En Guinée, où le sida reste un tabou, la Croix-Rouge française a formé des volontaires de la Croix-Rouge guinéenne à l’accompagnement psychosocial des personnes séropositives. Parmi elles, Karifa, 16 ans, a décidé de partager son expérience de la maladie, pour lutter contre l’isolement et la stigmatisation.

Tous les 3 mois, Karifa effectue le même chemin à pied. Deux heures aller-retour pour se rendre à Faranah, une ville de 80 000 habitants située dans le centre de la Guinée. C’est ici que le jeune garçon de 16 ans reçoit des soins médicaux et psychologiques. Il fait partie des 645 patients porteurs du VIH soignés dans cet hôpital régional, parmi lesquels figurent de nombreux enfants et adolescents. 

Karifa avait 4 ans lorsqu’il a été diagnostiqué, après un dépistage intra-familial. Malgré ce diagnostic tardif, il résiste bien à la maladie grâce à un traitement à base d’antirétroviraux, ces médicaments qui empêchent la multiplication du virus dans l’organisme et permettent la reconstitution des défenses immunitaires.

Ses soins médicaux sont gratuits, puisqu’ils sont pris en charge depuis une quinzaine d’années par les autorités sanitaires de Guinée. Mais depuis deux ans, quelque chose a changé dans le quotidien de Karifa : il bénéficie désormais d’un accompagnement psychosocial, grâce à un programme de la Croix-Rouge française visant à améliorer le bien-être des personnes vivant avec le VIH. Les volontaires de la Croix-Rouge guinéenne ont été formés grâce à ce programme à l’accompagnement des personnes séropositives

Une précieuse confidente

Lorsque nous rencontrons Karifa, il est aux côtés de Camara Biya, son accompagnatrice psychosociale. Elle est l’une des deux volontaires de la Croix-Rouge guinéenne présentes six jours par semaine à l’hôpital pour soutenir le moral des malades et les conforter dans leur parcours de soins.

Le jeune garçon vêtu de son impeccable uniforme de lycéen couleur sable prend la parole sous l’œil bienveillant de Camara. « Ma maladie, je ne la ressens pas, je n’ai pas de soucis avec elle, j’y suis habitué », confie-t-il. Ce qui le fait souffrir en revanche, c’est la stigmatisation. « Le sida, c’est un secret. Mes copains à l’école ne sont pas au courant de ma maladie, ça me mettrait trop mal à l’aise et ça me fait peur de leur dire. » Alors, quand il a besoin de se confier, c’est auprès de Camara qu’il le fait. « Je suis un peu sa deuxième maman. Mon rôle, c’est de l’aider à imaginer l’avenir. Il se bat contre la mort alors que c’est encore un enfant. Ça me fait mal. », témoigne-t-elle.

Le poids de la stigmatisation

Karifa connaît par cœur le parcours de soin, élaboré par l’hôpital avec l’aide de la Croix-Rouge guinéenne. La consultation trimestrielle commence au laboratoire, un petit bâtiment gris et jaune devant lequel les patients font la queue. Le laborantin réalise une prise de sang pour dépister la présence d’éventuelles maladies dites opportunistes, qui profitent de l’affaiblissement du système immunitaire des patients séropositifs pour s’installer et se développer. Il mesure aussi la charge virale, c’est à dire la quantité de virus dans le sang de Karifa, pour s’assurer qu’elle reste bien maîtrisée grâce au traitement. Il faut ensuite patienter sur des bancs à l’extérieur ; une attente qui se prolonge parfois lorsque certains matériels sont en rupture de stocks, ou défectueux. Aujourd’hui, les résultats sont bons et c’est un soulagement. Puis, vient la consultation avec le médecin : contrôle du poids, prise de tension, palpation de l’abdomen… l’examen se déroule en toute discrétion. Impossible pour les autres malades de savoir que le jeune garçon est porteur du VIH. C’est une volonté du directeur de l‘hôpital, le docteur Ibrahima Nabé. « Ce sont des patients comme les autres et c’est pourquoi nous les recevons au sein du service de médecine générale, même si, dans la réalité, c’est une équipe dédiée au VIH qui les prend en charge, explique-t-il. La stigmatisation est encore trop forte. La population manque malheureusement d’informations sur les modes de contamination et les traitements. Mais la Guinée a mis en place un projet de lutte nationale contre le sida, grâce, notamment, aux actions menées par la Croix-Rouge guinéenne avec le soutien de la Croix-Rouge française auprès des communautés. Leurs sessions de sensibilisation, d’incitation au dépistage et au suivi médical portent leurs fruits petit à petit. Et le nombre de cas commence à régresser. »

De patient à acteur engagé dans la lutte contre le sida

En Guinée, près de 130 000 personnes vivent avec le VIH, ce qui représente 1% de la population. Pour elles, le chemin est encore long, dans un pays au système de santé encore fragile. À Faranah, l’hôpital est actuellement en travaux pour construire de nouveaux services et augmenter le nombre de lits, ce qui complique l’accueil des patients. Par ailleurs, les médicaments manquent souvent, stocks de médicaments sont régulièrement en rupture. 

Aujourd’hui Karifa sourit : il a pu récupérer ses 3 boîtes de médicaments à la pharmacie de l’hôpital, assorti des recommandations prodiguées par Camara, qui lui réexplique après chaque consultation l’importance cruciale de bien suivre le traitement. Karifa acquiesce : il ne déroge jamais à la prescription. 

L’adolescent n’est plus seul face à la maladie. Avoir été accompagné lui a donné l’envie de transmettre à son tour. Depuis quelques mois, après avoir été formé par les deux accompagnatrices psychosociales de la Croix-Rouge guinéenne, il est devenu ce qu’on appelle un « pair-éducateur » au sein de l’hôpital. Il donne de son temps pour participer à des groupes de parole avec d’autres enfants et adolescents récemment diagnostiqués. Il leur explique pourquoi il est essentiel de bien respecter la posologie du traitement et comment adopter une bonne hygiène de vie pour rester en bonne santé.  À 16 ans, Karifa n’est plus un simple patient : il est devenu un acteur engagé dans la lutte contre le sida.

Texte : Nathalie Chevance, journaliste/ © www.lagencecdigital.com Photos : Alex Bonnemaison