Les trois premières années de la vie de l'enfant sont particulièrement importantes. C’est une période de développement clef, intense, pour les bébés comme pour leurs parents. Valérie Fréchou, infirmière puéricultrice devenue cheffe de projet au national, raconte l’histoire de notre filière - assez méconnue - de la petite enfance. Rencontre.

Elle travaille à la Croix-Rouge depuis 25 ans. Valérie Fréchou est infirmière puéricultrice de formation. Après un début de carrière en réanimation néonatale à l’hôpital, c’est au sein du secteur de la petite enfance qu’elle fait carrière, en débutant par un poste de directrice adjointe dans une crèche Croix-Rouge du VIIe arrondissement de Paris. “J'ai tout appris sur le terrain, explique-t-elle. J'étais la plus jeune de l'équipe à l'époque, j'avais 26 ans. J'ai travaillé avec des professionnelles de terrain hyper impliquées, engagées, ayant une très bonne connaissance et je dois sincèrement dire qu'elles m'ont toutes appris énormément”. D’adjointe, Valérie devient directrice de la structure. Après 20 ans de crèche, elle se voit ensuite proposer un poste de coordinatrice petite enfance en Île-de-France, et enfin - depuis janvier 2025 - celui de cheffe de projet petite enfance, au niveau national. 

Quelle est l’histoire de la Croix-Rouge avec la petite enfance ? 

Il faut savoir que notre association formait ses infirmières à la puériculture avant même que le diplôme d'infirmière puéricultrice ne soit officiellement créé en 1947. Elle était précurseur dans ce domaine de la petite enfance. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, nous avions déjà mis en place des consultations itinérantes rurales auprès des enfants. C’était peu ou prou les prémisses de la Protection maternelle et infantile (PMI). Historiquement, nous avons énormément œuvré dans le domaine de la petite enfance, notamment avec les centres de protection maternelle et infantile. Ceux-là même qui accueillent les enfants de moins de 6 ans et proposent des actions de prévention et de soutien à la parentalité. Dès 1941, nous avons d’ailleurs intégré la protection de la mère et de l'enfant dans nos statuts.

En quelques chiffres : aujourd’hui, la filière petite enfance, ce sont 53 crèches et 7 centres de protection maternelle et infantile, répartis sur plusieurs régions, notamment Île-de-France, Grand Est et Rhône-Alpes. Et ce sont plus de 900 salariés engagés auprès de 3 600 enfants et leurs familles.

Quelle est notre plus-value au sein des crèches ? 

Nous avons des engagements forts en termes de mixité sociale et d’inclusion. Notre grille tarifaire est identique à celle des crèches municipales, définie par la CAF (caisse d’allocations familiales), ce qui est un gros point de différence avec les crèches privées. On demande également à l'ensemble de nos crèches d’accueillir au moins 30 % de familles avec un tarif à moins de 1 euros de l'heure. C'est un marqueur fort, qui encourage la mixité sociale. On accueille aussi les enfants porteurs de handicap - nous avons des professionnels formés pour ça. Souvent, les parents d’enfants en situation de handicap, et notamment les mamans, mettent leur activité professionnelle entre parenthèses pendant les premières années de la vie de leur enfant, et pensent qu’elles doivent le garder. Sauf que ces parents, ces mamans, ont aussi besoin d’un peu de répit. On prête ainsi une attention particulière à la sélection des familles dans nos crèches : que ce soit une famille en parcours de PMA, une qui a rencontré des difficultés dans un mode de garde précédent, des soucis financiers, etc. 

La plus-value de nos crèches a notamment été reconnue par le Conseil d'administration de mai 2025 par une décision d'adoption du positionnement stratégique des établissements et services.

Pourquoi la petite enfance, ces fameux “1000 premiers” jours, sont si importants ? Et pourquoi les professionnels de la petite enfance ont un rôle crucial à jouer durant cette période ? 

La résilience d'une société commence dans les bras de ceux qui accueillent ses tout-petits. Effectivement, ces enfants qui ne marchent pas encore cherchent dans l'adulte le socle de sécurité dont ils ont besoin pour grandir.

La théorie de l'attachement met en lumière qu’avoir des liens forts avec des personnes de référence, un socle sécuritaire suffisant, permet aux enfants d’aller explorer le monde et d’aller vers l'autre. De très nombreuses études le prouvent. Si on n'a pas cette base sécuritaire là, on est construit sur quelque chose de bancal - qui peut être réparé après, bien sûr. Mais, en plus d’avoir des conséquences pour l’enfant, ça a aussi un coût pour la société quand nous ne sommes pas construits sur des bases d’attachement solides. C’est pour cela qu’on fait désormais beaucoup de prévention dès la grossesse, dès la maternité, sur l’importance de ce lien d’attachement entre le parent et son enfant.

Dans nos crèches, l'idée c’est d’accueillir des familles fragilisées pour qu’elles puissent bénéficier d’un accompagnement professionnel de qualité. Tous nos professionnels suivent une formation sur les besoins fondamentaux des enfants, comment se développe leur cerveau etc. pour accompagner au mieux les familles. 

On sait aussi qu’un enfant qui est maltraité chez lui, s'il est gardé 10h par jour dans une structure où il a des interactions et des relations de qualité avec les professionnels, sera de fait moins abîmé. Le Dr Catherine Gueguen - qui a écrit plusieurs livres sur les neurosciences de l’enfant -  dit toujours que chaque euro investi dans la petite enfance rapporte beaucoup plus à la société sur le long terme.

Les pros de la petite enfance sont des gardiens. Si on est assez attentif sur cette étape-là de la vie, derrière c'est extrêmement bénéfique pour la société.

Le secteur de la petite enfance est en crise. Comment les récentes enquêtes et rapports d’utilité publique sur la petite enfance ont-ils impacté notre filière ? 

On a traversé une dégringolade de la petite enfance depuis quelques années. On a vu arriver dans ce milieu une concurrence privée extrêmement agressive, avec des gens très équipés - notamment en termes de communication. De notre côté, on était toujours centrés sur le terrain, on a continué à faire du travail de qualité au cœur de nos crèches, même si nous ne sommes pas très visibles auprès du grand public. Notre phare, c’est de garantir une qualité sur le terrain et de ne pas démunir nos équipes. 

Le livre Les Ogres (de Victor Castanet, édition Flammarion, ndlr) et le rapport IGAS ont eu des impacts de taille, y compris chez nous. On a davantage essayé de comprendre, de réfléchir à comment rendre compte de notre qualité d'accueil, du positionnement de nos professionnels par rapport aux enfants. Et c'est quelque chose qui est très difficile et qui demande beaucoup d’observation.

Les violences éducatives ordinaires, les maltraitances, existent en crèche comme partout. Comment les prévenir ? 

Quand on dit les choses - et quand on les sanctionne - on protège tout le monde. Vous protégez l’enfant, vous protégez votre collègue, vous vous protégez vous-même et vous protégez la structure. Il faut nommer les maltraitances, il faut dire que ça existe, il faut dire quand un comportement n’est pas ok. La “douce violence” ou encore les violences éducatives ordinaires, c'est le démarrage des maltraitances. Et ce n’est pas seulement celles que l’on voit dans la presse, avec de gros scandales, il y a beaucoup de choses qui se jouent avant.  

En crèche, on est tous garants les uns des autres. C'est un métier extrêmement éprouvant, avec des pénuries, des bas salaires et qui demande une très grande disponibilité. Il faut que ça change, mais malgré les difficultés, il y a des gens qui adorent leur métier. En crèche, on voit et on vit des choses assez fantastiques et ça aussi il faut le dire. On a une reconnaissance immense des enfants et des familles. Voir les enfants évoluer, épanouis, prêts à partir pour l'école, c'est tellement génialissime.