tranquillement les uns des autres.

Arnaud, le second capitaine, challenge son nouvel équipage sur le pont : « On va envoyer un maximum de voiles ! Vous n’allez rien comprendre mais c’est pas grave, on va vous demander de participer ! ». Maurice écoute attentivement. Malgré ses 40 ans passés dans la marine aéronavale, le sexagénaire bénévole à la vestiboutique de Lesneven s’interroge : « Quand je vois tous ces cordages, je me demande lequel il faut prendre ! ».  À la barre, Cap’tain Morgan annonce les festivités : « On va tirer quelques bords pour aller déjeuner à Roscanvel, juste en face »

10h30. Vent Sud-Ouest.

À bord, les appréhensions s’estompent et laissent place à l’excitation. Certains sont déjà parés à la manœuvre comme Élodie qui est venue avec Jade, sa fille de 3 ans. Plus accoutumée aux chalands dans les parcs à huîtres, la jeune maman est aux anges, heureuse de pouvoir offrir à sa fille son baptême en mer. 

11h00. Vitesse 3-4 nœuds.

Premier quart demandé à tribord. Isabelle et Dominique n’hésitent pas : « On navigue pas sur un trois-mâts tous les jours ! ». La secrétaire de l'unité locale et l’ancien président territorial, en bons élèves, attendent les instructions, les mains fermes sur les bouts. La voile à hisser ? « On n’a pas retenu ! » avouent-ils. « C’est la voile d’été du perroquet ! », intervient Thibault, secouriste et coéquipier sur la manœuvre. L’exercice est intense, tout l’équipage est à l’ouvrage pour étarquer les voiles. « Allez on tire, on tire ! » L’énergie des uns pousse les autres, plus hésitants, à entrer dans la cadence. Chacun son rythme, chacun son style, mais tous en un seul équipage voguant dans le même élan. « Aujourd’hui, on est tous sur le même pied d'égalité. Les étiquettes se sont envolées. Il n’y a plus que des marins à bord », affirme Catherine Duchesnes qui savoure ces instants de cohésion et d’entraide.

12h30. Mouillage.

Alors que Le Français a mouillé l’ancre pour le déjeuner, le temps semble suspendu à bord. Le regard perdu sur la presqu’île de Plougastel, Denis médite : « C’est si calme, écouter les vagues, sentir le vent, ça berce… ». De petits groupes partagent victuailles et confidences. « Ça fait du bien de prendre le large... », souffle Françoise, ravie d'avoir rencontré Robert et Dimitri, qui viennent comme elle à l'épicerie solidaire. Sur la dunette, Farid fait une petite sieste. « C’est magique, on est privilégiés et chanceux », confie Anne-Laure, sa femme. Lorsqu'elle a décroché un entretien professionnel, les bénévoles de l'unité locale l'ont soutenue : « J'ai participé à un atelier bien-être avec soin des cheveux et du visage, j'ai reçu plein d'ondes positives et je me suis lancée ». Le travail sur la confiance et l'estime de soi, ça compte... et ça paye.

14h00. Dancefloor sur le pont.

On s’agite à côté du gouvernail. Cécile, quinqua pétillante aussi à l’aise sur la dunette que sur scène, prend le micro : « c’est un fameux trois-mâts fin comme un oiseau, hissez haut ! ». Robert, doyen de la traversée, donne le La. L’ambiance est joyeuse. On esquisse quelques pas de danse… et voilà que la Macarena enflamme le pont central. Nombreux lâchent prise sous le regard ému des volontaires qui les accompagnent. « On connaît leur parcours, les années de galère qu’ils ont parfois traversées… Et de les voir rire et danser ici, c’est notre récompense », confie Patricia, avant que les moussaillons ne s’élancent dans une chenille improvisée. Du jamais vu sur Le Français, parole de capitaine !

15h00. Retour au port 

On a descendu les voiles sur le navire qui rentre sous l’œil curieux des badauds. Chacun profite des derniers instants privilégiés à bord. On sourit, on s’embrasse, on se remercie comme pour étirer le temps avant de se quitter. Les interactions ont été simples et évidentes. En faisant connaissance, on construit des passerelles, comme le souligne Delphine, responsable de l'épicerie solidaire de Brest (non Croix-Rouge) : « Certains résidents de la pension de famille de Ti Laouen sont bénévoles chez nous. On travaille main dans la main avec les bénévoles de la Croix-Rouge. C’était super de partager cette sortie ensemble, ça renforce encore nos liens ». « Vous avez été au top ! », remercie l’équipage. 

Sur le quai, Françoise et Christelle s’échangent leurs numéros. Invitées sur le bateau par l’unité locale pour l’une, par l’association GP29 pour l’autre, les deux femmes se sont reconnues : « C’est incroyable ! On se connait depuis 30 ans, nos fils allaient à l’école ensemble ! ». Pour preuve que la solidarité à la bretonne, parrainée par notre association, a le pouvoir de créer et de recréer aussi des liens. 

(1). Le pôle solidarité Bretagne (PSB)

Rattaché à la Croix-Rouge depuis octobre 2022, le Pôle solidarités Bretagne (PSB) résulte de la fusion d’un collectif d’associations engagées dans la lutte contre l’exclusion. Il accueille à travers ses différents dispositifs des adultes en situation de fragilité psychique, des personnes isolées ou précaires, des personnes en difficulté. Le pôle regroupe ainsi une pension de famille (à Ti Laouen), un accueil de jour, des résidences de logements permanents en semi-collectivité, une épicerie solidaire de Lesneven, portée par les élus locaux du Centre intercommunal d’action sociale, une vestiboutique, un centre d’hébergement et de réinsertion sociale, et bien sûr l’unité locale Croix-Rouge de Lesneven. Grâce à la mise en place d’un comité de proximité, tous ces acteurs ont été rassemblés et travaillent en coopération sur ce territoire. 

(2). Grand voilier école (GVE)

Grand voilier école a été fondé par des bénévoles passionnés par le milieu maritime, convaincus que la mer est une formidable école de la vie. L’association offre ainsi à tous ceux qui n’en ont pas habituellement la possibilité de naviguer à bord du Français, un trois-mâts d’exception : des jeunes, des personnes en réinsertion, en situation de handicap physique ou psychique. Son objectif ? Partager les valeurs humaines et professionnelles de la grande marine à voile. Mais naviguer sur ce genre de bateau à un prix : il faut compter 5 400€ la journée en mer. C’est pourquoi Grand voilier école est en recherche perpétuelle de mécènes. Vous pouvez soutenir l’association ici : https://www.asso-gve.fr/ ).

Article : Laurene Renoux I Photos : Pascal Bachelet