Caravane de l’exil : aller à la rencontre des passants pour déconstruire les préjugés
Publié le 26 août 2025

Quand on croise Julie et Zineb dans les rues de Caen, c’est d’abord leur large sourire qui nous interpelle, un sourire qui réchaufferait le plus récalcitrant des passants. Puis nos yeux glissent vers la pancarte qu’elles arborent : “Vous êtes-vous déjà senti étranger ?”
Ces deux bénévoles sont des “porteuses de paroles”, le binôme arpente les rues commerçantes du centre ville avec pour objectif de susciter la curiosité des passants et de les inviter à un temps de discussion, bienveillant et sans jugement, sur le thème des migrations.
Elles croisent un homme âgé, arrivé d’Algérie en France vers 1960, qui réagit immédiatement à leur pancarte et leur partage ses souvenirs: “Quand j’avais 7 ans, je voulais aller jouer dans les squares, mais il fallait supporter le regard des autres enfants, c’était difficile.” Une autre passante répond : “Quand j’ai vécu en Suisse pendant un an, je me suis sentie étrangère, je ne comprenais pas certains mots, certaines coutumes, certaines traditions… Pourtant je n’étais qu’une française en Suisse romande, ce n’était pas un immense déracinement !”
Thierry, la soixantaine, renchérit : “Et bien moi je me suis senti étranger quand je suis arrivé à Caen, après des dizaines d’années en région parisienne. Mais je ne compare évidemment pas ma situation à celle des migrants qui arrivent en France, après un long voyage, difficile, et qui doivent s’adapter à une nouvelle langue, une nouvelle culture … Les migrants, c’est un sujet devenu tabou, difficile à aborder, malmené par les hommes politiques. Évidemment qu’il faut les accueillir, mais dans de bonnes conditions. ”
Elsa, une jeune passante de 20 ans se confie : “Il faudrait plus d’ouverture d’esprit. Ma demi-sœur est métisse, et j’ai eu l’occasion à de nombreuses reprises d’être confrontée au regard différent que l’on posait sur elle et sur moi. On répète tout le temps “tous les êtres humains sont pareils”, mais il y a encore beaucoup de préjugés tenaces.”
Nadège, bénévole sur la Caravane, concède que ce n’est pas toujours facile d’initier la conversation : “ Parfois on rencontre des gens très fermés, qui nous annoncent dès le début qu’ils ne seront pas d’accord avec nous sur ce sujet. Le défi est de réussir justement à lancer la discussion avec eux.”

Isabelle et Zineb se sont installées au milieu d’un carrefour piétonnier et ne passent pas inaperçues.
A la question “Si vous deviez quitter votre pays par obligation, quel objet emporteriez-vous ?”, les réponses fusent et sont variées : “Mon téléphone ! des photos de famille ! des vêtements ! un jeu d’échecs ! un roman en français ! ma mère !”
Puis elles leur proposent de passer au stand installé pour l’occasion par la Croix-Rouge pour participer à d’autres animations conçues spécialement pour apporter de l’information, ouvrir le dialogue et permettre de déconstruire certains préjugés.
Sur ce stand, nos bénévoles accueillent les curieux de tout âge et proposent une multitude d’activités ludiques : faire tourner la roue des questions pour en apprendre plus sur les migrations dans le monde, jouer au jenga, au jeu de l’oie pour les plus petits ou même tenter l’aventure de la réalité virtuelle avec des casques pour plonger dans le quotidien d’un camp de réfugiés.

Julie, bénévole locale de Normandie, a l’habitude d’utiliser le jeu pour créer du lien, elle l’utilise souvent dans son action auprès des réfugiés du camp de Ouistreham où elle se rend régulièrement : “Le jeu est un formidable moyen de rentrer en communication avec les autres, grâce au plaisir d’être ensemble et à l’aspect ludique.”

Pour Oranne, 28 ans, c’est une première participation à la Caravane de l’exil. Elle est bénévole au rétablissement des liens familiaux (RLF) de Normandie : “On est régulièrement en lien avec des personnes en demande d’asile, ils nous racontent leurs parcours catastrophiques, difficiles… Ici, je peux faire le lien entre ce que l’on fait au RLF et le partager avec le grand public, cet aspect de sensibilisation est très intéressant. Les activités proposées sont de très bons brise-glace, cela peut entraîner des discussions passionnantes avec des personnes de tout horizon, de tout âge … ”
Kevin, un jeune passant qui s’est arrêté une vingtaine de minutes sur le stand, a beaucoup apprécié “tourner” la roue des questions : “Il y a plein de questions dont je ne connaissais pas les réponses, comme par exemple le pays qui reçoit le plus de migrants sur son territoire (ndlr : l’Iran). Tout le monde devrait participer, ça remet en question de nombreuses idées reçues, et on apprend plein de choses.”

Mélanie, bénévole à Caen, se rend régulièrement au camp de réfugiés de Ouistreham. Toute l’année, son équipe propose des cours de français et des activités pour leur permettre de découvrir la culture française. “C’est intéressant de rencontrer le public, d’écouter, de les laisser s’exprimer… C’est un sujet malheureusement de plus en plus tabou, il y a un grand besoin de sensibilisation et déconstruction des préjugés.”

Charlotte Grimont, chargée du programme national Migration, se félicite de cette édition 2025, très réussie : “Cette année, nous avons développé des animations autour de la thématique de la multiculturalité. Les codes culturels peuvent parfois surprendre, décontenancer. Aller à la découverte d'autres codes, c’est s’ouvrir à l’autre et mieux le comprendre. Par exemple, finir son assiette lors d’un repas : dans certaines cultures, c’est de la politesse, et dans d’autres, ce n’est pas le cas … Nous essayons par le plus de moyens possibles (le jeu, la discussion …) d’ouvrir le public sur une autre manière de voir les choses, de changer d’angle de vue…
Un groupe de jeunes garçons se rapproche timidement du stand. Mamadou leur propose l’atelier des casques de réalité virtuelle : “ Souvent les gens sont attirés par le côté moderne et ludique, et ils ne s’attendent pas à une telle expérience. En quelques secondes, ils sont transportés en Ukraine … L’immersion à 360° est très réaliste et leur donne un autre point de vue que le journal télévisé, ils écoutent les témoignages de personnes qui parlent de leur vécu directement, les yeux dans les yeux … Quand ils retirent le casque, ils sont touchés, émus… Les jeunes sont souvent très impressionnés. Si l’on pouvait transporter tout le monde quelques jours dans un camp de réfugiés, cela changerait radicalement leur regard sur les migrants. Cette animation permet à chacun de se mettre à la place des autres.”

Cet été, plus de 5000 personnes ont été sensibilisées dans toute la France grâce aux équipes de la Caravane de l’exil.