Accueil santé social

« Je n’en peux plus ! Regardez, je viens vous voir et je suis sale ! Mais qu’est-ce que je suis devenu ? »

Daniel* franchit la porte le poing serré, sans un mot, et file droit vers Simone Lyonnaz, la présidente de la délégation départementale. A elle, il peut le dire, « depuis le temps qu’on se fréquente » : «ce matin, je me suis dit que j’allais me pendre. Trop c’est trop !». 

« Non mais, et puis quoi encore ? », le bouscule la présidente. Daniel respire, accepte un café.

Une porte s’ouvre et un autre visage connu apparaît, celui d’Alain Paupert, ancien chirurgien, bénévole à la Croix-Rouge française depuis près de cinq ans. Chaque vendredi depuis juillet dernier, il consulte ici. La file d’attente est longue, comme toujours. Daniel salue le praticien d’une poignée de main et la porte se referme sur eux.

Simone Lyonnaz commente : « Nous avons abattu un mur, débarrassé un placard pour créer ce cabinet de consultation et y installer le docteur ! Mais ce qui s’y joue ici ne se mesure pas en mètres carré. La possibilité de voir un médecin, c’est un plus considérable pour ceux que nous accueillons. » 

« Ce qui nous semble important, à la Croix-Rouge, c’est d’avoir une vision pleine et entière de ce que recouvre ce mot “santé.” C’est pour cela que nous nous fondons, dans notre approche, sur la santé telle que définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : « un état de complet bien-être physique, mental et social ». C’est selon moi essentiel. La santé, c’est un bien-être global. Trop nombreux sont ceux qui l’oublient, y compris des professionnels de santé. Sans compter que si la santé est théoriquement un droit, beaucoup y renoncent, pour toutes sortes de raisons. Et notamment, bien sûr, les plus fragiles d’entre nous. » Caroline Cross, première vice-présidente de la Croix-Rouge française, médecin à l’OMS, ancienne présidente de la délégation locale d’Annecy. 

Ecoute, consultation médicale et accompagnement social

Le dispositif d’« accueil santé social » (AcSS), mis en place via un partenariat avec la Fondation Sanofi, ne désemplit pas. Ici, le médecin pare, pour l’essentiel, aux besoins en soins primaires - Fièvre, toux, fractures, entorses… -, orientant si nécessaire vers les urgences ou la permanence d’accès aux soins de santé (Pass) de l’hôpital de la ville.

Mais l’AcSS est tout sauf un simple dispositif médical. C’est aussi un espace d’accueil, d’écoute et un accueil social. Tous les bénéficiaires venant en consultation sont reçus par Marie-Thérèse Brand, responsable du pôle social, et son équipe. Avec chacun, ils font le point, sur la base d’un questionnaire anonyme.

« Nous répondons à l’urgence, quel que soit son visage, et tentons de permettre à chacun de se réinsérer dans le dispositif de droit commun. » Marie-Thérèse Brand. 

L’AcSS accueille de plus en plus de travailleurs pauvres, des jeunes en rupture familiale, des femmes seules avec enfants, des retraités ou des personnes handicapées aux allocations réduites… « Nombreux sont ceux qui renoncent aux soins ou rencontrent des difficultés à y accéder », explique Alain Paupert. 

**« Ici, à la Croix-Rouge, on nous fait pas d’histoires. Tenez, aujourd’hui, j’ai pu prendre une douche, je vais pouvoir manger un peu. Et j’ai pu voir le médecin. J’ai laissé trainer et depuis trois semaines j’ai la diarrhée. Et j’ai mal aux bronches. Avec le froid, ça revient toujours. »** Paul, bénéficiaire.

« **_Rien ne peut se faire sans capacité à “aller vers”, à donner du temps, à écouter… Un impératif pour que la confiance s’instaure, pour que les souffrances souvent tues parviennent à affleurer. »** Alain Paupert._

 L’AcSS tente, à mesure de ses moyens, de combler ce vide. Sa force provient de ce que le dispositif est pleinement intégré à l’ensemble des services offerts ici : vestiboutique, douches, bagagerie, distribution alimentaire, repas partagé, coiffeur, service de domiciliation, cours d’alphabétisation… « Ce sont autant de passerelles et de moyens de repérage des fragilités. []

C’est un peu **« la stratégie des petits pas »**, commente Marie-Thérèse Brand.

D’autres projets sont à l’étude. Un dentiste va arriver d’ici peu, ainsi qu’une infirmière ; de nouvelles AcSS vont voir le jour dans des unités locales du département ; un dispositif itinérant est également envisagé. Des initiatives pertinentes tant « les freins à l’accès aux soins sont nombreux pour les plus précaires », insiste Alain Paupert.

« Je peux m’asseoir ? Merci. C’est que je suis si fatiguée. Je n’ai pas dormi. J’avais peur. Alors je suis restée assise toute la nuit sur un banc, dans le froid (…) Je peux voir un médecin, c’est vrai ?!? Oh , oui alors, avec plaisir (…) Bien sûr que je vais attendre. Ma santé ? Oh vous savez… Mais c’est vrai, j’ai grelotté cette nuit et mon mal de poitrine s’est réveillé. Vous croyez que c’est grave ? C’est peut-être juste l’angoisse…» Louise, bénéficiaire. 

* les noms des bénéficiaires ont été modifiés

Texte : **Elma Haro**

Photos : Michel Djaoui