Professeur et ingénieur en génie civil dans son pays d’origine, Haïti, Wilbens a choisi la France comme terre d’accueil. Le Repair Lab* de Montpellier, après l’avoir dépanné, lui offre aujourd’hui l’opportunité de se sentir utile et de faire profiter à d’autres de son savoir-faire.

Très discret, comme s’il craignait de déranger, Wilbens s’est assis sur l’un des deux bancs de plastique blanc déployés par nos équipes. C’est le milieu de l’après-midi et ce petit homme charmant, au sourire un peu triste, s’approche d’une des machines à coudre. Quelqu’un lui demande s’il sait s’en servir, s’il veut apprendre. Il répond en souriant : « Mais je sais très bien faire ! Dans ma famille, tout le monde sait coudre. Mon père, ma mère, mes frères et sœurs, moi. Tout le monde ! »

Wilbens a quitté Haïti il y a très peu de temps. Il est arrivé en France le 10 septembre via Saint-Domingue puis la Suisse. Depuis, il a déposé une demande d’asile et attend de savoir quel sera son sort. « J’ai dû partir car la vie est vraiment trop dangereuse en Haïti » confie-t-il la voix basse. Il sort alors son téléphone portable et ouvre le dossier « Photos ». Le voici qui montre des images de son épouse, une infirmière, et de leurs trois enfants. Tous sont restés au pays mais « ont quitté Port-au-Prince car la vie dans la capitale devient vraiment trop compliquée, explique-t-il. Il y a énormément de violence, tous les jours. »

Ce mercredi, contrairement à d’autres personnes hébergées dans le centre d’urgence, Wilbens n’a rien apporté à réparer au Repair Lab. Aucun vêtement à recoudre, pas d’appareil électronique à faire réparer. L’homme de 42 ans est venu pour parler, échanger autour d’une tasse de thé ou de café. Sans doute échapper, l’instant de quelques heures, à la solitude qui frappe la plupart des personnes exilées. « Les premiers jours loin de chez moi, ça a été très dur » dit-il. Quelqu’un lui fait remarquer que de très nombreux Haïtiens émigrent aux Etats-Unis, notamment à New York. Lui ne l’a pas envisagé. « Je préfère la France aux Etats-Unis. Je veux que mes enfants bénéficient de l'éducation à la française, parce que l’éducation de mes enfants, c'est ce qui compte le plus pour moi. »

S’il n’a rien apporté à réparer, il partage son désir de parler avec les autres. Son souci de se raconter, aussi. Il ressort son téléphone portable, d’autres images défilent. Le voici dans une salle de cours, à l’université de Port-au-Prince, entouré de ses élèves. Professeur et ingénieur en génie civil, il est bardé de diplômes, qu’il a aussi pris soin de photographier. Des vidéos suivent, dans un bâtiment, au milieu d’un chantier. « Je peux vous dessiner une maison, la construire, ce n’est pas un souci ! » lance-t-il fièrement. Le voici qui coud. Qui répare un pantalon déchiré, un ourlet qui s’est défait. Le travail est méticuleux, soigné. Il se tourne vers Louise, la responsable du Repair Lab : « Je voudrais faire comme vous, aider les autres, comment je peux devenir bénévole ? » demande-t-il. Louise sourit : « Ça te dit vraiment ? Eh bien, si c’est le cas, aucun souci ! Tu vas devenir un bénévole ! » Wilbens sourit. « Ça me ferait vraiment plaisir. Je n'ai pas l'habitude de rester sans rien faire de mes journées. »

* Le Repair Lab est un dispositif mobile de réparation humanitaire : il s'agit d'un véhicule aménagé qui intervient dans les lieux de vie informels (camps, centre d'hébergement d'urgence, squat…). Pour retrouver le reportage complet, cliquez ici.

Texte : Alexandre Duyck / Photo : Christophe Hargoues

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