"Pour ces familles, chaque centime compte" : immersion dans un Espace bébé-parents
Publié le 12 novembre 2024
Mobilisons-nous ensemble !
Dès 13h30, les bénévoles sont en poste. L'Espace bébé-parents (EBP) d'Amiens n'ouvre qu’à 14 heures mais déjà, les familles se massent devant la porte. Comme tous les mardis et jeudis après-midi, une trentaine de parents et leurs enfants de 0 à 3 ans sont accueillis. Cela sans compter les visites sans rendez-vous et les clients de la boutique ou du vestiaire, précise Dominique, sa responsable. Accompagnée par Anne et Marie-Odile, ses précieux « bras droit et bras gauche », la dynamique puéricultrice à la retraite invite les premiers arrivants à se mettre au chaud. À l'intérieur, du café, du thé et quelques gâteaux sont à leur disposition. Dans les poussettes, les bébés emmitouflés dans leur manteau sont silencieux, souvent endormis. On se salue, on échange des sourires. Tandis que les adultes sont reçus en entretien, deux lycéennes s'occupent des enfants - BAFA en poche, c'est la deuxième fois que Jade vient mettre à profit son expérience ici. « Les mamans peuvent laisser les petits, aller librement choisir des habits, des jouets », explique Morgane, leur animatrice : « C'est un moment juste pour elles, une bouffée d'oxygène dans leur vie ».
Les familles aiguillées à l'Espace bébé-parents bénéficient d'un accompagnement social. Beaucoup sont en foyer d'accueil : demandeurs d'asile, personnes réfugiées, mamans venant d'accoucher, mères isolées... Tous les 15 jours, elles font le point sur leur situation. Elles sont écoutées et orientées vers d'autres partenaires si nécessaire. Le service de Rétablissement des liens familiaux, les Centres d'informations sur les droits des femmes et des familles ou encore l'épicerie solidaire et la vestiboutique d'Amiens. Dans son bureau, Anne accueille Fadima. La maman de 29 ans accompagnée de ses jumelles de 10 mois a fui les violences en Guinée-Conakry à la suite du coup d'État de 2021 : « c'est beaucoup dans ma tête, c'est une longue histoire ». Fadima a poussé la porte de la structure en décembre dernier alors qu'elle était enceinte, dirigée par le 115. Elle y a trouvé du soutien : « Je ne connaissais personne quand je suis arrivée. Je n'avais rien pour mes bébés ; pas d'habit, pas de nourriture. Ça m'a beaucoup aidée ». La jeune femme y gagne aussi en confiance : « J'étais couturière autrefois, alors je fais des retouches avec les femmes que je rencontre ici ». Outre l'échange avec les bénévoles, l'établissement permet aussi de tisser des liens entre parents.
“Sans cette aide, je ne m’en sortirais pas”
Les familles viennent ici d’abord pour bénéficier de produits pour bébés, souvent très chers dans le commerce. Un colis comprenant du lait maternisé, des petits pots, des céréales, des couches et un produit d'hygiène leur est proposé pour 4 euros - dans le commerce, il en coûterait 37 euros. Ainsi, Angélique* vient deux fois par mois. Il y a un an, la jeune maman ukrainienne a tout quitté : Tcherkassy, sa ville natale bombardée par la guerre, sa famille et ses racines. Dans ses bras, son fils Serafim fêtera bientôt son premier anniversaire. « Je suis toute seule. Je n'ai personne à qui laisser mon fils. J'achète des vêtements, des jouets et du lait ici. Sans cette aide, je ne m'en sortirais pas ». Les parents ont aussi la possibilité d’acheter à petit prix habits, jouets et matériel de puériculture de seconde main. « Les bébés, ça grandit vite ! », s'amuse Maya, une autre maman de 26 ans qui mesure bien sa chance : « Je ne savais pas qu'il y avait tout ça ici. Quand mon fils s'est mis à explorer son environnement, je n'avais pas de jouet... Et là j'en ai acheté cinq déjà emballés pour Noël ! Je n'aurais jamais pu lui offrir ça dehors. ». Au détour d'un sourire, elle se confie sur son parcours. Son Master en droit public, le bouleversement de son arrivée en France, la dureté de son adaptation, sa mère qui lui manque… Grâce à la supervision bienveillante des bénévoles, le lieu est propice aux confidences.
Un lieu d'éveil pour les enfants
Dans la salle principale, les voix des bébés se font entendre. Dès qu'elles ont une minute, les bénévoles se relaient pour jouer avec eux, pour ne pas les laisser seuls dans les poussettes. « Quand elles arrivent ici, les mamans n'ont pas le réflexe du jeu avec leur enfant. Elles sont souvent seules, sans famille pour les aider. Elles réapprennent des gestes petit à petit quand on leur montre et en voyant leur enfant s'éveiller en jouant », souligne Camille, psychologue bénévole. Les petits eux-mêmes sont demandeurs. Ainsi, la petite fille d’Ali, laissée dans sa poussette trop longtemps à son goût, vient chercher son père par la main pour l'emmener sur le tapis de jeux. Non loin, Mariama et son mari surveillent leurs jumeaux de 8 mois. Le couple est attentif parce que ce sont de grands prématurés. La maman ne les sort pas beaucoup, « mais ici, ça leur fait du bien. Ils peuvent s'amuser dans le petit parc en bois. On est très reconnaissants parce qu'on n’a pas ça à la maison ». L’équipe accorde une attention particulière au développement de l'enfant. Jusqu’ici, elle organisait plusieurs fois par an des ateliers musique, des lectures de contes et des sorties collectives. Un pédiatre a également animé des tables-rondes autour de la vaccination, du sommeil et de l'alimentation. Seulement voilà, l’inflation a coupé court à ces activités. Les bénévoles manquent de temps.
Une crise inflationniste alarmante
Face à l'augmentation exponentielle du nombre de bénéficiaires, les bénévoles ont dû renoncer à organiser des activités annexes cette année. « On est passé de 15 à 30 familles par jour et de 90 à 180 enfants. On constate que les familles restent plus longtemps aussi », constate Dominique qui ajoute recevoir davantage de personnes sur le fil, insérées, « qui ont un logement, un emploi, mais qui n'arrivent plus à joindre les deux bouts ». À la boutique où Lima vend à tour de bras biberons, vêtements et jouets neufs à prix réduit, « tout est parti en une après-midi, on n’a plus rien ! » Même constat à la distribution alimentaire. Les 500 kg de denrées livrés tous les mois par l'unité locale ne suffisent plus. « La semaine dernière, j’ai acheté des packs de couches en promotion parce qu’on n’en avait plus pour faire les colis », déplore Dominique.
Au bureau, Marie-Odile enchaîne les entretiens : « Mardi, on a enregistré six inscriptions, du jamais vu. On est sous l'eau ! ». Alors, pour faire face à l’urgence, l’équipe a décidé d'ouvrir un lundi sur deux en plus. « L’EBP s'est rempli en un rien de temps ! ». Alors qu'il est bientôt 17 heures, trois familles attendent encore leur tour. Dans le vestiaire, Lila met de l'ordre : « On voit des gens vraiment dans le besoin. Avec tous les prix qui augmentent, soit ils payent leurs factures, soit ils se nourrissent. Pour eux, chaque centime compte. Ça fait mal au cœur ».
L'Espace bébé-parents est un repère dans le quartier d'Amiens Nord, où l'on s'efforce d'étirer le temps disponible pour recevoir au mieux parents et enfants. Face à l'inflation galopante, l'équilibre est fragile et tient en grande partie grâce à l'énergie des bénévoles.
*Certains prénoms ont été changés pour respecter l’anonymat des personnes accueillies
Photos: Marie Magnin
L'Espace bébé-parents d'Amiens en chiffres
L'établissement a reçu en moyenne 26 familles par jour et enregistré une dizaine d'inscriptions dans le mois. Une augmentation très conséquente par rapport aux années précédentes.
- 360 colis distribués
- 10000 couches
- 1300 petits pots
- 180 produits d'hygiène