Rafif, jeune syrienne bénévole à Neuf Château
Publié le 16 mai 2017
« Parler pour ceux qui ne peuvent pas »
Il y a quelques mois, Elisabeth Daoulas, présidente de la délégation territoriale des Vosges, et Yvonne, bénévole, ont accueilli Rafif et sa sœur Amany, originaires de Syrie, à l’unité locale de Neuf Château. Très vite, elles sont devenues bénévoles à la vestiboutique, épatant tout le monde par leur courage et leur détermination.
Rafif raconte son parcours et celui des siens
« Je ne veux pas, je ne peux pas me taire. Il faut que le monde sache notre souffrance. Il est de notre responsabilité, nous, vivants, de ne pas oublier, de parler de ce qui se passe chez nous, en Syrie. De parler pour ceux qui ne peuvent pas, ne peuvent plus. Je veux dire aussi que nous sommes victimes du terrorisme. Nous haïssons les armes, la guerre. Nous avions commencé une révolution, au nom de la liberté, du respect des Droits de l’Homme. Peut-être que si les gens comprenaient ça, les regards changeraient… Peut-être qu’ici, comme là-bas, il y aurait moins d’extrémisme, de racisme, plus d’humanité. L’exil, c’est difficile à supporter…
Je m’appelle Rafif, j’aurai bientôt vingt ans. Je suis arrivée en France le 20 juillet dernier, et à Neuf Château le 2 septembre, avec mes parents et mes trois sœurs – Amany, qui a 18 ans, et les deux plus jeunes, qui sont à la maternelle et au collège.
Nous sommes originaires de la région de Raqqa, située au centre de la Syrie. Dans ma ville, tout le monde se connaissait. Aujourd’hui, Raqqa est une ville vêtue de noir. J’ai passé sept mois aux mains de Daesh. Et les souvenirs que j’en ai, je voudrais presque les effacer de ma mémoire…
L’institut mixte dans lequel nous étudions a été fermé, alors nous étudions clandestinement, dans un appartement, avec nos professeurs. Nous étions harcelées, insultées dans les rues, et les professeurs repérés par Daesh étaient aussitôt emprisonnés. Ainsi que les propriétaires des appartements dans lesquels ils faisaient cours, et les élèves présents.
Vivre, survivre, dans une ville occupée, bombardée, sans eau, sans électricité, la peur au ventre, c’était dur. Nous changions de maison chaque semaine ou presque. Les bombes pleuvaient tous les jours. Sans compter les scuds, ces missiles balistiques que toute la ville guettait, sans savoir ni où ni quand ils allaient tomber, qui allait mourir. Alors, nous avons fui…
Nous sommes partis de Syrie en juillet 2014. Juste à temps, car à peine un mois plus tard, la frontière avec la Turquie était fermée. Nous avons fui en cachette, bien sûr, c’était interdit. Nous avons pris le bus en disant que nous allions voir des proches dans un village voisin. Et ainsi de suite, de village en village. Jusqu’à arriver en Turquie. Nous y avons passé deux ans et demi, dans une petite ville, Sanliurfa, située à une quarantaine de kilomètres de la frontière syrienne. Nous y louions une petite maison. Ma mère, professeur de mathématiques, donnait des cours dans l’une des écoles ouvertes pour les enfants syriens de la ville. Amany et moi avons passé le baccalauréat syrien. Amany a aussi appris le turc. Moi, je me suis inscrite pour intégrer l’université. Mais nous avons dû fuir à nouveau, car mon père, ingénieur et journaliste, a été menacé de mort par Daesh pour ses écrits dans un journal syrien clandestin. Nous avons donc déposé une demande d’asile à l’ambassade de France d’Ankara et attendu près de neuf mois avant que celle-ci ne soit acceptée.
Aujourd’hui, nous sommes logés à Neuf Château, au cœur des Vosges, dans un petit appartement en HLM. L’arrivée fut rude dans cette ville où nous ne connaissions personne, où il n’y a aucune famille syrienne, personne avec qui parler notre langue, songer ensemble à notre pays. Heureusement, nous avons immédiatement rencontré des personnes qui nous ont aidés, accompagnés, accueillis. Notre voisin, turc, nous a aidés à nous meubler – nous étions arrivés dans un appartement vide, à l’exception de six chaises et de six lits. Il nous a invité chez lui, nous a présentés au voisinage. Ce fut important. Tout comme l’ont été les rencontres de certains professeurs du collège de notre petite sœur. Impressionnés par ses excellents résultats, alors même qu’au départ elle ne parlait pas un mot de français, ils ont souhaité nous rencontrer.
L’accueil que nous avons reçu à la Croix-Rouge a été important, lui aussi. C’est Yvonne, bénévole et ancienne professeur de français, qui nous a ouvert la porte. En apprenant qu’Amany et moi venions de Syrie, elle a pleuré. Elle l’avait visité il y a quelques années… Elle nous a en quelque sorte prises sous son aile et, très vite, comme bénévoles à la vestiboutique. Sa petite-fille, qui est professeur d’anglais, m’a aussi beaucoup aidée au départ, m’accompagnant pour remplir dossiers administratifs et dossiers de candidature en IUT.
C’est agréable d’avoir une vie, enfin !
Si nous sommes arrivées à la Croix-Rouge presque par hasard, en fait, la possibilité qui nous a été donnée, à Amany et à moi, de travailler à la vestiboutique, et ainsi, d’apprendre le français, de rencontrer du monde, d’accompagner certains… fut essentielle. Notre niveau de français progresse de jour en jour. Quelques semaines encore et nous comptons bien passer l’examen et obtenir le niveau B2, impératif pour intégrer un IUT. Ma sœur veut devenir architecte. Quant à moi, j’ai fait une demande d’inscription dans plusieurs IUT de génie civil.
Aujourd’hui, la Syrie n’est plus qu’une grande prison à ciel ouvert. Même si les bombardements du régime y tuent tous les jours des hommes, des femmes et des enfants, j’ai envie d’y retourner. Lorsque la révolution a commencé, j’étais trop petite, je n’ai pu y participer. Mais je veux participer à la reconstruction de mon pays. Il m’a donné beaucoup, je voudrais à mon tour lui donner. Opter pour des études de génie civil, ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard !
« Je rêve de vivre dans une Syrie libre. Dans une Syrie où chacun ait la possibilité d’exprimer ses idées sans avoir peur d’être tué ou emprisonné. Une Syrie pour tous les syriens. »
Témoignage recueilli par Elma Haro