Le Tchad, terre d’accueil des réfugiés soudanais
Publié le 23 avril 2024
Une Conférence humanitaire internationale pour le Soudan et ses voisins s’est tenue à Paris le 15 avril 2024, un an jour pour jour après le début du conflit. Près de soixante pays, les Nations unies et de nombreuses agences internationales y ont participé dans le but de remobiliser sur cette crise oubliée et appeler à un cessez-le-feu. Plus de 2 milliards d’euros ont été collectés à cette occasion pour répondre à l’urgence humanitaire. Il en faudrait deux fois plus selon les Nations unies, car le Soudan est aujourd’hui au bord de la famine et cette guerre est considérée comme la plus grande crise de déplacement au monde.
Les chiffres sont effarants : environ 25 millions de personnes ont besoin d’une aide et d’un soutien humanitaires selon OCHA, le bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (15 avril 2024). Près de 18 millions de personnes - soit plus d'un tiers de la population - sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë et près de 5 millions d’entre elles sont proches de la famine. La faim, les violences, les exactions provoquées par un an de guerre civile ont conduit plus de 8,6 millions de personnes à fuir, cherchant refuge au Sud Soudan et dans les pays voisins comme la Centrafrique, l’Egypte, l’Ethiopie et le Tchad. Mirjana Spoljaric, la présidente du Comité international de la Croix-Rouge, a ainsi appelé toutes les parties à « faciliter le passage sûr, rapide et sans encombre du personnel et des secours humanitaires, aux frontières et à l’intérieur du Soudan, par toutes les routes disponibles. »
Dans les camps de Kerfi et Zabout
En un an, près de 600 000 réfugiés soudanais sont arrivés au Tchad. Pour faire face à cet afflux massif et aux mouvements de population - entre les personnes déplacées et la population hôte - les sites d’accueil dans les villages se multiplient et il faut régulièrement agrandir les camps basés dans la région du Sila, à la frontière avec le Soudan. Dans cette zone aussi pauvre que désertique, aux rares infrastructures et où la sécurité est aléatoire, les réfugiés trouvent pourtant le réconfort et surtout les soins dont ils ont tant besoin auprès des acteurs humanitaires présents. Les personnes arrivent dans une situation de pauvreté et de détresse extrême. Leur état est catastrophique, tant sur le plan physique que mental. «On rapporte que de très nombreuses personnes auraient subi des violences, avec notamment 3 femmes sur 4 victimes de violences sexuelles, soit au Soudan, soit sur la route de l'exil. Par ailleurs, une grande majorité des réfugiés souffrent de la faim avec des taux alarmants de malnutrition, notamment chez les enfants », raconte Blanche Mattern, notre référente technique en santé publique qui appuie les programmes déployés au Tchad.
La Croix-Rouge française, présente dans le pays depuis 1998, a tout d’abord acheminé et distribué des kits médicaux d’urgence**, ainsi que des produits de première nécessité. Quelques semaines plus tard débutait une mission santé dans le camp de Zabout, avec l’arrivée des premiers réfugiés soudanais ; un programme financé par l’Union européenne et coordonné par la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Face à l’ampleur de la crise soudanaise, le Centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français a engagé des fonds pour renforcer nos activités, en collaboration avec la Croix-Rouge du Tchad et aux côtés d’autres sociétés nationales. Au total, une quarantaine de volontaires du Mouvement sont ainsi mobilisés à la frontière soudanaise. L’appui du CDCS nous a permis de mettre en place deux cliniques dans les camps de Zabout puis de Kerfi, plus récent, où une équipe composée de sages-femmes, d’agents psychosociaux, de médecins et d’infirmiers travaille à temps plein. À Kerfi, une clinique mobile se déplace de secteur en secteur, tandis qu’à Zabout (camps monté en 2003 à la suite de la crise du Darfour), une clinique fixe a été installée. Sous ces tentes se dévoile tout un monde de souffrances.
“Nous sommes un relais dans la chaîne de santé”
Soins de santé primaire grâce au dépistage et au traitement des cas de malnutrition, soins de blessures dues à des exactions en tous genres, prise en charge préventive et curative des pathologies courantes (enfants et adultes), suivi des grossesses, accouchements, soutien psychologique et psychosocial… Les consultations s’enchaînent à un rythme effréné. Depuis août 2023, l’équipe médicale a ainsi pris en charge plus de 9 000 personnes, réfugiés et Tchadiens, dont les deux tiers sont des femmes. Quand les situations sont trop graves ou compliquées, les personnes sont transférées vers les établissements de santé du pays ou vers des partenaires plus spécialisés. « Nous sommes un relais dans la chaîne de santé », explique Blanche Mattern, référente technique en santé publique, « nous sommes là pour atténuer la surcharge de travail dans les structures de santé “classiques”, et nous contribuons en même temps à renforcer le système de santé du pays ».
“80 % des personnes reçues dans nos cliniques ont subi un événement traumatique”
Les problématiques de santé mentale sont monnaie courante chez les réfugiés. Que ce soit dû à des viols, nombreux, à la perte de proches dans le conflit, au pillage des maisons ou autres violences sur le chemin de l’exil, la grande majorité des réfugiés soudanais reçus dans nos cliniques souffre de symptômes psychotraumatiques. Josiane Maga, experte Croix-Rouge en santé mentale, les accompagne au quotidien, naviguant d’un camp à l’autre. “Les personnes présentent des signes de stress, plus ou moins importants, voire de dépression”, dit-elle. “On les écoute d’abord, puis on les oriente vers notre clinique ou vers des experts pour les suivre. Lorsque c’est nécessaire, on entame une psychothérapie”. Josiane n’est pas seule, elle est aidée par des agents psychosociaux. Ensemble, ils organisent des groupes de parole ou de soutien afin de toucher plus de monde, ou bien ils effectuent des “visites à domicile”, autrement dit dans les abris, pour y rencontrer les familles. “Il y a beaucoup de stigmatisation autour de la santé mentale, donc on explique ce que sont les troubles, comment les soigner… On doit déconstruire les croyances et les préjugés, parfois très forts. Cette approche communautaire est un plus, incontestablement, pour faire tomber les tabous”, affirme l’experte. Elle se souvient ainsi d’un jeune homme en proie à la dépression et très violent. “Sa famille avait honte et le cachait. Nous l’avons pris en charge à la clinique et au bout de trois semaines, il était métamorphosé. Il nous hélait en nous apercevant sur le camp, nous embrassait. La plupart des personnes que nous accompagnons nous sont très reconnaissantes. Elles retrouvent le sourire, se sentent apaisées.”
Mais la plus grande fierté de Josiane, c’est d’avoir formé des volontaires de la Croix-Rouge du Tchad ainsi que du personnel du district sanitaire de la région car ce sont eux qui, une fois la crise soudanaise terminée et notre équipe partie, assureront la continuité des activités. “Ils acquièrent les bons automatismes, la bonne posture et mènent aujourd’hui un travail de qualité”, dit-elle. La santé mentale est encore peu développée au Tchad. La Croix-Rouge française collabore d’ailleurs avec le ministère de la Santé pour renforcer et pérenniser les activités dans ce secteur.
*Le Partenariat programmatique pilote (PPP) est un partenariat novateur et ambitieux sur trois ans entre la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, un grand nombre de Sociétés nationales et financé par l'Union européenne. Ensemble, nous soutenons les communautés dans 24 pays pour les aider à réduire les risques de catastrophes et d'urgences sanitaires et à mieux se préparer.
**La Croix-Rouge française a acheté et distribué 152 kits médicaux d'urgence contenant médicaments, matériel médical renouvelable et équipements médicaux pour faire tourner ses cliniques et faire des donations aux centres de santé tchadiens de la zone. Au total, avec les tentes et le matériel logistique, 6,5 tonnes ont été déployées grâce au soutien du centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
Chiffres clés Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU
Environ 25 millions de personnes – dont plus de 14 millions d’enfants – ont besoin d’une aide et d’un soutien humanitaires.
17,7 millions de personnes – plus d'un tiers de la population du pays – sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë.
Parmi eux, 4,9 millions de personnes sont au bord de la famine.
Plus de 8,6 millions de personnes ont fui leur foyer depuis le début du conflit.