Le bus dentaire est une vraie solution pour des personnes en rupture de soins
Publié le 15 juin 2023
Simorre est une petite commune gasconne de 699 habitants. En ce lundi matin de juin, ceux que nous croisons au sortir de la boulangerie alors que les cloches sonnent 8 heures, ont tous le sourire aux lèvres. “Il y a encore des commerces et une vraie vie de village ici, nous dit Jean, jeune retraité. Le seul point noir, c’est la difficulté à trouver des médecins, parce que si on veut avoir des rendez-vous sans attendre six mois, il faut faire une heure de route et aller à Toulouse. Heureusement, on a maintenant le bus dentaire et ça nous change la vie.”
Le véhicule arrive justement et se gare sur la place du Foirail, fièrement conduit par Sébastien Delmotte, équipier secouriste bénévole de l’unité locale d’Auch et coordinateur de ce dispositif. C’est lui, qui avec Marie-José Lier et Marie-Josée Zago, respectivement présidente et vice-présidente de la délégation territoriale du Gers, a planché pendant quatre ans sur ce projet unique en Occitanie.
Le dentiste ? Une denrée rare dans le Gers…
“Nous avions déjà, depuis 2014, le dispositif Croix-Rouge sur roues. Notre camion se déplace 5 jours par semaine dans les villages du département pour apporter de l’aide alimentaire et générer du lien social envers les plus démunis. L'animatrice qui gère le dispositif nous remontait souvent les problèmes que rencontraient les personnes pour accéder aux soins dentaires, raconte Marie-Josée Zago. Pour ma part, j’étais salariée du Conseil départemental du Gers, en charge du numéro vert social qui écoute, informe et oriente les administrés. Et nombre d’entre eux nous confiaient les mêmes difficultés pour trouver un dentiste.”
“C’est comme cela qu’a germé l’idée du bus dentaire en 2019, complète Marie-José Lier, et nous avons soulevé des montagnes pour le mettre en place ! ”
“Créer un bus dentaire qui sillonne les villages gersois pour offrir des soins dentaires gratuits à ceux qui en sont privés, cela va complètement dans le sens de la philosophie de la Croix-Rouge qui est tout simplement d’aller vers les autres”, résume la présidente du département.
Une fois l’aval et le soutien financier de notre association obtenus, le plus dur restait à faire : trouver des partenaires médicaux, financiers et techniques.
Un cabinet dentaire roulant unique en Occitanie
Les deux “Marie-Jo” nouent des liens avec la Faculté dentaire de la vVille rose et le CHU Purpan à Toulouse avec lesquels elle vont signer une convention, pour que les étudiants de sixième année de dentaire puissent participer à cette mission comme bénévoles.
Et tandis qu’elles partent à la recherche de mécènes, Sébastien, troisième tête pensante de ce dispositif, planche sur les aspects techniques pour concevoir ce cabinet dentaire roulant. “Dans notre camion nous avons une unité de radiologie, donc tout pèse lourd. Nous ne devions pas dépasser les 3,5 tonnes de poids total pour éviter de tomber sous la contrainte du permis poids lourd car comme moi, les bénévoles ne possèdent pas ce permis”, retrace-t-il. L'informaticien de profession, qui a conçu tout le camion, déploie notamment des trésors d'ingéniosité pour faire fabriquer un fauteuil qui ne pèse que 250 kg au lieu des 600 kg habituels.
Le 9 mai dernier, après quatre ans de démarches et de travail, le bus dentaire inaugure sa première consultation dans l’un des 8 villages gersois choisis en concertation avec l'ordre des dentistes. Les consultations gratuites ont lieu deux fois par semaine, les lundis et mardis. “Nous avons choisi ces villages en fonction de leur bassin de vie et du manque de spécialistes”, détaille Sébastien. Dans le Gers, il y a un dentiste pour 2 000 habitants, ce qui est très en-deçà de la moyenne nationale (ndlr, un dentiste pour 1 492 habitants).
“C’est mon rôle de soignante de donner de mon temps”
Ce lundi matin, c’est donc à Simorre que le bus fait escale pour la journée, sous la houlette du docteur Faraj Daher, l’un des sept chirurgiens-dentistes gersois devenus référents bénévoles du bus dentaire. “Le désert médical, on le vit au quotidien, témoigne-t-il avec fatalisme. J'ai 78 ans et je devrais être à la retraite depuis bien longtemps. Pourtant, je travaille encore un jour et demi par semaine pour aider mon fils qui a repris mon cabinet, car il est débordé.”
Il encadre ce jour-là Maxime et Luna, les deux étudiants de 25 ans qui seront diplômés dans quelques semaines. “En tant que soignante, j’estime que c’est mon rôle de donner de mon temps pour soigner des gens”, souffle la jeune femme, qui arbore un joli calot fleuri. “D’autant plus que les patients que nous accueillons ici attendent ces soins depuis très longtemps. Certains d’entre eux ne peuvent pas se faire soigner pour des questions financières”, renchérit Maxime. Comme eux, 18 autres étudiants de la même promotion se sont portés volontaires pour participer à ce beau projet.
“Ce bus dentaire, c’est une providence !”
A neuf heures, les premiers patients sont déjà là. La température est clémente, le soleil pointe le bout de son nez et aujourd’hui une salle d’attente bucolique s’improvise sur les bancs de la place du Foirail, à l’ombre des platanes. En cas de pluie, la mairie met une salle adjacente à disposition.
Sébastien se charge de l’accueil, avec le sourire et une gentillesse à toute épreuve. Jacques, 82 ans, le premier patient de la journée, n’était pas vraiment programmé sur le planning. Le retraité a une rage de dents carabinée. Et comme il souffre de stomatophobie, c’est-à-dire qu’il a une peur panique du dentiste, il a attendu le dernier moment pour chercher un rendez-vous. Qu’il n’a jamais obtenu dans un cabinet classique…
Aidé par Sébastien, il grimpe les marches du camion et en ressort une demi-heure plus tard avec un sourire éclatant. “J’avais vraiment trop mal avant de venir mais ça s’est super bien passé. Je n’ai rien senti ! L’équipe m’a sauvé en me prenant en urgence”, remercie-t-il.
Les patients suivants, eux, ont bien rendez-vous. Elise, 27 ans, est saisonnière dans le restaurant du village. “Trouver un dentiste quand on n’est pas du coin, c’est mission impossible. J’avais une carie à soigner et si je n’avais pas obtenu un rendez-vous avec le bus dentaire, j’aurais dû aller à Toulouse. Or, je n’ai pas de voiture”, explique la jeune femme.
Mélodie, aide-soignante à la maison de retraite de Simorre, n'est pas venue seule. Elle accompagne trois résidents de l’EHPAD et reviendra dans l’après-midi avec trois autres. “Ces personnes ont de vrais besoins en soins dentaires mais ils n’ont personne pour les conduire chez le dentiste, où de toute façon c’est la croix et la bannière pour obtenir un rendez-vous, se désole-t-elle. Et certains soins ne sont pas pris en charge car ils n’ont pas tous une mutuelle. Alors, à tous points de vue, ce bus dentaire, c’est une providence pour eux !”
Les rendez-vous s’enchaînent toute la journée. Au total, le docteur Daher et les deux apprentis dentistes vont soigner gratuitement une vingtaine de patients entre 9 heures et 20 heures.
Inciter les jeunes dentistes à s’installer dans le Gers
“On a tellement travaillé pour monter ce projet, mais ça en valait vraiment la peine, se réjouit Marie-Josée Zago. Car aujourd’hui on ne laissera plus jamais quelqu’un seul avec sa rage de dents dans nos petits villages du Gers.” “Et on ne va pas s’arrêter là, prévient le coordinateur du dispositif. Les étudiants ont déjà demandé à la faculté si on pouvait organiser une troisième journée de consultation par semaine. Nous voulons aussi utiliser le bus dentaire pour organiser des sessions de prévention dans les écoles. Et puis, nous espérons trouver de nouveaux mécènes pour, à terme, salarier quelqu’un à plein temps pour conduire et gérer le bus.”
Marie-José Lier les couve de son regard aussi malicieux que bienveillant. “Ce bus dentaire apporte une vraie solution à des personnes qui sont en rupture de soins, dans un département où l’on manque cruellement de praticiens, dont la population est vieillissante et en proie à des vrais problèmes de mobilité », conclut la présidente de la Croix-Rouge du Gers. Derrière tout cela, nous avons aussi l’ambition de donner l’envie à ces étudiants d’ouvrir un jour leur cabinet dentaire dans le département. Quand je dis cela, beaucoup me disent que je rêve et qu’aucun d’entre eux ne viendra jamais s’installer ici. Et bien, vous savez quoi ? J’ai 80 ans et oui, je rêve encore ! Et je suis certaine que mon rêve va se réaliser…”