La situation dans la ville de Goma, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), a connu une intensification dramatique en janvier 2025. Des combats ont plongé la ville et ses environs dans un chaos total, entraînant des pertes humaines lourdes et des destructions massives.

Evans, chef de la base Croix-Rouge française à Goma, nous livre un témoignage sur cette crise : des moments de tension extrême et des actions mises en place pour répondre à l’urgence humanitaire.

Peux-tu nous expliquer ce qui s'est passé ces dernières semaines ?

À partir du 20 janvier, l’intensification des combats au nord de Goma, notamment autour de Sake, a exercé une pression croissante sur la ville. Le 24 janvier, Sake a été pris, suivi de Goma le 27 janvier après de violents affrontements. Ce chaos a entraîné une perte humaine considérable et des conséquences sur des infrastructures clés, telles que l’aéroport de Goma qui est encore hors d’usage et la prison centrale Munzenze qui a été incendiée.

Comment as-tu vécu ces moments, surtout quand les combats se sont intensifiés autour de toi ?

C’était extrêmement difficile. Nous avons dû nous confiner alors que les combats faisaient rage autour de nous. C’était une situation totalement inédite. Des tirs fusaient, parfois à l’arme lourde, personne ne s'attendait à ce niveau de violence. Ça a été un choc pour toute l’équipe.

Y-a-t-il un moment ou échange particulier qui t’a marqué pendant cette crise ?

Un moment très difficile a été l’appel de ma collègue Alice, responsable de la logistique et des finances, pendant les combats. Elle se trouvait dans un quartier particulièrement touché, et elle m’a dit qu’elle ne savait pas si sa maison allait tenir face à l’intensité des tirs. Ce sentiment d’impuissance a été dévastateur, car nous étions tous conscients du danger, mais nous ne pouvions rien faire pour l’empêcher. Cela m’a marqué profondément.

Quel genre d’atmosphère régnait dans la ville pendant ces jours de chaos ?

L’atmosphère était totalement apocalyptique. La ville était aux mains des groupes armés, et les civils étaient terrés chez eux. Quand nous avons enfin pu sortir, malgré les combats toujours en cours dans différents endroits de la ville, nous avons pu faire un premier état des lieux. Des cadavres de militaires et de civils gisaient dans les rues, les magasins et entrepôts avaient été pillés. C’était des scènes indescriptibles, auxquelles nul n’était  préparé. J'ai vu des gens qui cherchaient désespérément à se nourrir. Une femme fouillait dans les déchets à la recherche de pommes de terre, elle les a ramassées juste à côté de cadavres. C'était une question de survie pour elle

En tant qu'humanitaire, qu’est-ce qu’on ressent dans ces moments-là ?

Tout au long de mon parcours, j'ai eu l'occasion de travailler sur des terrains de conflit, notamment dans l'extrême nord du Cameroun, à la frontière entre le Tchad, le Cameroun et le Nigéria, ainsi que dans le nord du Mali. Mais ce qui s'est passé à Goma a largement surpassé tout ce que j'avais pu vivre jusque-là. Par moments, je me demande si ce n'était pas un cauchemar, mais malheureusement, non. Le bilan humain est tragiquement lourd, avec au moins 773 morts, des militaires comme des civils. Aussi, plus de 2 880 personnes ont été blessées, dont de nombreux civils, principalement à cause de balles perdues. Sur le plan personnel, ma vie a été complètement mise entre parenthèses. Il y avait des restrictions de mouvements strictes et une insécurité permanente. C’était difficile de maintenir une routine. Professionnellement, le projet pour lequel je suis à Goma a été fortement perturbé.. Nous allons le réorienter pour mieux répondre aux besoins humanitaires et sanitaires actuels de la population. Nous allons renforcer les capacités de la Croix-Rouge du Nord Kivu pour leur permettre de répondre plus efficacement aux besoins urgents de la population.

Justement, quelles ont été les conséquences immédiates de la situation pour la Croix-Rouge et les autres acteurs présents ?

La prise de Goma a paralysé les opérations humanitaires. Plusieurs organisations ont dû suspendre leurs activités et relocaliser leurs équipes, par crainte de représailles et des risques de dommages collatéraux. En plus de cela, le démantèlement des sites de déplacés, principalement au nord et à l’ouest de la ville, a forcé des milliers de personnes à fuir vers le sud Kivu et le Rwanda notamment, souvent dans des conditions précaires. Aujourd’hui, la plupart des organisations humanitaires qui avaient évacué la ville commencent à revenir pour répondre aux besoins conséquents à Goma et aux alentours.

Que fait la Croix-Rouge pour répondre à cette situation d'urgence ?

J’ai intégré la cellule de gestion de crise du CICR, où nous avons coordonné les efforts pour gérer la situation, tant sur le plan sécuritaire qu’humanitaire pendant les combats à Goma. Nous avons suivi l’arrivée des blessés, géré l’état des infrastructures essentielles comme l’eau et l’électricité, surveillé la situation de nos collègues congolais confinés chez eux, équipé les volontaires chargés des dépouilles pour prévenir les risques épidémiques. La Croix-Rouge de la RDC et le CICR ont joué un rôle clé sur le terrain dès les premières heures. Nous, Croix-Rouge française, avons fourni du matériel pour limiter les risques sanitaires, mais aussi des véhicules et du carburant pour continuer à répondre aux besoins sur le terrain. 

Nous soutenons également des centres de santé qui ont été détruits ou pillés lors des combats en leur fournissant du matériel médical et des médicaments pour soigner la population. L’objectif est de continuer à apporter une aide concrète et durable aux personnes en détresse.

Ces actions ont été menées grâce au soutien financier du Centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE).

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