La famille au travers des mutations sociétales
Publié le 23 avril 2012
Douze chercheurs et spécialistes sont venus apporter leur éclairage au cours de cette journée.Longtemps, la famille a semblé fondée sur un modèle unique : un père et une mère unis par les liens du mariage, avec un ou plusieurs enfants, vivant ensemble sous un même toit.
Mais avec la multiplication des divorces, des familles monoparentales ou recomposées, l’apparition de l’homoparentalité et de la procréation médicale assistée, cette définition traditionnelle de la famille ne semble aujourd’hui plus aller de soi. Dans un monde moderne en pleine mutation, jamais les liens qui unissent les parents à leurs enfants et vice-versa n’ont paru aussi délicats à appréhender.La famille est-elle en déshérence ou bien en totale transformation ? Faut-il rappeler son rôle ou bien au contraire le repenser ? Sous le titre « Le lien familial à l’aube du XXIe siècle : ombres et lumières », c’est à ces questions que le colloque organisé le 28 mars 2012 à Paris par la Fondation pour le lien social Croix-Rouge française a tenté de répondre.Devant un public de 350 professionnels de l’éducation, de la petite enfance, du travail social… douze spécialistes issus de la médecine, de la psychologie, du droit et de la recherche universitaire se sont succédé pour apporter des éléments de réponse. Compte-rendu d’une journée riche et passionnante.
Une famille en métamorphose
Premier constat, la famille se porte bien. Contrairement aux discours qui dénoncent une perte des repères qui serait provoquée par le triomphe de l’individualisme, la plupart des chercheurs présents soulignent à quel point la valeur « famille » est devenue incontournable dans notre société. « Jamais les valeurs entre générations n’ont été aussi proches, jamais on ne s’est autant soucié de transmission, d’écologie, de solidarité intergénérationnelle », souligne Pierre-Henri Tavoillot, professeur de philosophie à l’université de la Sorbonne.Celui-ci considère que la famille et l’intimité sont même devenues « un des derniers refuges et une limite » à l’hypercapitalisation de la société.En revanche, reconnaît Irène Théry, sociologue au CNRS et spécialiste des questions de filiation, « son modèle a totalement été bouleversé depuis trente ans. » La famille traditionnelle hiérarchique, fondée sur le principe du mariage et la puissance du père, a laissé la place à une conception plus démocratique, plus égalitaire, et définie essentiellement par la présence ou non d’un enfant. « Mais si cette métamorphose permet de résoudre les problèmes de l’ancien modèle de famille, explique-t-elle, elle en soulève aussi de nouveaux ! » Ainsi, si la famille moderne est marquée par « une qualité de lien émotionnel bien meilleur qu’avant, car elle est moins formelle », explique Susana Tereno, docteur en psychologie clinique, son équilibre est aussi plus difficile à trouver. « L’autorité verticale est aujourd’hui battue en brèche », souligne Philippe Jeammet, professeur en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université de la Sorbonne. « Or, l’horizontalité est compliquée à instaurer, ajoute-t-il, elle doit valoriser les objectifs communs, privilégier le ‘faire ensemble’ plutôt que la structure. »
Une conception qui nécessite de la part des parents un investissement important… Or, c’est là que le bât blesse ; de nombreuses familles ne bénéficient pas, dans notre monde contemporain, de conditions favorables pour instaurer cet équilibre. Un véritable paradoxe : « Alors que l’exigence d’éducation devient de plus en plus grande, jamais le monde du travail n’a été aussi peu compatible avec l’idée même de construire une famille ! », s’alarme Claude Martin, sociologue au CNRS, qui pointe du doigt le « double procès » fait aux précaires : « pauvres », et, en plus, « pas capables d’élever ». Pire encore, ce manque de moyens de certaines familles aurait en outre des conséquences bien plus discriminantes qu’auparavant, explique Pierre-Henri Tavoillot : « car dans une société où la solidarité familiale devient incontournable, ceux qui n’en bénéficient pas se retrouvent comme abandonnés. »
Pour Caroline Rey-Salmon, pédiatre et expert près de la Cour d’Appel de Paris dans les affaires de maltraitance, cet aspect doit être impérativement pris en compte sur le terrain par les professionnels : « attention aux jugements hâtifs sur les familles qui sont éloignées de nous, prévient-elle. Une famille pauvre, par exemple, ne veut pas forcément dire qu’un enfant est maltraité… Il faut travailler avec les parents, les écouter et éviter toute conception infantilisante de la parenté. » Une approche d’autant plus importante, estime Dominique Attias, avocat au Barreau de Paris en charge d’un groupe de réflexion sur le droit des mineurs, « que certaines familles sont totalement étrangères au monde judiciaire, explique-t-elle. La règle d’or est donc de ne pas travailler contre les parents, mais avec eux. »
Un soutien aux familles à redéfinir
Travailler avec les familles en difficulté, oui, mais comment ? Face aux transformations de la famille contemporaine, certains professionnels confrontés aux problématiques familiales, qu’il s’agisse de protection de l’enfance, de délinquance, de handicap ou encore de vieillesse, soulignent que leur position est souvent difficile. Est-ce à eux de définir ce que doit être une « famille » ? N’est-ce pas plutôt aux institutions ?Pour Sylvain Lemoine, du Centre d’Analyses Stratégiques chargé, entre autres, de réfléchir au rôle de l’Etat français en matière de politique familiale, « l’Etat ne peut pas aller vers une intervention trop institutionnelle, car le risque d’être inquisiteur dans la vie privée des gens est grand », même s’il convient que son rôle « ne peut se limiter à agir seulement quand ça va mal, comme, par exemple, dans le cas des maltraitances. »Pour beaucoup de spécialistes présents, c’est à la société dans son entier de tracer de nouvelles règles du jeu. « Ne devrions-nous pas agir collectivement en revendiquant une définition de la nouvelle famille, en utilisant notre pouvoir instituant? », s’interroge la sociologue Irène Théry, qui rappelle ainsi que la recherche a son rôle à jouer. Pour Sylvain Lemoine, il est également important de repérer et d’étayer les initiatives de la société civile, à l’image des aidants pour les personnes âgées ou malades, ou encore de ces parents formés pour apprendre aux autres à « devenir parents ». Des actions certes souvent invisibles, portées essentiellement par des initiatives locales ou associatives,mais parmi lesquelles se trouvent peut-être les réponses aux problématiques de la famille et de la société de demain.
Vous pouvez retrouver tous les échanges de cette journée sur le site du Canal Universitaire, spécialisé dans la retransmission des colloques et journées d’études, en cliquant ici .