Les experts COP21 : François Bricaire
Publié le 12 octobre 2015
François Bricaire est membre du Conseil d’Administration de la Croix-Rouge française. Il est docteur en médecine, professeur de maladies infectieuses et tropicales à l’université Pierre et Marie Curie (Paris VI), consultant, ex-chef de service à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris et ancien chef de pôle infection, inflammation, immunité. Clinicien, spécialisé en maladies infectieuses, il a travaillé notamment sur les anti-infectieux, l’infection à VIH, le paludisme et actuellement la prise en charge des infections émergentes.
Quels sont les principaux effets du réchauffement climatique sur la santé des populations?
Une modification de la température ou des conditions climatologiques, comme par exemple le niveau d’humidité entraine une modification des facteurs qui touchent à l’agriculture ou à l’environnement animal au sens large. Les effets de ce réchauffement peuvent être à la fois positifs et négatifs.
Ces modifications peuvent avoir des conséquences sanitaires importantes:
Sur les rendements agricoles et donc la sécurité alimentaire ;
Sur l’hydratation des populations, de manière positive ou négative en fonction de la variation des précipitations et de l’humidité. Le rapport « De l’eau pour tous » de l’OCDE de 2009 souligne qu’1/3 de la population mondiale (3,9 milliards de personnes) risque d’être confrontée à des pénuries d’eau en 2050.
Sur les maladies infectieuses, les germes peuvent se développer ou au contraire diminuer et disparaitre. La prolifération des moustiques dans le monde en raison de l’augmentation de l’humidité est un exemple significatif des conséquences d’une modification des milieux.
Sur les allergies. Selon l’OMS, la moitié des Français pourraient souffrir d’allergies en 2050. Cette augmentation des allergies s’explique en partie par le réchauffement climatique : elles sont favorisées par la pollution atmosphérique et par l’allongement de la période de pollinisation (en raison des températures plus douces). Par ailleurs, la récente inondation dans les Alpes-Maritimes illustre bien que les évènements climatiques peuvent entrainer de la pollution, ici par le dégagement d’eaux usagées.
De quelles maladies infectieuses parle-t-on ? Risquent-elles également de toucher la production alimentaire ou les cheptels ?
Plusieurs catégories de maladies infectieuses sont concernées :
Les arbovirus qui sont les virus transmis par des moustiques, comme la dengue ou le chikungunya, dont la présence augmente avec l’humidité.
Les agents infectieux qui sont transmis dans les milieux hydriques, comme la salmonelle ou la leptospirose qui touchent principalement les animaux, pourraient augmenter avec l’humidification de certaines régions.
Le paludisme se développe dans les régions humides par les anophèles (des espèces de moustiques).
Ces maladies infectieuses présentent donc à la fois un risque direct pour l’homme et les animaux, mais aussi indirect à travers la contamination de la production alimentaire. Les moustiques porteurs de l’arbovirus ou du paludisme peuvent toucher aussi bien les hommes que les troupeaux. Par ailleurs, la salmonelle est une bactérie qui se retrouve chez la plupart des animaux domestiques et sauvages. L’être humain peut ainsi contracter les salmonelloses (l’une des maladies d’origine alimentaire les plus répandues, qui provoque des intoxications alimentaires) en consommant de la nourriture contaminée d’origine animale.
Peut-on établir un lien entre Ebola et le changement climatique ?
Il est ici difficile d’établir avec certitude un lien entre l’épidémie de fièvre Ebola et le changement climatique, il faut être très prudent. Le facteur qui semblerait avoir joué un rôle ici est humain. Il s’agit de la déforestation, par ailleurs source de changement climatique (les arbres abattus ne jouant plus leur rôle d’absorption du CO2. En effet, la chauve-souris qui serait porteuse du virus Ebola vit dans les hauteurs des forêts profondes de l’Afrique tropicale. Il est alors possible que la déforestation ait perturbé l’habitat de ses chauves-souris, qui se seraient alors déplacées et se seraient retrouvées en contact avec d’autres animaux et les hommes, transmettant ainsi le virus.
On peut ici faire un parallèle avec les infections liées à la déforestation en Amérique du Sud. Il a en effet été démontré que certains travailleurs qui ont construit la transamazonienne mis en contact avec des animaux sont morts de maladies infectieuses.
La progression du moustique tigre en France métropolitaine est-elle une conséquence directe du réchauffement climatique ? Le phénomène est-il inquiétant ?
Le « moustique-tigre », vecteur de maladies infectieuses comme le chikungunya et la dengue, est arrivé en France métropolitaine en 2004 dans les Alpes-Maritimes. L’insecte est aujourd’hui implanté dans vingt-deux départements français, et on a constaté début septembre cinq cas de dengue autochtones, c’est-à-dire développés sur place, à Nîmes. Le radoucissement des températures de la région peut expliquer sa présence, mais c’est principalement le facteur humain qui permet son déplacement. En effet, on se rend compte que le moustique progresse le long des axes autoroutiers.
Dans un pays comme la France, qui a des moyens de veille épidémiologiques et d’action sanitaire importants, ces phénomènes ne sont pas à ce stade inquiétants. A titre d’exemple, l’Italie a eu à faire face à une épidémie de Chikungunya à l’été 2007, qui a contaminé 249 personnes, mais a pu être contenue très rapidement.
Le même phénomène épidémique dans un pays moins avancé pourrait avoir des conséquences bien plus graves sur la santé publique, et, du fait des arrêts de travail voire des décès, sur des économies qui peuvent être encore fragiles.
L’ampleur des épidémies dépend également du caractère durable des conditions météorologiques favorisant le développement de la maladie dans le pays.