Migrants mineurs de Calais : les gouvernements français et britannique doivent prendre leurs responsabilités
Publié le 23 novembre 2016
A l'occasion de la journée internationale des migrants du 18 décembre, La Croix-Rouge française et la Croix-Rouge britannique souhaitent réaffirmer l’engagement qu’ils avaient pris dans cette tribune parue dans La Croix le 23 novembre dernier.
Ramesh est un jeune Afghan de 14 ans. Accompagné par un administrateur ad hoc* de la Croix-Rouge française, il a pu faire l’objet d’une procédure de réunification familiale avec son oncle, à Londres. Arrivé au Royaume-Uni le mois dernier, il a d’abord passé trois jours à l'hôpital, souffrant d’une maladie grave.
Ramesh va mieux aujourd’hui, mais son état psychologique inquiète toujours son oncle : il crie la nuit dans son sommeil. Ramesh reste traumatisé par la mort d’un de ses amis, écrasé par un camion sur une route de France.
Autre drame : le 14 octobre, à Loon-Plage, dans le Nord, à proximité du camp de Grande-Synthe, c’est un accident ferroviaire qui a coûté la vie à un jeune Afghan de 13 ans. Son dossier était complet en vue d’une réunification familiale avec ses proches au Royaume-Uni ; mais la lenteur du système l’avait laissé livré à lui-même, à la merci des passeurs et des dangers de la traversée vers le Royaume-Uni.
Une situation intenable
Les autorités ont réagi bien trop tard pour assurer la protection des enfants et faire respecter leurs droits à la réunification familiale. La Croix-Rouge française et la Croix-Rouge britannique ont fourni un accompagnement juridique aux mineurs isolés, leur ont offert la possibilité de rétablir le contact avec leur famille et leur ont apporté un soutien psychosocial. La situation n’était pour autant pas tenable.
Il était nécessaire d’évacuer la « jungle » de Calais et cela a été fait. Mais pour le Comité des Nations Unies sur les droits de l'enfant, le constat à propos du démantèlement est implacable : « Peu de cas a été fait en réalité de l'intérêt supérieur de ces enfants. »
Des adolescents qui se sont vus refuser le bracelet argenté, réservé aux mineurs, sont maintenant isolés parmi des adultes. Tout aussi grave, des adultes ont extorqué par la violence les bracelets argentés qu’on avait accordés à des adolescents, sans assurer ensuite leur protection.
Des liens familiaux, maintenus dans l’adversité du parcours migratoire, ou des solidarités construites dans les campements, ont été rompus à l’occasion de ce démantèlement.
Des mineurs sont restés seuls dans le bidonville, alors que leurs proches étaient évacués ou arrêtés.
Notre important travail de prévention des ruptures familiales mené à Calais, a été mis à mal. Les jeunes sont maintenant dispersés sur le territoire français, pour la plupart certes à l’abri, mais toujours livrés à eux-mêmes. Nous avons même perdu la trace de certains mineurs que l’institution judiciaire nous avait chargés d’accompagner, et nous nous voyons encore refuser l’accès aux informations qui nous permettraient de les suivre.
Nos gouvernements doivent prendre leurs responsabilités
Nous exhortons à présent nos deux gouvernements à tirer les leçons de ce démantèlement du camp. Le droit des enfants doit être souverain, et nous devons à tout prix éviter que cette histoire ne se répète à Calais ou ailleurs.
Certes, nos deux gouvernements ont fait un pas en avant : l’accord passé entre le Ministre français de l’Intérieur et la Secrétaire d’Etat britannique à l’Intérieur a déjà permis le transfert de près de 350 enfants entre Calais et le Royaume-Uni. Mais cela ne doit pas détourner l’attention des actions urgentes qu’il reste encore à mettre en place.
Avant tout, il faut rapidement mettre en œuvre l’accord franco-britannique visant à prendre conjointement la responsabilité des enfants de Calais.
Si cela relève de leur intérêt supérieur, ils doivent être emmenés au Royaume-Uni. Or, s’il y a plusieurs semaines, quelques centaines d’enfants ont été transférés de la France au Royaume-Uni. Depuis, seulement un petit nombre a pu être accueilli Outre-Manche. Un bus, en attente à Calais il y a quelques jours, est reparti vide.
Pourquoi cette pause prolongée ?
Nous demandons que les transferts reprennent sans attendre pour tous les enfants éligibles. Si le Royaume-Uni doit assurer un soutien suffisant pour les enfants à leur arrivée, la France doit garantir entre-temps leur protection, en améliorant autant que possible l’organisation administrative de leur transfert. La Croix-Rouge se tient prête à apporter son assistance des deux côtés de la Manche, avec tout le professionnalisme et l’humanité requis.
Notre action va continuer. La Croix-Rouge britannique va poursuivre l’accompagnement des enfants au cours de leur transfert vers le Royaume-Uni. La Croix-Rouge française continuera de répondre à l’urgence: accueil dans ses établissements de protection de l’enfance, maintien du lien familial et recherche de proches à l’étranger, intervention des secouristes.
Elle est prête à mobiliser plus encore son réseau bénévole, pour étendre sa mission d’administrateur ad hoc, pour soutenir en particulier les rapprochements familiaux ou les enfants ayant un projet au Royaume-Uni, pour participer aux appels à projet en matière de protection de l’enfance, pour aider à l’apprentissage de la langue française.
Mais nous ne pouvons en aucun cas remplacer l’action de l’Etat. Nos deux gouvernements doivent mettre en place des stratégies politiques pour éviter une autre crise, à Calais ou ailleurs. Davantage de fonctionnaires et d’interprètes dans les préfectures pour éviter que ne s’accumule le retard sur les dossiers d’enfants cherchant – et échouant – à faire valoir leurs droits à la réunification familiale et à la protection ; une vraie répartition des rôles entre les acteurs associatifs experts dans la protection de l’enfance, et une meilleure coordination des services de l’Etat et des départements.
Calais a été la conséquence d’une inaction politique et d’un échec à protéger de vulnérables réfugiés, enfants comme adultes.
Des décisions avisées doivent être prises et mises en œuvre, maintenant. Chaque jour qui passe fragilise encore plus les jeunes exilés. C’est la responsabilité commune de nos deux peuples qui est engagée et c’est pourquoi la Croix-Rouge française et la Croix-Rouge britannique parlent ici d’une seule voix.
Crédit photo : Tom Pilston
Tribune parue dans La Croix le 23 novembre 2016
Professeur Jean-Jacques Eledjam, Président de la Croix-Rouge française****
Mike Adamson, Chief Executive Officer de la Croix-Rouge britannique****