Auprès des migrants à Calais, tisser un lien grâce au croquis
Publié le 18 juin 2021
C’est par le dessin sur le vif, instantané subjectif de moments de vie, que Magali Massoud, en thèse d’arts plastiques à la Sorbonne,intervient à Calais en tant que bénévole de Rétablissement des liens familiaux (RLF) auprès du Dispositif Mobile de soutien aux Exilé.e.s (DMSE) de la Croix-Rouge française. "Catalyseurs de contact", ses portraits dessinent les contours d’une individualité que l’exil a pu mettre à mal. Interview croisée de la jeune femme, et de sa collègue bénévole Léa Asmar.
Comment se retrouve-t-on bénévole à Calais, carnet de croquis à la main ?
Magali Massoud : J’ai découvert Calais par le biais d’une rencontre amicale, celle de Léa. Nos échanges, les récits de ses interventions en tant que bénévole de RLF dans le Calaisis pour la Croix-Rouge française m’ont happée, interpelée. La détresse associée à des parcours d’exil et de migration douloureux trop souvent occultée, la présence à l’autre dans laquelle s’inscrivent les bénévoles de l’association. Cela a fait écho en moi, jeune étudiante à Paris.
D’autant que ses récits faisaient aussi écho à mon sujet de thèse –un travail sur le dessin situé, ou comment transcrire le contact et tracer la mobilité des rencontres, via des interventions dans des milieux où le dessin a une valeur humanisante.
Pour moi, le croquis est un moyen de communication dynamique entre les gens, un catalyseur de contacts. Un lien tout particulier se crée entre le dessinateur ambulant et les personnes "croquées" -une présence à autrui, une temporalité et un espace partagés… favorable à la rencontre. A l’échange. Ce qui prend un sens très fort à Calais, en tant que bénévole Croix-Rouge.
Qu’apporte la présence de Magali à l’intervention de l’équipe RLF ?
Léa Asmar : Sur le terrain, elle est pleinement intégrée aux activités de l’équipe tout en ayant une place à part… Sa présence, carnet de dessin à la main, favorise tout à la fois l’intimité et l’animation –une animation joyeuse, empreinte de rires, de questions, favorisant de manière unique l’échange.
Lorsqu’elle dessine, cela attire en effet immédiatement beaucoup de monde. Les gens sont interloqués, curieux… Parfois dubitatifs oui –car beaucoup vivent la peur au ventre. "Ne notez rien", soufflent-ils, avant de s’esquiver, ou de laisser place à la rencontre. Mais Magali est bien identifiée, en tant que bénévole Croix-Rouge, et le plus souvent les gens la cherchent -"où est la jeune dessinatrice de la Croix-Rouge" nous demandent-ils tout sourires.
Dans les camps, dans un quotidien parsemé de doutes, de peurs et de solitudes, si offrir une boisson ou un repas est certes essentiel, le dessin de-anonymise les choses. L’attention portée à l’autre qu’il représente est un biais unique pour individualiser la rencontre. D’ailleurs, au bout d’un moment, c’est parfois moins le croquis en lui-même que la temporalité favorable à l’échange créée qui importe.
Quid de cet échange qui se crée ?
Léa Asmar : Les temps partagés autour des croquis de Magali sont vraiment uniques car ils permettent, très vite, de créer un espace d’intimité, presque de l’ordre de la confidence rendue possible. Ils installent la confiance, et créent l’occasion de dire et se dire… Les récits de vie, souvent tus, émergent à ce moment là. Et nous, bénévoles, nous pouvons alors nous présenter et présenter les activités de la Croix-Rouge et des différentes associations présentes dans les camps de la région.
Ce sont des moments particulièrement forts, notamment avec ceux qui sont complètement perdus, isolés… qui viennent d’arriver. Hier, c’était le cas avec Alan*, jeune mineur non accompagné originaire d’Afrique, croisé sur un campement le matin, perdu dans ce lieu où il ne connaissait personne. Il nous a retrouvées dans l’après-midi, s’est attablé avec Magali, qui a fait son portrait. Quelques vingt minutes partagées, au cours desquelles il s’est raconté, et qui m’ont permis par la suite d’échanger avec lui. La confiance nouée, j’ai pu faire faire un peu de prévention, d’orientation... Ce même jour, un autre homme, qui fuyait toute présence bénévole, a aperçu Magali dessiner et s’est approché. Il est resté, l’échange s’est nouée… et, grâce aux téléphones dont on dispose, il a pu appeler sa famille à qui il n’avait pas parlé depuis 8 mois.
Magali Massoud : Accepter d’être croqué, dessiné… oui c’est accepter d’être regardé, et parfois oser regarder. C’est accepter de se poser… parfois en silence mais parfois, aussi, avec des mots. C’est une temporalité unique, qui favorise l’introspection, rare en ces lieux rudes.
Donner des contours à des visages que trop souvent, on peut ne plus voir, c’est important pour moi. Portraits individuels. Portraits de groupes aussi –illustrant des vécus partagés, une humanité partagée.
Portraits du quotidien des bénévoles aussi, que j’aime à croquer. Les débriefings du matin et du soir, les trajets en camion d’un campement à l’autre, les paysages, l’attente… l’apprivoisement des plus fragiles, les regards partagés. Donnant forme à l’action des bénévoles dans ces lieux trop souvent oubliés.
Propos recueillis par Elma Haro
* Les prénoms ont été modifiés
Légende : Deux mineurs se partagent une tente au milieu des arbres, des bâches et des détritus de la « jungle » du Puythouck. Regards ensommeillés, bribes de conversation, rires et taquineries d’adolescents. Sur un fond de musique pop, des vidéos font entendre les explosions qui détonnent dans leur pays.Le 15 juin 2021, à Grande-Synthe. Dessins et textes : Magali MASSOUD
Légende : Sur un des sites de déploiement de la Croix-Rouge, une femme migrante qui travaille aujourd’hui dans une association humanitaire se fait tracer son portrait. « Surtout, fais ressortir mes marques de beauté [ses fossettes] ! ». La beauté se passe du langage.Le 16 février 2021, à Calais. Dessins et textes : Magali MASSOUD